Rions un bon coup : Patrick Poivre d’Arvor s’est enfin fait piéger… Et je dois bien avouer que je savoure avec un plaisir non dissimulé ces révélations et démentis dans les médias. Enfin la vérité éclate au grand jour ! Depuis des années, le petit milieu sait que l’ancien journaliste du 20 heures n’écrit pas vraiment tout seul ses livres… Mais personne n’a jamais eu des preuves tangibles pour le dire haut et fort sans risquer un procès. Lors de mon enquête sur les nègres littéraires, j’ai eu au téléphone des personnes qui avaient eu à travailler pour lui, m’expliquant la façon dont elles avaient collaboré avec lui mais me demandant de ne rien révéler. Personne n’aurait eu le culot d’affirmer que l’animateur de Vol de Nuit, le fondu de littérature, n’écrit pas seul ses livres. Mais depuis le scoop de L’Express du mardi 4 janvier, le mythe PPDA s’est effondré.
J’ai été passionnée à plus d’un titre par cette enquête qui montre sans équivoque que la biographie que PPDA compte publier fin janvier aux éditions Arthaud sur Ernest Hemingway a été très fortement inspirée d’un texte de Peter Griffin, paru aux Etats-Unis, en 1985, aux éditions Oxford University Press. La biographie a été traduite puis publiée chez Gallimard en 1989 mais serait aujourd’hui quasi introuvable. Le journaliste montre des similitudes évidentes entre les deux textes. Et pour enfoncer le clou, il publie les textes originaux et plagiés en vis-à-vis…
Il est d’abord étonnant que ce journaliste de L’Express soit capable de savoir que la biographie de Poivre d’Arvor est un plagiat et de donner des exemples précis. De même, il est en mesure de penser qu’il aurait fait appel à un nègre, Bernard Marck parce qu’une « discrète mention, étrangement placée sous les "crédits photographiques", en toute fin de sa biographie, intrigue : "Remerciements à Bernard Marck, grand spécialiste du Paris de l'entre-deux-guerres" ». Et de préciser que Bernard Marck, « ancien rédacteur en chef d'Aéroports Magazine, est connu comme un historien de l'aviation, sujet auquel il a consacré de très nombreux ouvrages - il a par exemple publié un Il était une foi Mermoz (éd. Jean Picollec), en 2002, un an avant que PPDA sorte lui aussi un ouvrage consacré au célèbre aviateur, en collaboration avec son frère, Olivier. En 2006, le présentateur de TF 1 fera même d'un autre livre de Bernard Marck, Rêve de vol, son "coup de cœur" de l'émission littéraire qu'il présentait alors sur LCI ».
Comment le journaliste de L’Express est-il en mesure de penser que cet homme serait le nègre de PPDA ? Comment a-t-il eu l’idée de se dire que ce remerciement à la fin de l’ouvrage est étrange ? Le journaliste sait qu’il prend des risques en faisant de telles affirmations. S’il se le permet, c’est qu’il est bien renseigné. Soit, c’est Marck lui-même qui a vendu la mèche, mais ce n’est pas très crédible puisqu’il est accusé de plagiat, soit, c’est une petite main de la maison d’édition qui l’a révélé au journaliste. Ce qui ne m’étonnerait pas, ayant eu vent nombre de fois de ce genre de situations mais sans pouvoir avancer une preuve concrète. Le plagiat est LA preuve imparable qui autorise un journaliste à révéler une collaboration secrète.
Mais L’Express ne s’est pas arrêté à ces deux faits. Le journaliste explique la raison pour laquelle il serait logique que PPDA ait un nègre : il n’a matériellement pas le temps de mener à bien toutes ses activités professionnelles (et j’ajouterai personnelles que l’on sait tumultueuses) : « Il est vrai que ses journées ne lui laissent guère le loisir de travailler à de volumineuses biographies. Ces temps-ci, outre une émission hebdomadaire sur France 5 (La Traversée du miroir), une chronique quotidienne dans France-Soir, la direction, avec son frère Olivier, de la collection d'anthologies littéraires Mots pour mots aux éditions du Seuil et la mise en scène, l'été dernier, d'un opéra (Carmen), PPDA continue à être un écrivain prolifique. Souvent avec succès : il a ainsi obtenu le prix Interallié en 2000, pour L'Irrésolu, et s'est hissé jusqu'à la première sélection du Goncourt 2006, pour Disparaître, cosigné avec son frère. Si l'on s'en tient à la seule année 2010, il a publié un roman, cosigné deux essais, réuni huit anthologies et rédigé six préfaces... »
Poivre d’Arvor a donc une bonne excuse pour ne pas écrire ses livres : il n’a pas le temps. Le problème c’est que précisément, cet ancien journaliste de TF1 a consacré sa vie à se faire passer pour un écrivain. Dans toutes ses interviews, il affirme écrire chaque nuit entre minuit et quatre heures du matin, parce que c’est un besoin vital pour lui. Il a voulu conserver son émission littéraire le plus longtemps possible malgré son horaire très tardive et le peu d’audimat parce qu’il se voulait homme de lettres. Jamais il ne reconnaîtra avoir fait appel à un collaborateur, jamais, contrairement à ce qu’a pu dire Christophe Barbier sur France 5, il ne se remettra d’un tel coup. Certaines personnes se persuadent tellement qu’elles sont auteurs qu’il leur est inconcevable d’admettre qu’elles n’écrivent pas. Elles sont persuadées de le faire.
Cette situation est si intolérable pour PPDA que les éditions Arthaud ont dû livrer, au Monde, une excuse à ce plagiat : son éditrice, Noëlle Meimaroglou, déclare : « la première partie qui a été imprimée est de la paraphrase grossière, une sorte de fiche de lecture géante du livre de Griffin". Mais, martèle-t-elle, "il ne s'agit aucunement de plagiat". Pour une raison simple : "La version que cite Jérôme Dupuis n'est qu'une version de travail. La version définitive, qui sortira le 19 janvier, est très différente. » Le problème de cette excuse c’est que le journaliste de L’Express s’est basé sur le livre envoyé aux journalistes avant leur sortie en librairie (et bien sûr dédicacé) et non sur des épreuves… S’enfonçant un peu plus encore, l’éditrice ajoute qu’elle était en congé au moment des envois et « Au service de la fabrication, explique-t-elle, ils ont pris sur le serveur commun un mauvais fichier, et c'est celui-là qui a été imprimé." Or ce fichier, précise-t-elle, était constitué de "notes de lecture" qui n'étaient pas "destinées à être publiées". "C'est de la documentation, comme celle qu'établit n'importe quel auteur qui prépare une biographie ». Mais le journaliste du Monde ne s’en laisse pas compter. Il demande pourquoi alors l’ouvrage de Griffin plagié n’est pas cité dans la bibliographie : « Tout est allé trop vite, c'est de notre faute, Patrick est légitimement furieux et j'assume notre responsabilité ». J’imagine combien cette conversation a dû être pénible pour une éditrice obligée de couvrir une pratique fort peu louable… Toutefois, on peut aussi se demander quelle est véritablement la part de responsabilité de l’éditrice dans une telle affaire. Que ce soit PPDA ou le nègre employé pour l’occasion, l’éditeur est censé vérifier qu’il publie une œuvre originale.
Et sur ce point, Poivre d’Arvor ne s’est pas privé de rejeter l’entière responsabilité sur son éditrice, déclarant dans le Nouvel Obs : « Je suis sidéré par ce que j’ai pu lire ou entendre depuis 48 heures. Je suis soupçonné de plagiat pour mon prochain livre, qui ne sortira en librairie que fin janvier, sur la base d’une version qui n’est pas la bonne ni la définitive, comme l’ont expliqué mardi les Editions Arthaud qui, sitôt la faute découverte, ont réagi très loyalement en la reconnaissant et en présentant leurs excuses. » Il explique ensuite comment il a travaillé durant une année et demie sur ce livre, faisant des coupes, des corrections… Et de conclure en se dédouanant une fois encore : « Est-ce qu’une erreur fâcheuse, assumée par l’éditeur, autorise ce déchaînement de malveillance que je constate ici ou là? Je souhaiterais simplement être jugé sur l’ouvrage définitif que je signe et assume, qui sera très bientôt disponible pour les libraires et le public, et qui m’a mobilisé pendant dix-huit mois. J’aimerais qu’on ne juge mon livre que lorsqu’il sera publié et que me soient épargnés ces pénibles procès d’intention. »
À le lire, on le croirait sincère et on le plaindrait presque. Presque….