Depuis bientôt une semaine, la rentrée littéraire a commencé et déjà certains romans semblent sortir du lot… Comment, sur 646 livres, les journalistes peuvent-ils être capables de nous dire quels sont leurs coups de cœur ? Ont-ils seulement pu en lire le quart ? Bien sûr que non… Alors, pourquoi retrouve-t-on les mêmes coups de cœur d’un magazine à l’autre ? Pourquoi y a-t-il déjà du buzz autour d’Aurélien Bellanger (auteur d’une biographie du patron de free Xavier Niel, La Théorie de l’information) ou d’Olivier Adam (La Lisière) ? Réponses dans une enquête du site Arrêt sur images : « Rentrée littéraire : comment les journalistes choisissent leurs favoris ? ». J’ai trouvé l’enquête très intéressante pour plusieurs raisons : d’abord elle part de deux exemples précis (Bellanger et Adam), ensuite, elle se veut concise puisqu’elle se concentre sur le point de vue des journalistes.
Pour commencer, l’enquête s’intéresse à La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger, publié chez Gallimard. D’emblée, on imagine que la maison d’édition a fait un plan com’ pour faire de ce premier roman, écrit par un inconnu, l’un des coups de cœur de la plupart des magazines littéraires. On se souvient en effet que l’an dernier, c’est Alexis Jenni qui a eu le prix Goncourt avec son premier roman, L’Art français de la guerre. Ce n’était pas un cas isolé puisqu’en 2006, Jonathan Littell a reçu le Goncourt avec son premier roman Les Bienveillantes, en 2008, c’était Jean-Baptiste Del Amo qui a reçu le Goncourt du premier roman avec Une éducation libertine… Pourtant, les différents journalistes témoignant dans cette enquête d’@si affirment que Gallimard n’a pas mis en place de promotion particulière pour ce roman d’Aurélien Bellanger. Alors pourquoi ce jeune auteur a-t-il obtenu autant de papiers, que ce soit dans Libération, le JDD, Technikart, ou les Inrocks ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un premier roman, publié chez Gallimard et que son thème est porteur. Ainsi, « Baptiste Liger, qui a réalisé l'article pour Technikart, s'est intéressé à la Théorie de l'information parmi les Gallimard, car c'est un premier roman. […] Séduit par l'œuvre mais aussi, reconnait-il, par son « potentiel médiatique » : c'est un « sujet sociétal ». Un livre qui « parle du monde d’aujourd’hui ». Et qui pose aussi une autre question : « jusqu’à quel point une personne réelle peut-elle voir sa vie évoquée dans un roman » (d’ailleurs, Technikart vend en Une : « L’histoire secrète de Xavier Niel »).
L’enquête montre aussi que ce roman de Bellanger buzze parce que les journalistes en parlent entre eux : ils échangent verbalement mais aussi via facebook et surtout tweeter. Au lieu de perdre du temps à dénicher des romans plus ou moins intéressants, ils se donnent des conseils de lecture. Conséquence : tous les journaux noircissent leurs colonnes avec les mêmes livres.
Mais ce n’est pas la seule raison : les auteurs connus doivent être mentionnés dans les médias. En cette rentrée, il n’est pas question de faire l’impasse sur des auteurs comme Amélie Nothomb, Philippe Djian ou Christine Angot.
Enfin, cette année, c’est Olivier Adam qui crée le second buzz. Certains, comme le magazine Lire, annoncent qu’il pourrait avoir le Goncourt. Tous les médias parlent du livre parce que « Teresa Cremisi, patronne de Flammarion (et ancienne de chez Gallimard) est « montée au front » : rendez-vous de l'éditrice avec des journalistes, auteur très disponible pour des interviews. Résultat : des articles dans Paris Match, dans Gala, dans le JDD, dans Le Monde des livres. […] Adam est une prise de guerre de Flammarion (que vient de racheter… Gallimard, le monde est petit) à L'Olivier (filiale de La Martinière, comme le Seuil). Il s'agit de rentabiliser l'investissement. » Ensuite, Les Lisières d’Olivier Adam est un roman sociétal, susceptible d’intéresser les jurés du prix Goncourt : selon Sylvain Bourmeau, le livre d’Adam « participe d’une tendance de la rentrée, autour du social, de l'économie, dire quelque chose sur le monde en mutation ».
Ce que l’enquête ne dit pas clairement, c’est que si les journalistes ont le devoir de consacrer des papiers aux auteurs connus et de dénicher quelques coups de cœur, ils n’ont pas le temps de faire un vrai travail de défrichage. Bourmeau, dans l’enquête, explique toutefois que, pour sélectionner les livres méritant un article, il lit les 3eres pages, va jusqu'à la page 30 si nécessaire voire la page 90, et, s’il n’a pas été convaincu, il repose définitivement le livre. Evidemment, à ce rythme, il peut parcourir plusieurs dizaines de romans par jour. Mais même en sélectionnant ainsi les livres, force est de constater que les journalistes regardent dans un premier temps les romans édités par les grandes maisons d’édition. Ce n’est que dans un second temps, en automne, qu’ils élargissent leurs lectures. C’est la raison pour laquelle nombre de maisons d’édition ont fait le choix de ne rien publier en septembre (Quidam, L’Arbre vengeur, José Corti…). Dans une tribune publiée sur Rue89, un éditeur indépendant, dirigeant Aux forges de Vulcain, explique pourquoi éditer en septembre est « un suicide collectif » : les livres ne sont pas suffisamment mis en avant, sont noyés dans une masse informe et les prix littéraires ne récompensent pas des romans de qualité… Selon cet éditeur, lecteurs comme auteurs ont tout à perdre à vouloir participer à la rentrée littéraire.
Dans ces prochains jours, n’étant pas sectaire, je vous parlerai de romans publiés par de petites comme de grandes maisons.