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Anne-Sophie Demonchy
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7 novembre 2014 5 07 /11 /novembre /2014 17:11

eclats-de-14-_-Jean-Rouaud-.jpgLe centenaire de la Première Guerre mondiale a engendré de très nombreuses publications - romans, documents, récits, anthologies – et parmi eux, je me suis laissé tenter par le dernier texte de Jean Rouaud, Eclats de 14 (aux éditions Dialogue). Sans doute une commande, ce livre n’en est pas moins un bel objet poétique. Commençons par la forme : il s’agit d’un petit format, 16 x 16 cm, de 96 pages, illustré par les dessins du peintre breton, Mathurin Méheut.

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Méheut est un artiste qui lors de la Première Guerre mondiale a participé aux combats tout en dessinant ce qui se déroulait sous ses yeux. Au total quatorze dessins et aquarelles illustrent les textes de Jean Rouaud. A la fin de l’ouvrage, on découvre non seulement la biographie de Méheut mais surtout le titre de chacune de ses œuvres ainsi que la technique appliquée.

L’apport de ces illustrations est pertinent car il permet de recréer l’ambiance de cette guerre et d’accompagner les textes de Jean Rouaud qui évoquent ce conflit sous les quatre éléments de l’univers : la terre, le feu, l’eau et l’air. Le livre s’ouvre sur une critique féroce de cette guerre : non les combattants n’ont pas aimé se battre, sacrifier leur jeunesse ni mourir pour la patrie. Après la guerre, les hommes ont pris conscience de ce grand gâchis, cette fausse « guerre haïku » qui au lieu de n’être qu’une « guerre éclair » fut une véritable boucherie entrainant des milliers de morts. Et pourtant, rappelle Jean Rouaud, chaque 11 Novembre, nous commémorons l’Armistice, c’est bien que cette guerre a encore une résonnance au fond de nous, Français. Selon lui, c’est parce qu’elle est le « dernier conflit classique, deux armées s’affrontant sur le terrain », « la dernière « victoire » d’une armée française. Elle ponctue la fin de ce qu’a été la France ». Puis Jean Rouaud de rappeler les fantasmes de cette guerre qui devait être qu’un éclair : les hommes partant au combat à travers champs, par un mois d’août ensoleillé. Mais ces champs furent labourés par les tranchées, troués par les obus. Il ne resta rien de cet instant plein d’espoir patriotique.

L’auteur des Champs d’honneur montre comment, peu à peu, les différents éléments (le feu, la terre, l’eau et même l’air) se sont invités dans cette guerre au travers des coups de canons, des tranchées, des inondations et des avions mitrailleurs.

Suite à ce magnifique texte poétique qui dit avec grâce et rage les horreurs de ce carnage, on découvre une préface que Jean Rouaud a consacré pour une édition d’un choix de poèmes de guerre d’Apollinaire : « L’éclat poétique ». L’auteur rend hommage au poète qui avait prédit que cette guerre serait bien plus longue que ce que l’on avait annoncé. Pourquoi une telle conviction alors que Lou affirme, comme les autres, le contraire ? Pourquoi s’engager quand même dans cette guerre qu’il sait si terrible ? C’est parce qu’il veut devenir français et « qu’il cherche à défendre le pays qui lui a fourni l’arme terrible de la langue pour déployer son verbe ». Guerre et poésie sont étroitement liées : c’est en lisant, dans les tranchées que le poète a vu son crâne voler en éclat et cet éclat lui a inspiré ses poèmes de guerre, dont ces vers cités par Jean Rouaud :

« C’est pourquoi le Rire aux éclats

Est une idée exquise et crâne

Et naguère aux temps des lilas

L’éclat tempêta sous mon crâne. »

 

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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 12:13

648x415_adrien-bosc-publie-constellation-stock-premier-rom.jpeg

ERIC FEFERBERG / AFP

Avec l’arrivée de ma petite Célestine, je me tiens, encore une fois, à l’écart de mon blog et des réseaux sociaux. Toutefois, la lecture de Constellation, premier roman d’Adrien Bosc (aux éditions Stock), m’a donné envie de renouer avec vous.
 

Constellation est un livre dont on parle beaucoup depuis la rentrée et pour cause : c’est un excellent roman, hybride et très ambitieux puisque l’auteur mêle à la fois le récit documentaire à la quête de soi. Cette forme n’est pas si originale : on retrouve cette démarche chez nombre d’auteurs mais c’est l’écriture d’Adrien Bosc, tour à tour journalistique et poétique, qui a retenu mon attention.


Le point de départ du livre, vous le connaissez sans doute : il s’agit du crash aérien survenu le 27 octobre 1949 aux Açores. Dans l’avion Constellation, les trente-sept passagers trouvent la mort, parmi eux, le célèbre boxeur et amant d’Edith Piaf, Marcel Cerdan ou la grande violoniste Ginette Neveu. Toutefois, au lieu de focaliser son attention sur ces deux célébrités, Adrien Bosc raconte ce qui a mené les différents passagers à prendre ce vol, ce jour-là, à cette heure-là. Contrairement à ce que je croyais avant de lire ce roman, l’auteur ne s’attarde pas sur la tragédie en elle-même mais il propose une enquête en remontant le fil du temps de chacune des victimes. Il part de l’hypothèse que rien n’est jamais dû au hasard : « Sur le ponton, le cœur noué par la solitude et l’absence, j’envisage le crash, cet avion et ses passagers comme des images transposées du hasard et des coïncidences. Toute histoire est un prétexte. Ces deux dernières années, j’ai cru plus que de raison aux signes, à la bonne étoile, m’y suis perdu, seul le récit de ces vies encloses en destinée dans la carlingue d’un Constellation pouvait répondre à mes questions. »

 
Les chapitres sont courts, alternant destin d’une victime et avancée du drame. Tous ces passagers, célèbres ou anonymes, ont un point commun : ils ne se sont pas retrouvés dans cet avion par hasard. Et Adrien Bosc va expliquer, au fil des pages, ce qui les a menés à prendre à ce moment précis le Constellation.



J’ai aimé l’écriture vive, nerveuse et poétique d’Andrien Bosc : on sent le journaliste qui a mené une enquête précise sur cette tragédie, mais aussi l’écrivain, qui cherche le mot juste, la phrase bien rythmée, le récit à suspense. Telle une tragédie grecque, Constellation montre que ces passagers n’ont pu échapper à leur destin : certains ont avancé leur vol, d’autres l’ont retardé, mais tous se sont retrouvés dans le même avion et ont péri ensemble. Il y a, comme chez Sophocle, de l’ironie tragique : « Dans une lettre adressée au vice-président de sa compagnie, postée la veille du départ, le mercredi 26 octobre 1949, Kay Kamen s’amusait à rappeler à son plus proche collaborateur sa phobie de l’avion. C’était une blague entendue, tant l’homme d’affaires était sujet à ce que les médecins nommentaviophobie ou aérodromophobie. »

 
Certains portraits m’ont particulièrement touchée comme celui de Ginette Neveu ou de cette jeune Jenny Brandière qui, après avoir survécu à un accident de voiture dans lequel son mari est mort sur le coup, prend ce fameux avion avec sa mère pour Cuba afin de rejoindre la maison familiale. Chaque chapitre est précédé d’une citation d’auteurs - parmi lesquels Georges Perec, Héraclite, Tabucchi, Brel… - qui éclaire le portrait à venir.

 

Constellation fait partie des romans qui m’ont marquée : je l’ai lu deux fois de suite parce que cette thématique du hasard m’a troublé, mais pas seulement, Adrien Bosc a trouvé le ton juste, le rythme parfait pour évoquer cette tragédie.

 

Constellation a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française.

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24 septembre 2014 3 24 /09 /septembre /2014 12:36

cantal.jpgVoici enfin un livre de la rentrée littéraire que je peux vous conseiller : Joseph  de Marie-Hélène Lafon (aux éditions Buchet Chastel). Pour ceux qui me suivent depuis longtemps, vous savez combien je suis sensible à l’univers rural et austère de l’auteur de L’Annonce ou des Pays.

 

Comme dans chacun de ses romans, Marie-Hélène Lafon y évoque le Cantal. Cette fois, elle fait le portrait de Joseph, un ouvrier agricole d’une cinquantaine d’années. Discret, l’air de rien, il observe les autres, ce monde paysan qui disparaît chaque jour un peu plus. Il ne juge pas, ne prend pas parti pour la modernité ou le respect de traditions : il ne fait que constater une évolution inéluctable.

 

Contrairement à Paul, dans L’Annonce, Joseph n’a pas réussi à trouver une femme pour l’accompagner dans son quotidien. Il a bien essayé avec Sylvie mais cela n’a pas fonctionné. Tous deux se sont perdus dans l’alcool et depuis Joseph en est à sa troisième cure.

 

Alors que Joseph est doux et généreux, il est très seul. A la mort du père, sa mère décide de rejoindre son autre fils près de Rouen. Ce dernier a voulu fuir le Cantal et cette vie trop monotone. Comme de nombreux « jeunes », il remet en cause cette façon de vivre à la campagne : le fils du patron de Joseph, par exemple, aimerait reprendre à sa façon l’exploitation familiale. Il souhaite moderniser la profession en travaillant en collaboration avec les autres agriculteurs, en renonçant à des activités peu rentables comme la fabrication du Saint-Nectaire. Et surtout, il voudrait épouser une fille qui ne travaillerait pas sur l’exploitation, ce que ne peuvent comprendre ses parents convaincus que la femme doit aider son mari dans son travail. Quant à Joseph, lui écoute, mais on ne saura pas ce qu’il pense. Il appartient à cette culture pétrie de traditions, ne la remet pas en question mais ne l’idéalise pas non plus.

 

Au-delà de ces considérations sur la vie moderne, Joseph se replonge dans ses souvenirs. Il évoque sa famille, son parcours d’ouvrier agricole, des scènes plus ou moins terribles. Toutefois, Marie-Hélène Lafon dont j’admire le style sobre et poétique, se veut toujours subtile dans le récit des souvenirs : elle évoque sans raconter ; elle ne s’appesantit pas sur les scènes, elle suggère. Cette prose si singulière fait bien sûr penser à Flaubert et en particulier à sa nouvelle Un cœur simple. On retrouve d’ailleurs des allusions dans le texte : une des patronnes se nomme Mme Aubain, la mère de Joseph, Félicité, et un perroquet apparaît à quelques pages de la fin ! Cet hommage n’est pas vain car les deux textes (courts) sont empreints d’une même nostalgie voire tristesse. Comme Félicité, Joseph n’est pas un héros haut en couleur, c’est un homme simple et modeste, à l’instar de ce roman magnifique.

 

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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 11:49

sorj-chalandon-le-quatrieme-mur.jpgEn cette rentrée littéraire, j’ai eu un coup de foudre, un vrai, un de ceux qui vous dévaste et vous laisse sonné. Ce coup de foudre, je le dois au dernier roman de Sorj Chalandon : Le Quatrième Mur (Grasset). Certains sont déçus : ce n’est pas une vraie découverte, les critiques sont unanimes, le roman est en lice pour le Goncourt. Justement, ce roman est remarquable, et ne se limite pas à une simple lecture. Il s’adresse aux adultes comme aux adolescents et croise des thématiques aussi vastes que le théâtre, la guerre, l’amitié. Mais plus encore, le lecteur est invité à lire le destin d’un homme qui va jusqu’au bout de son engagement et ne parvient pas à revenir des Enfers, parce que la vie lui semble devenue insipide.


Comme vous le savez certainement, Sorj Chalandon est un ancien reporter de guerre. Au lieu de faire le récit de sa propre expérience, il choisit de créer son double : Georges, qui ne s’est pas journaliste mais simple metteur en scène amateur. Celui-ci  accepte l’idée folle de son meilleur ami, celle de monter la pièce Antigone  à Beyrouth. L’histoire se situe dans les années 1980, pendant la guerre au Liban. Georges n’a jamais mis les pieds dans un pays en guerre et n’a que peu d’expérience de la mise en scène. Mais il a fait une promesse à son ami, cloué dans un lit d’hôpital en soins palliatifs. Comment décevoir Sam qui, lui, est un véritable héros ? Grand metteur en scène, il s’est battu pour de nombreuses causes et  a été torturé sous la dictature des colonels. Donc, malgré la folie du projet, Georges accepte de partir pour Beyrouth en 1982. Mais pourquoi jouer Antigone ?


Souvenez-vous, Antigone a été créée par Anouilh et représentée pour la première fois en 1944 pendant l'Occupation allemande. Ce sont les fameuses affiches rouges demandant la condamnation des vingt-trois résistants qui ont inspiré Anouilh. Son Antigone sera une résistante préférant la mort à l’injustice. Il espère ainsi réveiller les consciences et offrir, le temps d’une représentation, un moment de répit. Et cela fonctionne : d’un côté, les Français applaudissent car ils se reconnaissent à travers Antigone ; de l’autre, les Allemands défendent le roi Créon qui impose la loi.  Précisément, Sam et Georges ont ce même rêve. Georges doit donc trouver des hommes et des femmes issues des différentes obédiences présentes à Beyrouth pour les convaincre de jouer un rôle dans la pièce. Ainsi, Antigone sera incarnée par une Palestinienne sunnite et son oncle, le roi Créon, par un chrétien maronite. C’est alors que l’on perçoit toute la complexité et l’ambiguïté de la pièce d’Anouilh : les différents comédiens acceptent de jouer car ils ont leur propre interprétation en fonction de leur personnage. L’acteur interprétant Créon est un Chrétien, il se reconnaît dans ce personnage qui est le garant  de l’ordre tandis que la Palestinienne interprétant Antigone se reconnaît dans cette jeune fille rebelle acceptant la mort plutôt que de renier ses convictions.


D’emblée, j’ai évoqué le public visé par ce roman car il me semble particulièrement intéressant que les lycées puissent étudier de façon croisée Antigone et Le Quatrième Mur qui offre une nouvelle interprétation du mythe. Surtout, Chalandon propose une utopie : est-il possible que, le temps d’une représentation théâtrale, Palestiniens, Chrétiens,  Phalangistes et Druzes s’accordent un moment de trêve ?


Mais rien ne se passe comme Georges et Sam l’on imaginé : la représentation d’Antigone ne pourra pas avoir lieu à cause du massacre du camp palestinien de Chatila en septembre 1982. Les pages décrivant la découverte de ces tueries sont terribles et émouvantes. Sorj Chalandon apparaît clairement derrière ces descriptions si réalistes. Dans cette deuxième partie du roman, il pousse son personnage à la folie. Car Georges ne parvient pas à sortir de cette guerre. Il a beau avoir quitté le Liban et retrouvé sa famille, la guerre lui colle à la peau : il ne s’habitue pas à la banalité du quotidien et à ses petites misères. J’ai aussitôt repensé à Primo Lévi, Robert Anthelme et aux témoignages de certains déportés expliquant combien il était difficile de revenir à « la vie normale ». Et Georges semble ne pas en être capable. Il est cette Antigone qui n’accepte pas l’existence telle qu’elle se présente, il refuse le compromis dans lequel il se trouve : fuir la guerre et revenir, en France, en paix. Sorj Chalandon a accepté ce dilemme, mais a voulu aller au bout de la nuit avec Georges.


Le Quatrième Mur est un roman sublime, profond qui m’a bouleversée et que je vous recommande sans aucune réserve.

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23 septembre 2013 1 23 /09 /septembre /2013 09:21

animaux-solitaires-holbert.jpgApriori, je ne suis pas amatrice de westerns. Et puis, cet été, lassée des romans désespérément réalistes, j’ai lu Légendes d’automne de Jim Harrison. Ces nouvelles m’ont tellement bluffée que je me suis fait une nouvelle opinion de ce genre que je jugeais macho, ringard et sans réelle profondeur. Il se trouve qu’en cette rentrée littéraire, à en croire Le Monde des Livres du 5 septembre et les tables des librairies, le western a le vent en poupe. Je me réserve Faillir être flingué de Céline Minard et Arizona Tom de Norman Ginzberg pour plus tard, et commence par une valeur sûre : un premier roman publié chez Gallmeister, Animaux sauvages de Bruce Holbert. Valeur sûre car Oliver Gallmeister est un éditeur exigeant, passionné par les polars américains et le « nature writing ». Animaux sauvages réunit ces deux genres littéraires. Ne faisons pas durer le suspens : j’ai adoré ce roman !

 

Pour commencer, j’ai eu une véritable sympathie pour le héros solitaire, Strawl, vieux shérif à la retraite, violent, n’hésitant pas à dégainer son arme pour faire régner l’ordre. Strawl n’est pas un gars subtil, il ne s’embarrasse pas de longs discours pour se faire obéir, il sort son flingue et tire, sans état d’âme. Et pourtant, c’est un être complexe, réfléchi qui tente de comprendre la logique des criminels qu’il pourchasse depuis tant d’années. Retraité, il accepte néanmoins un nouveau contrat : traquer un tueur d’Indiens. Avec son fils adoptif, il part à la poursuite de ce monstre qui massacre méticuleusement des Indiens.

 

Et ces massacres, Bruce Holbert, les décrit avec moult détails. Mais cette violence exacerbée est nécessaire car l’Amérique dans laquelle chevauche Strawl a perdu ses repères : Blancs comme Indiens, shérifs comme bandits, tout le monde est pourri, corrompu, menteur, truand. Et Strawl comme Elijah vont croiser différents personnages dont aucun n’inspirera confiance. Si les descriptions des meurtres et des cadavres sont crues, Bruce Holbert offre de longues descriptions poétiques des territoires sauvages de l’ouest américain. L’écriture crue des dialogues laisse place alors à une prose plus poétique et ce mélange m’a totalement charmée.

 

Ne pensez pas que ce roman est plombant : Animaux sauvages ne manque pas d’un certain humour noir. Elijah est une sorte de prophète qui souhaite évangéliser son entourage mais qui se révèle être un fou capable de réaliser ses propres prophéties pour prouver qu’il dit la vérité. Ce personnage, dangereux, m’a fait rire, tant il est excessif. Entre deux actions, père et fils se retrouvent à disserter sur le bien et le mal, Shakespeare et la Bible. Ces discussions paraissent improbables, mais elles apportent du sel à l’intrigue. J’ai particulièrement aimé ces mélanges de genres, ce style touffu et ces digressions philosophiques.

 

Animaux sauvages est une belle découverte de la rentrée littéraire. 

 

En complément, je vous recommande la lecture du billet de Marc Villemain.

Pour lire les premières pages du roman, rendez-vous sur le site des éditions Gallmeister.

 

 

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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 17:54

la-silencieuse.jpgC’est très émue que je referme ce premier roman d’Ariane Schéder, La Silencieuse (aux éditions Philippe Rey). Je ne m’attendais pas à ressentir un tel sentiment en lisant le résumé du roman en quatrième de couverture : « C’est dans une grande maison isolée au bord du fleuve que Clara vient se réfugier après une rupture amoureuse. Là, elle passe ses journées dans l’atelier à sculpter d’aériennes silhouettes, des mobiles qui touchent terre […] ». À présent, je me souviens avoir éprouvé cette même émotion après avoir lu le premier roman d'Anne Percin, Bonheur Fantôme, roman traitant du même sujet.

 

Dès les premières pages, je me suis laissée charmer par l’écriture délicate et sobre d’Ariane Schréder. Certes, l’histoire est banale : comme vous l’avez compris, il s’agit d’une jeune femme qui, ravagée par une peine de cœur, quitte Paris pour la campagne. En réalité, le roman ne se limite pas à des rencontres décisives, il aborde le thème de la solitude et du silence à travers le prisme de l’art et de la sculpture en particulier. Giacometti et Arp sont les deux grands sculpteurs mis en avant, pour des raisons strictement différentes puisque le premier exprime la violence et la mort tandis que le second la douceur et l’harmonie. L’auteur distille des réflexions sur la création avec beaucoup de subtilité, sans que le lecteur se dise, comme c’est parfois le cas (je repense notamment à L’Élégance du hérisson), qu’il retranscrit des notes de lectures.

 

Le titre La Silencieuse annonce donc le fil rouge du roman puisque Clara passe ses journées seule dans sa grande maison pour sculpter, auprès de son chaton. Elle sympathise avec différents personnages, les uns sont extravagants, à l’instar d’Ameline, une pharmacienne divorcée qui consacre l’essentiel de son temps à trouver le père de ses enfants ; les autres au contraire sont introvertis, comme Omar, le voisin.

 

La narratrice observe donc ses amis, son animal de compagnie, la nature qui évolue au fil des saisons. Le rythme des phrases embrasse celui de ses réflexions : il se veut lent, et sans heurt. La narratrice cherche à trouver un nouvel équilibre de vie, loin de la « civilisation », auprès de gens simples. On pourrait croire ce livre ennuyeux, ce qu’il n’est absolument pas. Le temps de la lecture, on retrouve, comme par enchantement, une certaine sérénité, même si, comme l’annonce la quatrième de couverture, un événement va chambouler l’équilibre retrouvé, bouleversement qui clôt ce roman tendre et poétique sur une promesse. 

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7 février 2013 4 07 /02 /février /2013 18:33

la-tunique-de-glace.jpgSi vous connaissez un peu l’œuvre de William T. Wollman (Pourquoi êtes-vous pauvres ?, Histoire des violences…), vous ne pourrez être surpris par l’épaisseur de son nouvel opus, La Tunique de glace (plus de 650 pages si l’on compte les nombreuses notes). L’auteur de La Famille royale a la réputation d’être un ogre errant, qui aime traîner ses guêtres à travers le monde, et surtout en Amérique pour rapporter des histoires qu’il modèle et façonne à sa manière, sans jamais suivre les codes ni les traditions. Ainsi, dans La Tunique de glace, Vollmann souhaite raconter la légende des rois vikings à la conquête de l’Amérique. Mais, comme nous avons affaire à un ogre, l’auteur ne va pas se contenter de faire le récit de quelques moments clés de l’histoire scandinave… Ce serait mal le connaître. Il va nous offrir un Cycle des sept rêves, auquel appartient ce premier volume, La Tunique de glace (éditions Cherche Midi, coll. Lot 49, traduction Pierre Demarty).

 

Ce roman copieux a souhait m’a beaucoup enthousiasmée, car La Tunique de glace est une véritable épopée, qui n’a rien à voir avec ce que certains vous disent parfois de romans historiques de plus de deux cents pages pour vous allécher. Avec Vollmann, vous sortez véritablement repu. D’abord, parce que le texte regorge de phrases longues et amples, rapportant des légendes fabuleuses, ensuite, l’auteur propose des dessins de son cru, des cartes, des glossaires et des notes. Pour se permettre d’écrire ces légendes islandaises, qui s’étendent sur plusieurs siècles, Vollmann a lu tous les textes nordiques, les sagas islandaises, royales, mais encore la saga d’Erik le Rouge. Comment puis-je le savoir ? Grâce aux nombreuses notes qui sont un véritable prolongement du texte et qui permettent d’en savoir plus sur les sources mais également sur les légendes en elles-mêmes.

 

Mais si Vollmann se contentait d’avoir beaucoup lu pour écrire, vous me rétorqueriez que c’est un simple érudit, capable de restituer de façon contemporaine des légendes. Il est allé, au contraire, découvrir sur place ces régions du nord des Etats-Unis. Il offre des descriptions à la fois grandioses et apocalyptiques de ce grand nord si violent qui le fascine (la conquête par les vikings fut bien sûr sanglante). En témoin de son temps, Vollmann participe en tant que narrateur actif au spectacle qu’il contemple. Il n’hésite pas, au cœur de ses récits mythologiques, à introduire des réflexions philosophiques et économiques. C’est ce mélange des genres, des époques, des styles qui fait la richesse et surtout la complexité de ce texte. Vollmann recrée ainsi sa propre version des légendes nordiques avec ses codes et son style. On ressort de cette lecture complètement groggy, mais bon dieu, que c’était bon !

 

 

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 17:05

une vie de racontarsIl neige, c’est l’hiver… Vous vous sentez morose, déprimé… Le grand froid n’est vraiment pas fait pour vous ? J’ai la solution à ce drame que je traverse péniblement comme vous chaque année : Une vie de racontars  (tome 1) de Jorn Riel. Si vous n’avez jamais entendu parler de cet auteur danois génial, auteur de nombreux recueils de racontars, je vous propose une séance de rattrapage ici.


Pour les autres, ceux qui connaissent son humour décapant, sa truculence, alors sa Vie de racontars est faite pour vous. Comme dans ses autres recueils, Riel raconte le grand Nord. Il se remémore, à sa façon, ses souvenirs au Groenland, mais aussi à Paris (où il découvre la beauté des petites Françaises dévergondées), à Prague, en Nouvelle-Guinée…

 

Contrairement à une autobiographie classique, Jorn Riel nous évoque ses souvenirs, au gré de ses envies. Toutefois, dès la première ligne, il explique ce qui lui a donné le goût du voyage et par voie de conséquence, de l’écriture : son père et son goût pour les masques africains.

 

Aussi, ces souvenirs ne sont-ils que des anecdotes exotiques, des épopées folles, burlesques qui mettent en joie parce que ce qui importe dans les voyages version Riel, ce sont les rencontres.

 

Certes, Riel n’est pas un grand styliste mais il a le sens de la répartie et surtout un réel plaisir à partager ses expériences. J’aime Jorn Riel parce qu’il m’embarque avec lui dans ses aventures, même quand je me sens lasse et que je n’ai qu’une envie, me blottir bien au chaud sous ma couette en attendant le printemps. Chaque racontar est une bouffée d’air frais, un bonbon que l’on se dépêche d’engloutir, avec gourmandise.

 

 Retrouvez ici une interview que j'avais faite en octobre 2008.

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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 18:44

jimmy-le-terroriste.gifJe viens encore de lire un très bon roman, Jimmy le terroriste, d’Omair Ahmad (aux éditions Phulippe Picquier). A priori, le titre n’est pas très heureux et en même temps, il est très bien choisi. En effet, le roman retrace le destin d’un jeune homme, Jamaal, surnommé Jimmy, battu à mort par des policiers après avoir poignardé l’un des leurs. Vous croyez que je vous ai raconté la fin et qu’il n’est plus la peine de lire ce si bon roman ? Erreur : cette information nous est donnée dès le prologue.

 

Ce qui fait le sel de Jimmy le terroriste, ce n’est pas cet acte terrible, c’est le chemin qu’a parcouru Jamaal pour en arriver à ce point sans retour : le meurtre d’un policier. Parce que Jamaal n’est pas un bad boy. Il n’appartient pas à une bande de mauvais garçon. Il est exactement le contraire. Et son acte, si on ne le situe pas dans son contexte est incompréhensible.

 

Jimmy le terrorisme se situe dans une ville imaginaire de Moazzamabad, dans la partie nord de l'Uttar Pradesh, en Inde dans les années 1990. Les musulmans sont menacés par les hindous qui règnent en maître sur la ville, détruisent les mosquées. C’est dans ce contexte d’insécurité, de violence et d’humiliation que grandit Jamaal.

 

Orphelin de mère, Jamaal se retrouve seul auprès d’un père qui ne le comprend pas. En quoi se différencie-t-il de la plupart des enfants ? Son père, après avoir été renvoyé de l’université, décide d’enseigner à l’école coranique. Jamaal évolue dans un milieu très religieux, et est au plus près des conflits qui déchirent l’Inde. Il est fatalement beaucoup plus sensible que la plupart de ses camarades aux conflits opposant les musulmans et les hindous. Pourtant, Jimmy est un garçon tranquille, qui ne cherche pas les histoires, se tient à l’écart des autres. Et pourtant, la situation politique et religieuse empêche Jamaal d’évoluer paisiblement à Mozaamabad. Le danger imminent partout instille en lui une peur, une angoisse incommensurables.

 

Omair Ahmad est un vrai conteur : Jimmy le terroriste se lit d’une traite, avec un très grand plaisir. On s’attache d’abord au père Rafiq, qui rêve de s’élever dans la société, puis à la mère, qui meurt suite à son accouchement, et enfin à Jamaal, le héros, qui, pourtant ne commet aucun acte héroïque. Le roman tend à montrer que ce garçon n’avait pas d’autre choix que de passer à l'acte : parce qu’il se trouve dans ce lieu à ce moment précis, Jimmy a été contraint de commettre cet acte irréparable, la mort du policier.

 

Je vous recommande très chaleureusement ce roman qui est un concentré de vie : on y rit, on y pleure, on se berce d’illusion, on éprouve de la tendresse puis de la pitié pour Jamaal. Bref, Jimmy le terroriste est un roman très attachant qui permet à la fois un certain dépaysement mais aussi un retour sur soi : les conditions géographiques et politiques conditionnent-elles nos choix de vie ? Je vous laisse découvrir ce magnifique roman et attend vos réactions. 

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23 novembre 2012 5 23 /11 /novembre /2012 17:44

fermer-l-oeil-de-la-nuit.jpgJ’ai terminé ma première lecture du court récit de Pauline Klein depuis des semaines déjà, mais j’ai été incapable d’écrire la moindre ligne. Je l’ai relu en me disant que je devais absolument partager ce texte vous, texte que je trouve magnifique, non seulement par les thèmes qu’il aborde mais surtout par son écriture. L’auteur prête une grande importance aux mots, au rythme et aux voix.

 

Fermer l’œil de la nuit est le deuxième roman de Pauline Klein, et comme le premier, Alice Khan, il est édité chez Allia. La construction du roman semble linéaire et pourtant, l’auteur s’amuse à nous perdre en brouillant les identités des personnages. Au départ, il s’agit d’une jeune femme solitaire, mal dans sa peau, repliée sur elle-même. Elle emménage dans un appartement qu’elle prend soin de décorer avec des tableaux, affiches et autres éléments qui n’ont aucune prise dans sa réalité, ne lui évoquent rien. Son existence est ailleurs. Dans son imaginaire.

 

C’est là que les choses se compliquent pour le plus grand plaisir du lecteur qui ne sait plus si la narratrice divague ou si elle nous rapporte des faits réels. Ainsi, au cours d’une conversation avec sa mère, elle découvre que son père aurait eu un fils. Elle décide de partir à sa recherche, retrouve un homme portant le prénom et le nom de ce fils potentiel et s’en fait un frère, une sorte de jumeau qui éprouverait les mêmes sensations, les mêmes doutes qu’elle. Elle entre donc en contact avec ce frère qu’elle désire désormais connaître viscéralement. C’est un boucher, aujourd’hui en prison. Qu’à cela ne tienne, la narratrice lui propose de partager, vivre par procuration son existence : épier les voisins à travers le judas de sa porte qui, grâce à lui, « va devenir un œil de bœuf ».

 

En effet, la narratrice désœuvrée, est obsédée par la vie de ses voisins : lui, Claude Tissien, est artiste peintre, elle, Diane Toth, est écrivain. Voyeuriste à l’extrême, elle s’incruste dans leur appartement, jusque dans leur intimité. Elle les écoute parler, se déplacer, les observe par l’œil de bœuf de sa porte puis fait le récit fantasmé de ses observations à son pseudo-frère.

 

Tout, dans ce roman, est en miroir, et multiplie les points de vue. La narratrice découvre la page Wikipédia de Tissien et apporte sa propre contribution, lui offrant une autre version de son existence. De son côté, le travail artistique de Titien consiste à matérialiser et mettre en scène des cadavres de volatiles. Quant à Diane, elle bosse à Pôle emploi, ce qui lui permet de fantasmer la vie des gens qu’elle reçoit en entretien, et qui deviendra la matière de ses romans.

 

Et, justement, tandis que la narratrice semble nous inviter à un ailleurs, elle demeure prisonnière de son propre intérieur : ses voisins « sont des personnages » qui se cachent derrière des pseudonymes et n’existent, comme le frère, que grâce à ce qu’elle veut bien nous en dire. Mais ce frère, ces voisins existent-ils réellement ? Pauline Klein s’amuse à brouiller les pistes, à interroger le lecteur sur la disparition du sujet.

 

Je vous recommande très chaudement ce texte pour la beauté du style, sa vision de l’art contemporain, son histoire singulière et étrange. J’ai été conquise. Vraiment !

 

 

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