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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 09:24

l-ennemi-declare.jpgAprès vous avoir fait brièvement part de mon admiration pour l’œuvre littéraire de Jean Genet, je souhaite partager avec vous un recueil de textes et d’entretiens très instructifs sur ses engagements sociaux et politiques : L’Ennemi déclaré (Folio).

 

Pour bien comprendre l’écrivain, il faut garder en mémoire que Genet a passé une grande partie de son existence en prison, et que c’est incarcéré, dans la solitude absolue qu’il a écrit ses cinq  œuvres majeures. Après sa libération, il a passé plusieurs années dans le silence puis a composé cinq pièces de théâtre qui remportèrent un vif succès. Malgré l’enthousiasme qu’il rencontre, le soutien d’écrivains comme Cocteau ou Sartre, il s’éloigne de l’écriture pour s’engager dans différents combats politiques. C’est ce parcours militant que l’on découvre dans L’Ennemi déclaré.

 

Le recueil est une véritable réussite d’un point de vue éditorial. Certes, Genet est mort avant de l’avoir complètement finalisé mais, pour palier cette absence, Albert Dichy propose une introduction, une chronologie détaillée et surtout une présentation, en notes, de tous les articles recueillis. Ainsi, le contexte et les différentes références politiques sont exposés clairement. Ces textes et entretiens ont paru entre 1970 et 1983.

 black-panthers.jpg

D’emblée, j’ai été surprise par les nombreuses causes auxquelles Jean Genet s’est rallié : bien sûr les Blacks Panthers aux Etats-Unis mais aussi les Palestiniens, la fraction armée rouge (ou bande à Baader), l’immigration…

 

Même si ces textes sont avant tout argumentatifs et dénoncent la domination des puissants sur les plus faibles (la police contre les citoyens, les Blancs contre les Noirs, les patrons contre les ouvriers, etc.), la littérature est toujours présente. Ainsi, Genet, se ralliant aux Black Panthers, explique : « j’apporterai dans ma lutte avec eux ma même ténacité, la même rigueur que celles qui étaient les miennes quand j’écrivais, solitairement, dans les prisons.

Je suis avec les Black Panthers. Comme Richard Wright [auteur de Black Boy] était déjà avec moi quand je suis sorti de prison pour la dernière fois. »

De même, il associe sa recherche littéraire au combat des Black Panthers et demande aux intellectuels blancs d’entrer dans la lutte, une lutte à la fois politique et langagière : « Je crois que le temps est venu d’user d’un vocabulaire également neuf et d’une syntaxe capable de rendre chacun attentif au double combat, poétique et révolutionnaire, des mouvements qui sont chez les Blancs comparables à ceux des Black Panthers. »

 

enfants-soldats-en-palestine.jpgGenet, lors de ses conférences aux Etats-Unis, explique ainsi le quotidien des Noirs, qui sont opprimés se sentant sous le joug du fascisme imposé par les Blancs. Il dénonce non seulement le racisme des Blancs mais aussi l’attitude paternaliste des chefs d’Etat. De Gaulle est visé sans être spécifiquement nommé. Avec virulence, Genet pointe du doigt la civilisation américaine qui repose tout entière sur le mépris. Il liste alors toutes les institutions (les syndicats, la presse, la pub, la télé, les universités, la police, etc.) qui passent leur temps à « mentir », c’est-à-dire à édulcorer la vérité (la haine du riche à l’égard du pauvre, du Blanc à l’égard du Noir), à inculquer des valeurs telles que l’avilissement, le racisme, l’abêtissement…

 

Les textes concernant la Palestine sont évidemment complexes et nombreux. Il y est question des conditions de vie des Palestiniens (et surtout des femmes), des prisonniers, des camps… Pour avoir une idée plus précise du sujet, Genet a fait un reportage avec un photographe en Palestine. Prenant la défense des plus faibles contre les dominants, l’écrivain explique pourquoi les Juifs se sont emparés de la Palestine au détriment des Arabes : « Deux mille ans d’humiliations ont permis de comprendre les ressorts – ou les mécanismes – de la psychologie, et leur utilisation à distance. Deux mille ans passés dans les ghettos, ou sous de faux états civils, et les Juifs furent menacés d’extermination. Ils connaissent maintenant les roueries de ceux qui furent les maîtres. […] Et si, selon l’histoire écrite par un idiot mais enseignée aux enfants, les Juifs furent chassés par les Romains, les Arabes vont le payer. »

 

Le livre offre plusieurs photos issues du reportage ; elles sont toutes commentées par Genet. On y voit des camps, des soldats, des entrainements au combat et des enfants armés. Mais, Genet démontre que ce ne sont pas les Palestiniens les coupables mais les Européens, rappelant : « Nous venons de fêter en France, avec trop de fastes, le sept centième anniversaire de Louis IX, dit Saint-Louis, pour qu’un léger doute s’empare de nous. D’abord Roland, ensuite Saint-Bernard, Godefroy de Bouillon, Guy de Lusignan, Richard Cœur de Lion, Louis IX et qui encore, avec toutes leurs croisades contre les musulmans, furent à ce point magnifiés durant toute cette période où les Européens écrasaient les peuples arables – je veux dire de 1830 à 1962 – qu’on peut se demander, mais très innocemment, si l’Histoire – de France, entre autres – ne fut pas écrite au 19e siècle afin de former des hommes qui, en toute bonne et mauvaise foi, mépriseraient les colonisés ? »

 

la-bande-a-baaden.jpg

 

Un autre sujet suscite une vive polémique : les actions menées par la bande à Baader. Ainsi, un article de Genet, paru dans les colonnes du Monde, suscite de nombreux émois : « Violence et brutalité ». Dans ce texte, l’auteur défend la Fraction armée rouge qui sème le trouble et commet des actes terroristes pour exprimer son opposition à la politique américaine. Pour justifier les actes terroristes de la bande à Baader, Genet explique que nous vivons dans un monde brutal car inégalitaire, il n’est pas d’autre moyen que de se révolter et de se montrer violent. Ce texte a suscité de nombreuses réactions, les lecteurs du Monde n’acceptant pas qu’un quotidien se voulant objectif et sérieux publie un hymne à la violence. Or, ce texte, hors de toute morale, affirme que pour combattre l’inacceptable, il faut parfois recourir aux armes et à la violence. C’est un très beau texte, rhétorique à souhait, qui soulève évidemment moult questions.

 

L’Ennemi déclaré est un recueil vraiment passionnant, qui, malgré les trente années passées, n’a hélas pas pris une ride. Israël, le racisme, le terrorisme, les conflits au Liban sont malheureusement encore des sujets qui dominent l’actualité. Je n’avais jamais lu les textes politiques et engagés de Genet. Certes, ces articles sont moins écrits que ses romans ou ses pièces de théâtre, mais ils sont remarquables. Les arguments sont parfois douteux, mais ouvrent le débat. Genet expose une même thèse : la violence est acceptable sinon souhaitable si elle permet de lutter contre les oppresseurs, qu’ils soient américains, blancs, patrons, flics… Finalement, Genet poursuit dans ses déclarations son projet littéraire : glorifier le faible, l’exclu et le solitaire. 

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4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 21:39

jean-genet.jpgC’est à 19 ans, en deuxième année de fac de lettres, que je découvrais l’œuvre répugnante et envoûtante de Jean Genet. Répugnante à cause de ses idées sur la sacralisation du Mal, sa fascination pour la trahison, le nazisme… Mais aussi envoûtante par son écriture lyrique et poétique. À l’époque, nous devions étudier Journal du voleur. Je me souviens avoir été véritablement choquée par ce goût pour l’ignoble, l’intolérable, le crasseux. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais choisi cet auteur que l’on glorifiait tant. Je ne comprenais pas que l’on puisse prendre plaisir ou voir le moindre intérêt à ce texte prônant des valeurs telles que le vol ou le crime. J’ai peiné à lire ces pages montrant la beauté du manchot Stilitano paresseux, cynique, jouant avec ses crachats… Je ne saisissais pas la portée littéraire de la scène d’épouillage entre le narrateur et l’un de ses amants. Pire, je partageais le malaise d’un de mes camarades devant analyser le fameux extrait du tube de vaseline exposé sur une table de commissariat, et suscitant les moqueries des policiers et paradoxalement le plaisir de l’auteur, en adoration devant cet objet obscène. Nombreux ont été les moments où j’ai eu envie d’abandonner le module et me concentrer sur d’autres lectures, moins extravagantes. Et puis, grâce à l’obstination de mon prof, passionné par le sujet et la prose de Genet, je me suis dégagée du fond pour m’attacher au verbe. Quelle ne fut ma surprise en découvrant sa beauté ! Ainsi, voici comment Genet décrit la scène du tube de vaseline au commissariat : « Je savais que toute la nuit mon tube de vaseline serait exposée au mépris - l’inverse d’une Adoration perpétuelle - d’un groupe de policiers beaux, forts, solides. [...] Cependant j’étais sûr que ce chétif objet si humble leur tiendrait tête, par sa seule présence il saurait mettre dans tous ses états toute la police du monde, il attirerait sur soi les mépris, les haines; les rages blanches et muettes, un peu narquois peut-être - comme un héros de tragédie amusé d’attiser la colère des dieux - comme lui indestructible, fidèle à mon bonheur et fier, je voudrais retrouver les mots les plus neufs de la langue française afin de le chanter. Mais j’eusse voulu aussi me battre pour lui, organiser des massacres en son honneur et pavoiser de rouge une campagne au crépuscule. »

 

En découvrant ainsi la prose poétique de Genet, je me réconciliai avec cet auteur aux idées abjectes. À partir de cette expérience littéraire éprouvante mais formatrice, je lus ses autres œuvres avec cette même hantise de découvrir des aspects dérangeants, choquants, mais toujours charmée par l’écriture si délicate et élégante. Je détestais chez Genet par exemple sa manière de rejeter le lecteur qu’il tient à distance par un « vous » accusateur. Je ne supportais pas ce rejet, cette façon de montrer sa supériorité. Bien sûr, Genet était un maudit : abandonnée par sa mère, pupille de l’Assistance publique, accusé à tort d’un vol qu’il n’a pas commis, il connaît les camps de redressement. Il est compréhensible que, pour sortir grandi de cette terrible expérience, Genet ait voulu sacraliser le Mal. À son tour, l’auteur veut exclure ceux qui l’ont rejeté et honorer tous les parias de la société. Et pour autant, comment accepter d’être ainsi exclu de son monde ?

 

Peu à peu, je pris conscience que c’est parce qu’il m’excluait de son monde que je ne parvenais à entrer dans le sien. Dans Pompes funèbres notamment, Genet explique son rejet du lecteur : « [...] me voulant hors d’un monde social et moral dont la règle d’honneur me paraissait imposer la rectitude [...], c’est en haussant à hauteur de vertu pour mon propre usage, l’envers de ces vertus communes que j’ai cru obtenir une solitude morale où je ne serais pas rejoint. Je me suis voulu traître, voleur pillard, délateur, haineux, destructeur, méprisant, lâche ». En décidant de fréquenter cet infréquentable, de lire encore et encore sa prose nauséabonde et sectaire puisque n’ont droit de cité que les marginaux, j’ai pris goût à ce mépris. Et peu à peu, j’ai compris que le monde esseulé de Genet est certes celui du Mal mais aussi celui de la littérature, celle qu’il crée en inventant un monde où les traîtres et les criminels sont élevés au rang de héros, mais où la beauté du mot règne en maître absolu.

 

Pourquoi ai-je eu soudain envie d’évoquer Jean Genet ici ? Tout simplement parce qu’au détour d’un rayon chez un de mes libraires favoris, je suis tombée sur L’Ennemi déclaré, textes et entretiens choisis 1970-1983 de Genet. Avant de vous faire part de ses idées politiques, thème central de ce recueil, il fallait - parce que Genet est avant tout un auteur - que je m’arrête sur son œuvre littéraire.

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 21:52

thierry-jonquet.jpgJusqu’alors, je n’avais pas lu un seul roman de Thierry Jonquet. Peu friande de polars ou plus exactement me laissant peu aller à ce genre, je n’avais pas eu le loisir de découvrir cet auteur mort il y a bientôt deux ans des suites d’une crise d’épilepsie. Thierry Jonquet fait partie des grands noms du roman noir. Ayant exercé de nombreuses professions, il s’inspire de ses différentes expériences comme terreau de ses histoires.

 

C’est ainsi qu’il est momentanément ergothérapeute dans un centre de gériatrie à Draveil, en Île-de-France. De ce travail auprès des personnages âgées, il écrit Le Bal des débris (Librio), les débris étant, vous l’aurez bien compris, les vieillards de l’hospice !

 

L’histoire se déroule donc dans un centre hospitalier pour vieux. Le personnage central, Frédéric, exerce un métier inintéressant : il est chargé de pousser des chariots entre le service de rééducation et celui d’ergothérapie. Son existence est peu reluisante… Aucun avenir ne s’offre à lui sinon la permanence au bureau de la CGT, poste que lui propose sa femme militante. Sa vie morne et sans relief prend fin le jour où un patient moins vieux que les autres est hospitalisé : Alphonse Lepointre qui se trouve être un ancien truand. Les deux hommes sympathisent très vite au point de comploter un hold-up au sein de l’hôpital : une vieille femme réside sous surveillance. Persuadés qu’elle possède du bien, les deux lascars imaginent un plan pour le lui piquer. Je ne vais pas vous raconter la suite mais sachez qu’elle sera riche en rebondissements.

 

le-bal-des-debris.jpgCe qui m’a séduit dans ce roman, c’est moins l’histoire de ces deux bras cassés qui peinent à dépouiller la vieille que la gouaille et l’humour indéniables de Jonquet. Alors qu’il décrit un univers glauque, triste à pleurer avec des personnages sans éthique, l’humour – noir – affleure à chaque page. On ne peut s’empêcher de rire de la bêtise de ces personnages, de leur maladresse, de leur manque d’organisation… Et puis, le style, familier, argotique et nerveux, ne peut laisser indifférent. Particulièrement ancré dans la langue contemporaine – celle des années 1980 – quelques expressions autrefois très usitées le sont moins aujourd’hui. Je me demande si l’on prendra le même plaisir à lire ce roman dans quelque temps, lorsque celles-ci auront complètement disparu de notre langage.

 

Enfin, Jonquet qui a donc vécu l’expérience de la gériatrie, prend un plaisir certain à décrire cette réalité pénible et cruelle… Les vieux y sont dépeints avec force détails. Certains n’apprécieront pas ce qui pourrait passer pour de la moquerie, mais les lecteurs de B.S. Johnson et son RAS infirmière chef, reconnaîtront l’humour qui caractérisent ces auteurs face à ce sujet si difficile : évoquer ces vieux, c’est évoquer la mort qui approche, inéluctablement. Par le rire, Jonquet exorcise la mort, la tient à distance. Pour notre plus grand plaisir.

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 20:05

un-aller-simple.jpgJe suis partie mains dans les poches en vacances… Je n’avais pas voulu me charger par confort et habitude. Heureusement, la résidence où je me trouvais proposait une petite bibliothèque constituée exclusivement des livres laissés par les vacanciers à la fin de leur séjour. C’est dans cette bibliothèque que j’ai pioché, un peu au hasard, écartant les Levy et autres Musso, quelques romans.

 

Le premier fut Un aller simple de Didier van Cauwelaert, roman qui m’a agacé et laissé un goût bien amer avec le sentiment que l’auteur s’était payé ma tête. Quant à comprendre pourquoi le jury lui avait décerné le Goncourt, je préfère y renoncer…

 

Le début du roman était réjouissant et c’est avec confiance et plaisir que je tournais les pages. Beaucoup d’esprit et de légèreté définissent cette première partie où le jeune narrateur raconte son enfance quelque peu étrange. Orphelin de père et de mère, recueilli par des tziganes, il se fait appeler Aziz, non parce qu’il est maghrébin mais parce qu’il est retrouvé dans une voiture une Ami 6. Amicis devient Aziz par glissement lexical. Sans papiers, sans racines, il grandit parmi les tziganes dans le quartier nord de Marseille. Ses réflexions sur son quotidien sont pleines d’humour. C’est amusant, agréable… Aussi je ne m’attendais pas à me prendre une claque à ce moment-là… Et pourtant…

 

atlasDidier Van Cauwelaert avait une excellente idée au départ : le « pitch », mot très laid mais qui exprime parfaitement la démarche de l’auteur, se veut donc le parcours d’un jeune homme qui, lors de son mariage, est arrêté par la police. N’ayant de papiers et s’appelant Aziz, il est considéré comme un clandestin. Un chargé de mission humanitaire doit le raccompagner dans son pays d’origine et l’aider à trouver un travail pour se réinsérer dans de bonnes conditions. Passionné par la géographie et son Atlas, Aziz décide qu’il est originaire du désert marocain. Il s’invente, pour le plus grand bonheur du chargé de mission, une histoire incroyable et surnaturelle. À partir de là, le roman bascule. En effet, si l’idée est là, le roman s’essouffle quand Aziz se fait arrêter. La rencontre avec le chargé de mission qui se veut un tournant dans leur existence n’est pas crédible. Ce chargé de mission serait un écrivain qui espère retrouver l’amour de son épouse qui vient de le quitter en retraçant l’histoire d’Aziz… Les mots d’esprit, les réflexions qui faisaient le charme de la première partie disparaissent au détriment d’un style lourd, plat, sans intérêt. On a même droit à quelques pages du journal intime du chargé de mission, lyriques, conventionnelles… Et surtout, l’histoire s’enlise… On avance très péniblement dans ce désert où l’auteur s’est embourbé. Pour se sortir de ce mauvais pas, il décide de changer de destination : Aziz s’envole vers la Lorraine, pays du chargé de mission, pour écrire la fin de son livre. Vous n’y comprenez rien : vous pensiez que c’était Aziz et non ce chargé de mission sans épaisseur le héros de ce roman d’apprentissage. Il faut croire que l’auteur a changé ses projets en cours de route… Et comme vous, j’ai eu du mal à suivre sa logique… et à y trouver un intérêt. Et comme il a bien fallu achever ce court roman, l’auteur a décidé d’abandonner comme ça Aziz en Lorraine, sans bien savoir quoi faire de lui… Rideau.

 

lorraineEn faisant quelques recherches sur Internet, j’ai découvert que non seulement ce roman a été adapté au cinéma mais qu’en plus, il est étudié au collège comme au lycée. Concernant l’adaptation, je ne suis pas étonnée : quand je lis un roman qui m’apparaît bâclé, très souvent, il devient l’objet d’un film… C’est devenu une banalité. Hélas… J’aime beaucoup les images, et ne m’insurge pas que des réalisateurs adaptent des romans. Ce qui m'irrite c’est de percevoir les intentions mercantiles d’un auteur qui bâcle un texte en se disant qu’il sera adapté et que, après coup, on règlerait les détails… La seconde découverte m’étonne davantage. Dans ce roman linéaire et sans recherche esthétique, je ne comprends pas ce qu’un enseignant est censé mettre à jour… Certes, c’est un roman facile et les élèves, même faibles, pourront entrer sans problème dans cette histoire écrite à la première personne. Cependant, l’auteur nous lâche en plein milieu du récit. Pour sûr, un élève ne peut éprouver que frustration… Quant au style… Non, vraiment, je ne suis pas convaincue par cette proposition pédagogique.

 

Au final, malgré une première partie agréable, je ne saurais vous conseiller ce roman poussif et peu ambitieux. 

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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 14:15

symphonie pastorale 2Au détour d’une discussion riche sur Facebook (cela arrive parfois, je vous assure !), j’ai évoqué le souvenir d’une lecture qui a marqué mon adolescence : La Symphonie pastorale, d’André Gide. C’était en 4e… L’histoire d’amour ratée entre Gertrude et le pasteur m’avait bouleversée. Aussi, j’ai eu très envie de retrouver cette émotion passée. Tirant le livre dans ma bibliothèque, j’ouvris avec appréhension et avidité l’objet comme un trésor et commençai la lecture. Je souris en voyant des extraits soulignés au crayon à papier, habitude que je pris petite et qui ne m’a jamais quitté.

 

La Symphonie pastorale est le journal intime d’un pasteur qui accepte de s’occuper d’une jeune fille aveugle, après la mort de sa nourrice. L’arrivée dans la famille du pasteur ne suscite, selon le narrateur, aucune joie mais plutôt du dégoût : cette fille de 15 ans est dévorée par la vermine et ne sait pas parler. Toutefois, dès qu’il l’aperçoit, le pasteur qui n’éprouve aucune affection ni pour sa femme Amélie, ni pour ses nombreux enfants, désire aider Gertrude, lui faire recouvrer la parole (élevée par sa nourrice, elle était demeurée isolée dans le silence pendant des années). Avec une patience infinie, le pasteur prend soin de cette fille tandis qu’il s’étonne de l’agacement de sa femme lui reprochant de ne pas prêter attention aux siens. Mais le pasteur, qui connaît parfaitement la Bible, invoque la parabole de l’enfant prodigue pour justifier sa préférence envers Gertrude. Amélie se tromperait ainsi sur ses intentions : celui-ci, comme le père dans la parabole, accueille avec compassion et joie l’enfant perdu. Gertrude ne serait qu’une pauvre âme que le pasteur va accueillir en son église. Mais, le lecteur, comme Amélie, n’est dupe. Cet homme est un tartuffe qui use de sa position de pasteur pour justifier sa conduite moins compassionnelle qu’intéressée. C’est parce qu’il aime d’un amour coupable Gertrude qu’il l’accompagne en promenade, en concert, à la découverte d’un monde qu’elle ne peut voir mais qu’il décrypte pour elle.

 

symphonie pastorale 3Au cours d’un concert de la « Symphonie pastorale » de Beethoven, le pasteur parvient à expliquer à Gertrude les nuances des couleurs. C’est un très beau passage, celui qui m’avait à l’époque le plus touché. Hélas, le relisant, je prends conscience de la supercherie de ce pasteur qui, tel Pygmalion, modèle Gertrude à sa guise. Il façonne le monde à son image et feint de ne pas comprendre les allusions désapprobatrices de son épouse. Selon lui, celle-ci est une femme triste, intéressée uniquement par les soucis quotidiens (elle a, rappelons, de nombreux enfants…). Inutile de préciser qu’aucun lien tendre n’unit ce couple.

 

Au fur et à mesure, Gertrude s’intègre à la communauté, apprend à jouer de l’orgue… Jacques, le fils aîné de la famille, se rapproche d’elle. Désirant l’épouser, il demande d’abord l’autorisation à son père qui refuse affirmant que Jacques manquerait de respect envers une pauvre aveugle innocente et pure. Ce fils, élevé dans l’obéissance et la croyance, accepte la décision. Pour décrire Jacques, le pasteur explique ce qui les distingue : tandis que lui suit la ligne de conduite des évangiles uniquement parce qu’il n’est nullement question de « commandement, menace, défense », Jacques au contraire, suit tout autant les évangiles que les livres de Saint Paul estimant que la Bible est un guide qui doit être suivi à la lettre. Il reproche à son père de « choisir dans la doctrine chrétienne ‘’ce qui [lui] plaît’’ ». Le pasteur se défend en expliquant faire preuve de souplesse et de liberté. Mais ce qu’il nomme souplesse serait plutôt manipulation et rhétorique. Toutes les paroles saintes lui offrent des arguments pour diriger son entourage et justifier son comportement. D’ailleurs, à la fin de la discussion, tandis que Jacques affirme qu’il cherche le bonheur qui se trouverait dans la soumission, le pasteur applique sa rhétorique : selon lui, l’amour et par conséquent le bonheur et « la joie » ne peuvent se trouver dans la soumission. Or, le paradoxe est manifeste : alors que le pasteur semble préconiser la liberté pour accéder au bonheur, il vient d’obliger son fils à abandonner tout espoir d’épouser Gertrude… Autre paradoxe qui dévoile le cynisme et sans doute l’aveuglement du pasteur : il souhaiterait citer à Jacques la maxime de La Rochefoucauld qui affirme que « l’esprit est toujours la dupe du cœur ». Ainsi, pour détourner le fils de Gertrude, il veut lui montrer que c’est l’amour qui dicte à son intelligence sa conduite et qui l’égare. C’est précisément ce qui le conduit à éloigner les deux jeunes gens.

 symphonie-pastorale-4.jpg

Parce qu’il est parvenu à faire de Gertrude sa Galatée, celle-ci finit par lui avouer ses sentiments amoureux tout en lui demandant si c’est un péché. Et lui, de lui rappeler les paroles du Christ : « Si vous étiez aveugle, vous n’auriez point de péché. » Ainsi, sans paraître se douter du désespoir dans lequel est plongé son entourage – en particulier Amélie et Jacques – la jeune fille continue d’aimer le pasteur et de croire en ses paroles. Et lui de se persuader qu’il l’aime comme le Christ aime son prochain et que sa femme est triste car inapte au bonheur.

 

Toutefois, l’opération des yeux de Gertrude déclenche un cataclysme : à présent qu’elle peut voir le monde par elle-même et non plus au travers des paroles du pasteur, la jeune fille réalise que celui-ci n’a cessé de la manipuler et lui a caché la vérité. Amélie, Jacques et le pasteur ne ressemblent en rien aux descriptions faites par l’homme d’église. Les mensonges ont recouvert pendant cette année passée auprès de cette famille les pensées de Gertrude comme la neige a recouvert le village où elle réside. Et la neige ayant fondu, le paysage apparaît enfin sous ses yeux guéris, bien laid et sans horizon. Elle découvre enfin la réalité, mais il est trop tard.

 

symphonie pastorale

Ce court roman est d’un cynisme et d’une cruauté terribles : aucun espoir n’est permis. On ressent un dégoût profond envers ce pasteur qui crée le monde à son image. Ainsi, Amélie est-elle le double négatif de Gertrude comme Jacques le sien. Mépris et dénigrement sont les sentiments que lui inspirent sa femme et son fils. La bonté n’a guère sa place dans le texte et l’amour envers Gertrude n’est qu’en réalité amour-propre. Ce n’est pas la jeune fille qui trouve grâce à ses yeux mais une créature qu’il a créée de toutes pièces. Gide, en quête de spiritualité, rompt avec son éducation religieuse et puritaine. Satirique, il montre combien les paroles bibliques sont vicieuses : l’homme d’église les interprète et mène ses brebis où bon lui semble. 

 

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