Voici enfin un livre de la rentrée littéraire que je peux vous conseiller : Joseph de Marie-Hélène Lafon (aux éditions Buchet Chastel). Pour ceux qui me suivent depuis longtemps, vous savez combien je suis sensible à l’univers rural et austère de l’auteur de L’Annonce ou des Pays.
Comme dans chacun de ses romans, Marie-Hélène Lafon y évoque le Cantal. Cette fois, elle fait le portrait de Joseph, un ouvrier agricole d’une cinquantaine d’années. Discret, l’air de rien, il observe les autres, ce monde paysan qui disparaît chaque jour un peu plus. Il ne juge pas, ne prend pas parti pour la modernité ou le respect de traditions : il ne fait que constater une évolution inéluctable.
Contrairement à Paul, dans L’Annonce, Joseph n’a pas réussi à trouver une femme pour l’accompagner dans son quotidien. Il a bien essayé avec Sylvie mais cela n’a pas fonctionné. Tous deux se sont perdus dans l’alcool et depuis Joseph en est à sa troisième cure.
Alors que Joseph est doux et généreux, il est très seul. A la mort du père, sa mère décide de rejoindre son autre fils près de Rouen. Ce dernier a voulu fuir le Cantal et cette vie trop monotone. Comme de nombreux « jeunes », il remet en cause cette façon de vivre à la campagne : le fils du patron de Joseph, par exemple, aimerait reprendre à sa façon l’exploitation familiale. Il souhaite moderniser la profession en travaillant en collaboration avec les autres agriculteurs, en renonçant à des activités peu rentables comme la fabrication du Saint-Nectaire. Et surtout, il voudrait épouser une fille qui ne travaillerait pas sur l’exploitation, ce que ne peuvent comprendre ses parents convaincus que la femme doit aider son mari dans son travail. Quant à Joseph, lui écoute, mais on ne saura pas ce qu’il pense. Il appartient à cette culture pétrie de traditions, ne la remet pas en question mais ne l’idéalise pas non plus.
Au-delà de ces considérations sur la vie moderne, Joseph se replonge dans ses souvenirs. Il évoque sa famille, son parcours d’ouvrier agricole, des scènes plus ou moins terribles. Toutefois, Marie-Hélène Lafon dont j’admire le style sobre et poétique, se veut toujours subtile dans le récit des souvenirs : elle évoque sans raconter ; elle ne s’appesantit pas sur les scènes, elle suggère. Cette prose si singulière fait bien sûr penser à Flaubert et en particulier à sa nouvelle Un cœur simple. On retrouve d’ailleurs des allusions dans le texte : une des patronnes se nomme Mme Aubain, la mère de Joseph, Félicité, et un perroquet apparaît à quelques pages de la fin ! Cet hommage n’est pas vain car les deux textes (courts) sont empreints d’une même nostalgie voire tristesse. Comme Félicité, Joseph n’est pas un héros haut en couleur, c’est un homme simple et modeste, à l’instar de ce roman magnifique.