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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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4 septembre 2012 2 04 /09 /septembre /2012 17:41

a-perdre-la-raison.jpgPour ceux qui ont le cœur bien accroché et qui ne craignent pas de regarder, pendant deux heures, une jeune femme, partir à la dérive, je vous conseille d’aller voir le dernier film de Joachim Lafosse À perdre la raison. J’ai choisi ce film un peu par hasard, sans connaître l’histoire, si bien que j’ai frissonné jusqu’au générique de fin. Il semble que Lafosse se soit inspiré d’un fait divers belge pour écrire le scénario. En Belgique, la famille aurait même tenté d’interdire la sortie du film. Mais, n’ayant aucune connaissance de ce drame, j’ai pu profiter pleinement de ce très beau film qui m’a profondément touchée car il interroge sur la féminité, le couple, l’altruisme…

 

Au début, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : Muriel (Émilie Dequenne) et Mounir (Tahar Rahim) s’aiment et veulent se marier. Elle est professeur, lui tente de passer des concours (le bac ?) pour obtenir du boulot. Elle est française et lui est marocain. Il habite chez un médecin très aisé, généreux et quelque peu étrange. Lors de sa première apparition André Pinget (Niels Arestrup) s’excuse de ne pas rester : il a une urgence. La première rencontre est donc avortée, et même si le spectateur est désarçonné par cette attitude froide, il l’oublie à la scène suivante quand André invite à dîner les deux tourtereaux dans un restaurant chic. Le mariage a lieu sous les meilleures auspices en apparence, mais plusieurs ombres viennent noircir le tableau : les parents de Muriel sont absents, il n’y a aucun ami et l’on apprend que la sœur de Mounir a fait un mariage blanc avec André qui a aussi adopté le frère. Seulement, le cadet s’impatiente : il est resté seul au Maroc avec sa mère et voudrait lui aussi profiter des avantages de la vie en France. Muriel découvre lors de son mariage que l’organisation de la famille de Mounir est plus complexe et moins idyllique qu’elle n’y paraît.

 

Pour lui permettre de mettre le pied à l’étrier, André Pinget propose au jeune couple de demeurer chez lui et offre un poste d’assistant médical à Mounir. Quelques scènes (complètement irréalistes) montrent Muriel enseigner à des élèves de 6e d’une tranquillité totale. Elle est belle, souriante, épanouie. De son côté, Mounir s’adapte très bien à son travail. Bref, la vie coule paisiblement. Les mois passent pourtant et Muriel est enceinte. Une petite fille naît. Ils sont maintenant à quatre sous le même toit. Le couple se demande s’il ne serait pas plus raisonnable de déménager, voire d’habiter au Maroc, la vie y étant moins cher. Mounir, très mal à l’aise, en parle à André qui s’énerve. Dès lors, on comprend que le couple n’est pas libre d’évoluer comme il le souhaite : André tire toutes les ficelles. Les scènes suivantes témoignent d’une atmosphère de plus en plus lourde, étouffante. Les naissances se succèdent. Muriel, très isolée, passe ses journées en classe puis avec ses enfants. Mounir s’éloigne d’elle au point de prendre deux semaines de vacances au Maroc sans elle. La dépression la guette : Muriel est de moins en moins souriante, ses jupes s’allongent, elle a perdu sa fraicheur, sa gaité.

 

a-perdre-la-raison-2.jpg


Peu à peu, la solitude s’installe durablement. À cause de l’omniprésence du docteur, le couple n’a pas la liberté de s’exprimer librement, ni recevoir la sœur de Muriel… Les liens se distendent d’autant plus que Mounir, incapable d’assumer son rôle de mari et de père, refuse quitter André Pinget. Pour contenter tout le monde, le médecin propose de leur acheter une maison plus spacieuse et de vivre avec eux en locataire. Cette solution, qui ne satisfait pas Muriel, les condamne à demeurer tous sous le même toit.

 

J’ai été très émue par la manière dont Joachim Lafosse fait le portrait d’une jeune femme qui a tout pour être heureuse mais ne l’est pas. De façon subtile, il dépeint une enseignante joyeuse, amoureuse, heureuse de fonder une famille avec un homme d’une culture différente qui l’attire. Muriel est fascinée par Maroc où elle se rend chaque fois que Mounir visite sa famille. C’est là, avoue-t-elle, qu’elle se sent le mieux : elle se sent en sécurité auprès d’autres femmes isolées comme elles et pourtant solidaires. Les images du Maroc, au bord de la mer, sont particulièrement touchantes.

 

Ce qui fait la force de ce film, c’est que l’on s’identifie à chacun des personnages qui, à un moment où l’autre montre ses bons comme ses mauvais côtés. Les protagonistes ne sont pas manichéens. Ainsi, même si Mounir apparaît comme un garçon souvent absent, lâche, impatient avec ses enfants, on comprend aussi ses agacements : Muriel n’est pas toujours fiable, ses réactions peuvent être inattendues, son physique comme son apparence ont changé… Surtout, Mounir essaie de composer avec les souhaits de Muriel et d’André son protecteur. De son côté, le médecin est un philanthrope. Il se montre d’une incroyable générosité avec la famille de Mounir d’abord, puis avec le couple. Pourtant, au fil des scènes, on s’aperçoit que ses cadeaux ne sont pas gratuits : le couple doit lui obéir, accepter de vivre dans la même maison que lui et renoncer à sa liberté. Finalement, André, malgré ses largesses, se montre aussi despotique.

 

Joachim Lafosse prend le temps de montrer la descente aux enfers de ces personnages et en particulier de cette femme qui asphyxie dans un espace confiné, communiquant très peu avec l’extérieur : André et Mounir travaillent ensemble, Muriel est en arrêt maladie quand elle n’est pas en congé maternité… Son entourage ne comprend pas son attitude de mollesse et ses accès de folie. Mais le spectateur qui partage ses journées de solitude comprend ses angoisses ; contrairement à Mounir et au médecin, il prend toute la mesure de son désarroi.

 

Ce film est magnifique, troublant, dévastateur, éprouvant, tragique… J’ai été secouée longtemps après la fin du générique. Il m’a fallu quelques heures pour décompresser tant j’ai été touchée par le destin de cette famille. J’émettrai deux petits bémols. D’abord, je ne sais pas de quel milieu est issue cette famille recomposée, n’ayant rien lu sur le fait divers inspirant ce film, mais elle me semble trop cossue. En effet, Mounir est assistant médical et Muriel enseignante. Les salaires ne sont donc pas mirobolants. Reste le docteur Pinget qui est généraliste… Est-il vraiment nécessaire de proposer des lieux si prospères ? Paradoxalement, on ne comprend pas pourquoi Muriel n’a pas insisté davantage pour prendre leur propre appartement en Belgique, leurs salaires étant suffisants pour ne pas avoir à s’exiler au Maroc… J’ai lu dans Wikipédia que Lafosse était issu « de la grande bourgeoisie fortunée de Flandres », ceci expliquant peut-être cela. Le second bémol est la bande-annonce que je n’ai pas vue avant le film, heureusement car elle est beaucoup trop explicite.

 

À perdre la raison est un film d’une extrême sensibilité. Certaines scènes sont absolument magiques. Ainsi Muriel chantonnant seule en voiture « Femme je vous aime » ou elle encore accompagnant sa belle-mère dans les vagues, mettant pour la première fois les pieds dans l’océan. Au-delà de la violence de la situation familiale intenable, paradoxalement, Joachim Lafosse offre un film d’une douceur absolue. 

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