En France, on connaît Tarun Tejpal grâce à Loin de Chandigarh, magnifique roman publié il y a maintenant trois ans et largement plébiscité par la critique comme par les lecteurs. Aujourd’hui, il revient avec un nouveau roman, Histoire de mes assassins (Buchet-Chastel). Avant de vous en dire plus, je souhaiterais revenir sur le parcours de Tejpal, qui avant d’être romancier est d’abord un journaliste engagé, reconnu dans son pays, l’Inde. Pour bien comprendre ce qui l’a poussé à écrire ce roman, un rapide portrait n’est pas inutile puisque Histoire de mes assassins est en partie autobiographique.
Tarun Tejpal a 46 ans. Journaliste d’investigation, il fonde en 2000, Tehelka qui était à l'origine un journal en ligne connu pour son indépendance. Le site se spécialise dans les enquêtes sur la corruption, dénonçant les scandales liés au trucage des matchs de cricket. En 2001, Tehelka révèle un gros scandale de corruption politique, mettant en cause le ministre de l’Intérieur. Le site est poursuivi devant les tribunaux. Tarun Tejpal confie au Monde 2, dans une longue et passionnante interview : « J'ai reçu des menaces de mort. Ils ont tenté de nous salir, nous accusant d'être financés par les services secrets pakistanais. J'étais suivi. J'ai dû prendre des gardes du corps. Mon appartement était protégé par des sacs de sable. Un de nos principaux financiers, Shankar Sharma, a été jeté en prison, les autres ont été intimidés ». Pendant des mois, la police chargée de mener une enquête sur cette affaire de corruption a perquisitionné les locaux du journal, mis en prison l’un des financiers, accusé à tort Tejpal de braconnage ! Finalement, l’affaire va être étouffée et le ministre en question réhabilité… Mais le directeur, lui, fortement affaibli financièrement par ce scandale, n’a plus les moyens de continuer de publier son journal. Tejpal se décide alors à se tourner vers l’intelligentsia indienne pour la convaincre de participer au capital : « J'ai tourné dans toute l'Inde. J'allais à des meetings, je rencontrais des intellectuels, des hommes d'affaires, des gens intéressés par notre histoire. Parfois, ils étaient une dizaine, parfois une centaine. Je leur expliquais qu'il fallait à tout prix soutenir une presse libre, indépendante. Qu'il y allait de l'avenir de notre démocratie. Qu'il fallait donner la parole aux démunis, les défendre, ne pas laisser la bureaucratie les étouffer. Je rencontrais partout des personnes qui m'encourageaient. Inlassablement, je leur demandais de l'argent ». Mais Tejpal a une idée : pour se faire entendre et bénéficier véritablement de la loi sur la liberté de la presse et faire pression, il souhaite créer un magazine papier.
Grâce aux nombreux investisseurs et en particulier à un couple qui a donné 180 000 € gagnés en Bourse, le journal est publié à 100 000 exemplaires chaque semaine. Trente-cinq journalistes fournissent des enquêtes édifiantes sur les conditions de vie inacceptables de la population indienne. Le seul problème aujourd’hui : la pérennité d’un journal sans publicité écrit en anglais et qui, par conséquent s’adresse à l’élite, qui n’est pas concernée par les sujets traités (souvent la misère du peuple et les injustices). Tarun Tejpal avoue son inquiétude à ce sujet : « Nous dépendons encore de nos financiers. Je leur répète tous les jours : “Je ne travaille pas pour vous, mais pour les oubliés de ce pays, contre les injustices et les abus de pouvoir. C'est pour cela que vous devez me soutenir. Pour que les médias et les politiques représentent les pauvres.” Je ne sais pas si nous tiendrons. Aujourd'hui, la tendance générale de la presse, en Inde comme en Occident, consiste à parler des riches et des célèbres, des people, des puissants, à les faire mousser. Partout la presse d'investigation, la presse qui dérange les consensus, est menacée. Nous avons le projet de créer une chaîne de télévision d'investigation, mais nous n'avons pas d'argent ».
Avec de telles ambitions, Parutions.com demande à Tarun Tejpal comment il trouve encore le temps d’écrire des romans : « J'ai très peu de temps. 95 % de mon temps est pris par Tehelka, le magazine d'informations dont je suis le rédacteur en chef. C'est le genre de magazine qui est toujours au cœur des batailles les plus sombres contre le pouvoir et l'argent. Ce qui me laisse très peu de temps pour l'écriture. L'essentiel de ma vie est donc pris par le journalisme et il me faut dès lors débusquer du temps pour écrire. La chose la plus intelligente que j'ai jamais faite fut de comprendre il y a sept ans que je ne jouirais jamais de ce confort qu'est avoir assez de temps pour écrire. Que je n'aurais jamais un bureau dont la fenêtre donnerait sur un arbre et que je pourrais m'y attabler et écrire en écoutant le chant des oiseaux. J'ai compris que si je voulais écrire, ce serait à pas de course, en capturant l'instant où que ce soit. C'est de cette manière que j'ai écrit mon premier roman, Loin de Chandigarh (The Alchemy of Love), et celui-ci de même. L'écriture a eu lieu dans des avions, des salons et des chambres d'hôtel, le matin tôt avant d'aller au travail, tard le soir après le dîner, lors de voyages en voiture, à n'importe quelle occasion où j'ai pu voler un peu de mon temps. Car ce luxe d'une pièce à part, avec vu sur les arbres, n'est pas le mien ».
Rendez-vous prochainement pour évoquer Histoire de mes assassins…