Suite à une discussion que j’ai eue par mail sur la nouvelle suite à mon billet sur le Prix Hervé Bazin de la microfiction, je viens de prendre conscience à quel point il est difficile de rendre compte d’un recueil de nouvelles. Comment faire pour donner envie de le lire, sans révéler la clef de l’histoire ? En effet, nombreuses sont les nouvelles à chute. On lit passivement un récit et soudain la chute chamboule le sens du texte. L’un des auteurs publiés dans la revue Harfang m’a contacté pour me signaler que je n’avais pas été précise dans le résumé de sa microfiction. C’est vrai. J’ai évoqué en quelques mots quelques textes qui avaient retenu mon attention. Mais il m’était impossible de vous en dire plus sans risquer de vous dévoiler tout le sel de l’histoire. Car précisément tout l’intérêt de ces microfictions c’est qu’on ne s’attend pas à la chute. Résumer l’histoire serait donc en déflorer le sens. Vous n’auriez alors plus envie de lire ces nouvelles. Si la chute semble être une caractéristique de la nouvelle (c’est d’ailleurs souvent ainsi que les enseignants présentent ce genre aux élèves), tous les auteurs ne procèdent pas de la sorte. Ainsi, John Cheever, très grand nouvelliste américain, ne construit pas ses nouvelles en vue d’une chute. Dans Déjeuner de famille (paru en 2007 aux éditions Jöelle Losfeld) par exemple, ce qui retient notre attention, ce n’est pas l’attente d’une chute, c’est au contraire la description satirique de la banlieue parmi des gens ordinaires de la classe moyenne. Son ironie, les non-dits, la description de cette Amérique trop belle pour être vraie, sont les ressorts des nouvelles de Cheever.
Ces questions de construction de nouvelles me conduisent vers une autre question ? Pourquoi lisons-nous si peu de nouvelles en France ? Cette question fut au cœur du débat vendredi 25 novembre lors des rencontres Hervé Bazin. La première table ronde portait sur la nouvelle. Étaient réunis Christophe Journet, spécialiste de la nouvelle d’Hervé Bazin, Joël Glaziou, nouvelliste et fondateur de la revue Harfang, Christiane Baroche qui a reçu la Bourse du Goncourt de la nouvelle et Régis Jauffret.
La discussion fut passionnante. D’abord, Régis Jauffret et ses Microfictions suscitèrent la curiosité. En effet, l’auteur a choisi d’intituler ce livre roman et non recueil alors qu’il est constitué de 500 microfictions. Evidemment cette dénomination pose problème : les histoires ne sont pas directement liées les unes aux autres par un fil conducteur et sont classées par ordre alphabétique. Mais selon lui, « le livre n’est pas un recueil, au sens où il ne s’agit pas d’histoires écrites auparavant et réunies pour l’occasion. C’est un projet global, qui m’est venu après l’écriture des deux ou trois premiers textes, visant à constituer un bloc de cinq cents histoires qui formeraient un objet appelé roman, rempli de fictions, rempli de personnages. Et ce livre est rempli de personnages jusqu’à la gueule. » (entretien sur le site de Gallimard). Cette explication n’a pas convaincu tous les membres de la table ronde. En effet, on sait que la nouvelle fait peur aux éditeurs. Ils craignent de publier des recueils car trop peu vendeurs. Cette appellation serait ainsi une manière de détourner habilement le problème, d’autant qu’au final ces Microfictions ont su trouver leurs lecteurs et ont reçu le prix France Culture-Télérama.
Toutefois, la question de savoir pourquoi les lecteurs n’aiment pas lire des nouvelles fut le fil conducteur du débat. Selon Christiane Baroche, c’est parce que l’on ne sait pas les lire. En effet, selon elle, il n’est pas question de lire un recueil de la première à la dernière page comme on le ferait avec un roman. Il faut savoir déguster, picorer les nouvelles, et ne pas adopter une attitude scolaire. Le plaisir de la lecture de nouvelles résiderait justement dans la dégustation. Grâce à la nouvelle, on prend le temps de lire.
Mais le problème, selon les autres intervenants, c’est aussi que les lecteurs n’ont pas facilement accès à ce genre. Autrefois, dans les quotidiens, on pouvait lire des nouvelles. Ce n’est plus le cas actuellement, tous reprochant alors la frilosité des journaux qui craignent de détourner ainsi leurs lecteurs. Au cours de cette discussion des idées ont submergé pour permettre aux nouvellistes de se faire mieux entendre publiquement. Attendons de savoir comment ces auteurs, nouvellistes reconnus parviendront à changer la situation.
Et vous, lisez-vous des nouvelles ?