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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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13 octobre 2011 4 13 /10 /octobre /2011 17:53

des-nuits-a-travers-la-plaine.jpgComme certains le savent, avec les années, j’aime les livres objets. Les éditions Atelier in8 proposent régulièrement de beaux coffrets de nouvelles signées par des auteurs qui méritent toujours que l’on s’y attarde. Des trains à travers la plaine est le titre du dernier coffret paru. Je suis certaine que la chanson de Bashung vous revient aussitôt en mémoire. Et précisément, pour composer ce coffret, quatre auteurs – Marie Cosnay, Jérôme Lafargue, Claude Chambard et Eric Pessan – ont eu à écrire une nouvelle autour de l’univers d’Alain Bashung.


 

Signalons de suite que je suis très sensible à l’artiste, à ses textes, à sa voix comme à son univers. Sa poésie mélancolique, ses rêveries ambiguës et érotiques, ses vertiges thanatiques me touchent profondément. Il me semblait risqué de proposer un voyage dans l’univers de Bashung en quelques pages seulement. Pourtant, les quatre auteurs sont parvenus, chacun avec leur style et leur histoire, à nous transporter dans leur voyage.

 

 

Ces quatre nouvelles peuvent se lire distinctement mais je vous conseille de les lire les unes à la suite des autres, car, même si elles sont très différentes, elles se lisent comme on écouterait un album. Elles forment un tout. Il y est question, à chaque fois, de sujets graves, tragiques, malsains. Les personnages, perdus, sont en quête de liberté. En vain. Le réel les rattrape. Toujours. Pourtant, le plaisir de lire ces textes ciselés, poétiques, efficaces est bien plus fort que le sentiment d’angoisse que la lecture peut engendrer. Qui éprouve gaieté et bien-être après avoir écouté Bashung ? Pourtant, on a l’impression d’avoir exorcisé un sentiment de tristesse, de peur, d’angoisse. Ces chansons, comme ces textes noirs nous arrachent de notre condition humaine. On se reconnaît en ces personnages et pourtant on les tient à distance. Ils ne sont qu’êtres de papiers. 

 

 

C’est sans retenue aucune que je vous conseille ce coffret exutoire !

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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 12:16

vipere-au-poing.jpgQuand on parle d’Hervé Bazin, on pense immédiatement à Vipère au poing, son roman le plus populaire, adapté à la télévision (en 1971) et au cinéma (en 2004). Qui n’a pas lu, au cours de sa scolarité, ce roman autofictif ? Mais Hervé Bazin ne peut se résumer à un seul livre. C’est la raison pour laquelle, je vous propose d’ouvrir un dossier sur cet auteur mal connu, et dont on fête, cette année, les cent ans de sa naissance. Fin novembre, je suis invitée aux Rosiers, près d’Angers, pour animer des rencontres autour de Bazin. Mais patience, je vous informerai peu à peu de l’organisation de ces journées. En attendant, découvrons un peu mieux l’œuvre de Bazin.

 

Vipère au poing, donc, est le premier roman d’Hervé Bazin. Publié en 1948, il est le premier volet d'une trilogie racontant l'enfance de Jean Rezeau (Vipère au poing), sa jeunesse (La Mort du petit cheval) et sa vie d’adulte (Le Cri de la Chouette). Derrière Jean Rezeau se cache Hervé Bazin.

 

J’avais lu, à 13 ans, ce roman. De cette lecture, je garde le souvenir très net d’un malaise, d’un dégoût à l’égard de la mère, Folcoche, qui exige de ses enfants qu’ils gardent plusieurs jours les mêmes sous-vêtements et chaussettes, qu’ils exécutent des tâches humiliantes et qu’ils avalent sans broncher l’huile de foie en guise de purge.

 

Vingt ans plus tard, je relis ce roman avec ce même sentiment de malaise, excepté qu’à l’époque je n’avais pas été aussi sensible à l’humour noir du narrateur. Car en effet, celui-ci ne manque pas de se moquer de son entourage : de sa mère acariâtre et méchante ; de son père, falot et lâche ; de son cadet, cafteur ; et de son aîné, victime. Toutefois, je retrouve dans ce roman l’agressivité, la révolte d’un enfant qui ne supporte pas les brimades et les humiliations de sa mère qui n’éprouve aucun sentiment filial à l’égard de ses fils.

 

Jean Rezeau est un enfant révolté, qui refuse l’éducation rigide et conventionnelle donnée par sa mère qu’il surnomme alors Folcoche (contraction de « folle » et « cochonne »). La révolte se décèle dès le titre : vipère au poing. En ouverture du roman, Jean étrangle une vipère, et la tient fièrement au poing. Ce geste brutal, criminel, annonce la suite des événements : la mort désirée de Folcoche, le rejet des conventions et du milieu bourgeois et religieux. Et cette image de la vipère, tenue au poing, se retrouve à la fin du roman : « Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais partout renaissante, je la brandis encore et je la brandirai toujours, quelque soit le nom qu’il te plaise de lui donner : haine, politique du pire, désespoir ou goût du malheur ! Cette vipère, ta vipère, je la brandis, je la secoue, je m’avance dans la vie avec ce trophée, effarouchant mon public, faisant le vide autour de moi. Merci, ma mère ! Je suis celui qui marche, une vipère au poing. »

 

L’histoire ensuite, vous devez la connaître : Madame Rézeau et son mari rentrent de Chine quand la grand-mère vient à décéder. Jean et son frère Ferdinand découvrent leur mère qui au lieu de les accueillir à bras ouverts, leur colle une gifle pour les maintenir à distance et leur montrer à qui ils ont affaire. A cette occasion encore, ils rencontrent leur petit frère, Marcel, né en Chine. Très vite, les relations sont exécrables entre la mère et les enfants. Par économie, alors que Madame Rézeau est fortunée, ils ne mangeront à leur faim, seront mal fagotés et surtout n’auront pas le droit d’aller à l’école, un curé leur dispensera les cours. Or, au-delà de cette révolte des enfants, un des thèmes forts, me semble-t-il, de ce roman est l’enfermement. Tout se passe à la « Belle Angerie », domaine familial, sous la surveillance de Folcoche et du précepteur. Les enfants ne peuvent circuler dehors comme ils le souhaitent. La mère a réduit les espaces de liberté au maximum. Par deux fois, grâce à la mauvaise santé de Folcoche, les enfants échappent au joug maternel. Le père, lâche mais plein de bonté, les laissent profiter de ces quelques jours de liberté. Ils ne grattent plus la terre du jardin (corvée quotidienne), font pousser leurs cheveux tondus par Folcoche elle-même, mangent à leur faim et en profitent pour cacher de la nourriture. Mais cette liberté est de courte durée. Dès son retour Madame Rouzeau sépare les enfants. Jean est envoyé avec son frère aîné dans le Gers où ils dorment et mangent comme des princes. Pourtant cette totale liberté dans un climat serein lasse Jean qui éprouve un sentiment de manque à l’égard de sa mère… Mais encore une fois, le séjour prend fin et les deux frères retrouvent la Belle Angerie et ses conventions. Brasse Bouillon (Jean) continue d’alimenter une haine sans bornes pour sa mère qui le lui rend bien. C’est sur ce sentiment de haine et de fureur que se clôt ce roman.

 

Hervé Bazin a écrit une autofiction, dans laquelle il dénonce les conventions haïssables du milieu bourgeois angevin et passéiste, milieu que l’on retrouve dans bien d’autres régions, en France, à cette époque. Nombreux sont les lecteurs qui se reconnaissent dans les mésaventures de Brasse Bouillon et de ses frères : preuve en est le succès éditorial qui perdure aujourd'hui encore. Ce roman est également très souvent étudié au collège, et pour cause : la prose y est fluide, le vocabulaire simple et ne présente pas de difficultés. Evidemment, malgré l’apparente facilité de lecture, Vipère au poing n’est pas un divertissement. Il agresse, dérange, titille nos certitudes. Mais n’est-ce pas le rôle de la littérature que de bousculer le lecteur ?

 

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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 18:46

la-presence.jpgLes éditions Les Allusifs viennent de fêter leurs dix ans d’existence. Pour diversifier leur catalogue, elles lancent une nouvelle collection : « Les Peurs ». Pierre Jourde est le premier à tenter l’expérience. Dans La Présence, l’auteur évoque une angoisse d’enfance, celle de la maison vide. Ce texte très court (86 pages) m’a beaucoup touché parce qu’il a réveillé en moi des sensations vécues. Cette maison familiale, au sein d’un hameau où la solitude n’est guère bien vue, c’est aussi un peu la mienne.

L’enfant puis l’adolescent, lors de ses séjours en Auvergne, dort dans la maison ancestrale où plusieurs générations ont vécu. Dans le silence, l'angoisse de voir surgir quelqu'un ou quelque chose le tient en éveil, apeuré. Pas plus rassuré en journée, il ne s’acclimate guère aux récits des habitants, en apparence hospitaliers et pourtant détenteurs d’histoires cruelles. Selon lui, « chaque personnage, chaque maison, chaque famille, chaque hameau est une inépuisable matrice d’histoires, qui, s’entremêlant, se multipliant, se contredisant, finissent par former le vrai corps de ce pays, sa chair de songe frémissante. »

Cherchant le silence et l’apaisement, c’est dans la forêt profonde qu’il trouve refuge. Dès lors confie-t-il, le monde « se mettait entre parenthèses. L’impossibilité devenait son état ordinaire, sa substance. C’est à raison de leur impossibilité que les arbres, qui m’entouraient à perte de vue, m’enveloppaient, m’absorbaient, devenaient concrets, prenaient poids, texture et présence. » Dans cette forêt, surgissent des personnages mythologiques et merveilleux, propres à le rassurer et donner une consistance au vide qui le hante. Car finalement, au fil des pages, où il n’est question que de fantômes, de clowns sortis du placard et de figures imaginaires, on comprend que c’est l’absence qui génère chez l’auteur cette angoisse. Paradoxalement, « la pièce fermée suscite un tout autre mode de présence que celui auquel nous sommes habitués. Une présence de minuit, dirait Mallarmé, un lieu constitué par les traces d’un évanouissement. »

Avec le temps, les angoisses de Jourde ne se dissipent pas. Adulte, il éprouve encore cette même frayeur en dormant une nuit dans la maison vide d’un de ses collègues. Malgré les années, cette peur enfantine lui colle à la peau,  tel « un poison », elle s’est instillée en lui.

Grâce à la mythologie et l’écriture, Jourde renoue avec cette peur irrationnelle, cherche à l’expliquer, la transcender.

 

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17 mai 2011 2 17 /05 /mai /2011 16:00

haruki murakami la ballade de l'impossibleHaruki Murakami est l’auteur japonais le plus lu au monde et parmi les plus appréciés. Il se trouve que jusqu’alors, je n’avais pas été convaincue. Il y a quatre ans déjà, j’avais fait une tentative de lecture avec Le Passage de la nuit. Ce fut un réel ennui. Je n’avais pas compris ce qui faisait le charme de cet auteur loué par la critique comme par les lecteurs. Le temps a passé et je n’ai ni trouvé l’occasion de retenter l’expérience ni manqué de livres... Finalement, grâce à l’adaptation cinématographique de La Ballade de l’impossible par Tran Anh Hung, chroniquée pour Le Magazine des livres, j’ai renoué avec Murakami. Et cette fois, ce fut une révélation. Il y a bien longtemps que je n’avais pas éprouvé une telle émotion, un tel bouleversement. J’ai été si touchée par cette écriture et cette analyse psychologique des différents personnages que, pendant plusieurs jours, je me suis sentie extrêmement mélancolique. Certes, cela ne furent pas les jours les plus heureux de ce mois de mai, mais quel plaisir de lire un texte qui touche au plus profond de soi !

 

Le sujet du roman, La Ballade de l’impossible, serait la mort et les raisons qui nous poussent au suicide. Mais est-ce vraiment cela ? Murakami traite ce sujet de façon assez romantique. En effet, ses jeunes personnages tentent de trouver une raison de continuer à vivre malgré des blessures profondes, des disparitions d’êtres chers, des amours impossibles. En surface, on peut lire le roman comme le récit d’un jeune homme, Watanabe, amoureux de Noako, traumatisée par le suicide de son petit ami. Une histoire impossible puisque Naoko tombe dans une profonde dépression qui l’entraîne aux portes de la folie. Parallèlement, Watanabe s’attache à une étudiante, Midori, fantasque et pleine de ressources, qui lui fait part de ses désirs érotiques les plus intimes. A priori, rien d’excitant dans tout cela. Pourtant, c’est un des romans qui m’aura le plus marqué cette année.

 

Murakami décrit une jeunesse en proie aux doutes, au spleen et aux rêves. Commençons par Watanabe qui fait des études de dramaturgie. Peu intéressé par ce qu’il étudie, la solitude et la lecture sont des échappatoires à une existence morne et sans avenir. Il se lie d’amitié à un autre étudiant, cynique, qui le déniaise en l’entraînant dans ses sorties crapuleuses. Ce garçon, étrange, peu sensible, fascine également par sa philosophie. Seule compte à ses yeux la liberté, et non le bonheur ou l’attachement affectif. Il pourrait être comblé : particulièrement brillant, il aspire à un avenir professionnel international, et pourtant, ce projet le laisse de marbre tout comme la fidélité que lui porte son amie malgré ses nombreuses escapades… C’est dans l’expérience et le détachement qu’il trouve le contentement.

 

Watanabe est également un personnage mystérieux. L’histoire se situe en 1968 : la révolution étudiante bat son plein et pourtant, il demeure complètement extérieur à cette mobilisation. Il évoque en quelques mots cette agitation sans prendre parti. Ces agitations ne sont pas motivées. Narrateur, il se contente de nous faire part de ces jeunes qui défilent. La collectivité ne semble pas le toucher à ce moment. Les destins tragiques de ses amis concentrent toute son attention. D’un point de vue sentimental, il s’attache à une jeune fille, Naoko, qui ne l’aime pas. Il l’écoute, l’aide à traverser sa période de deuil, lui rend visite dans sa maison de repos, lieu isolé, forestier et onirique où la parole semble se libérer. Naoko a un comportement étrange, que Watanabe ne parvient pas à cerner. Elle le fait venir près d’elle mais se tient pourtant à distance. Elle ne réussit pas à exprimer ce qui la hante. On comprend simplement que sa relation avec son petit ami était uniquement platonique et que les rapports intimes demeurent un obstacle entre elle et Watanabe. Les paroles échangées entre les différents personnages sur la sexualité sont crues et pourtant, cela ne heurte pas le lecteur car elles s’intègrent au récit et sont justifiées. Watanabe, Naoko, Midori ont vingt ans. Ils se posent les questions propres à cet âge : l’orientation, les choix et surtout les raisons qui font que cela fonctionne ou non.

 

Reiko est une des résidentes de la maison de repos, colocataire de Naoko. Elle est plus âgée que celle-ci mais se veut particulièrement prévenante. Lors de ses visites, Watanabe se retrouve le soir en promenade avec elle. Celle-ci lui parle des visions de Naoko et surtout lui confie les raisons de sa présence dans cette maison de repos. Elle aussi n’est pas au clair dans ses orientations sexuelles. Reiko peine à trouver un certain équilibre psychique. Comme les autres personnages du roman, elle a été confrontée au suicide.

 

La Ballade de l’impossible nous porte bien au-delà de l’histoire des différents personnages. Elle nous touche parce qu’elle parvient à dévoiler une part de nous-mêmes, à nous remettre en cause. La beauté du texte de Murakami repose sur une prose fluide, poétique et surtout mimétique. Un très grand roman que je ne suis pas prête d’oublier.

 

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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 21:49

forets-noires.jpgIl y a quelques jours, Ph.J. m’interpellait ici pour défendre Virginie Despentes, affirmant que « Baise-moi est une merveille de style, qui enfonce tout ce qui a été publié en France ces trente dernières années. » Vous avez bien lu : le meilleur roman français de ces trente dernières années. Pourtant, je viens de lire une petite « merveille de style » qui devrait sans doute aucun, remettre en cause ces propos catégoriques. Bien sûr, on me rétorquera que je triche, je propose un roman dans une veine bien classique. C’est vrai, sous la plume de Romain Verger, on retrouve Flaubert, Rimbaud, Alain-Fournier, Michaux…

 

Souvenez-vous, Grande Ourse est un roman qui m’avait émerveillé… Sa beauté stylistique, son univers organique m’avaient envoûtée… Avec Forêts noires (Quidam Éditeur), Romain Verger poursuit l’exploration de l’inconscient, des rêves et des traumatismes de l’enfance.

 

Parce qu’on pourrait me rétorquer que le monde de Romain Verger est archaïque, très loin de notre époque, je vous invite à ouvrir son livre et pénétrer dans ses forêts noires, pleines de génies malins et de démons… Vous serez surpris d’entrer en contact avec vos propres émotions, vos sentiments les plus secrets. Comme dans Grande Ourse, les besoins primaires dominent : la faim, la soif, la survie…

 

Le narrateur est un scientifique envoyé en mission au Japon pour étudier la forêt d’Aokigahara Jukai. Ce départ marque une rupture avec sa vie routinière et solitaire, auprès d’une mère malade et impotente. Au Japon, il côtoie les villageois, dont Shintaro qui le mène dans la forêt diabolique :

 

« Entre deux lacets, le Fuji-Yama émergeait de la couverture  végétale telle un dragon, crachait sa brume dans le soleil levant pour en baigner la forêt. Cà et là, de part et d’autre de la route, de longs rubans noués aux branches s’enfonçaient parmi les troncs ; uniques traces de fréquentations passées.  Voilà deux heures peut-être que nous marchions lorsque Shintaro m’entraîna parmi les arbres. Aussitôt nous passâmes du jour à la nuit quasi totale. Pas une once de ciel ne perçait le manteau végétal. Au fur et à mesure, les bois se resserraient, d’une exubérante malignité : pins noirs et bambous tressés autour d’énormes troncs tordus pétris de rhumatismes. »

 

Dans cette forêt maudite où des promeneurs y meurent mystérieusement chaque année, le narrateur voit ressurgir ses souvenirs d’enfance en Sologne, des souvenirs traumatisants d’écolier violenté par un camarade, effrayant mais séduisant, Vlad. Les peurs renaissent et des épisodes bien enfouis dans l’inconscient apparaissent sous ses yeux comme cette partie de chasse où les deux garçons, après avoir tué un cerf, boivent ensemble, son sang. Vlad n’est pas le seul revenant qui vient hanter le narrateur : les différents membres de la famille font aussi partie des cauchemars. Toutefois, Vlad exerce une influence sans pareille sur le narrateur qui accepte, fasciné, de participer aux rites de son ami. Son charisme, l’envoûtement qu’il exerce sur ses camarades n’est pas sans rappeler Meaulnes. Les correspondances avec le roman d’Alain-Fournier sont nombreuses : la jeunesse, la forêt merveilleuse, l’évasion et la liberté.

 

Les pulsions de vie et de mort sont au cœur de ce récit puissant, étrange et poétique. Je n’ai pas regretté ce voyage angoissant à travers mes Forêts noires. Me suivrez-vous ?

 

Le site de Romain Verger

Le point de vue de La Taverne du Doge Loredan, Bartleby les yeux ouverts.

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 10:38

antoine-volodine-ecrivains.jpgComment vous dire combien Écrivains d’Antoine Volodine (Le Seuil) m’a touchée, émue, bouleversée ? Dans ce roman, l’auteur imagine des biographies d’écrivains maudits. Pour ceux qui ont eu la chance et le bonheur de lire en 2006, L’Ami Butler (de Jérôme Lafargue), je suis sûre que cette idée ne peut vous laisser indifférents. Ici, il n’est pas question de faire le portrait du « grand écrivain » avec tous les clichés sous-entendus. Volodine imagine des situations critiques, extrêmes qui ont poussé ces hommes et ces femmes à abandonner, de gré ou de force, leur activité, du moins aux yeux de la société. Ce sont des prisonniers, des malades, des mourants, souvent analphabètes. Pas un ne sortira sauf de ces quelques pages qui lui sont accordées. L’auteur focalise son attention sur les suicidaires, les opprimés, ceux qui n’ont pas la parole. Ils sont dans l’urgence de témoigner de leurs engagements, de leurs combats comme de leur désespoir.

 

Volodine est, dit-on, un écrivain post-exotique. Qui mieux que le personnage Linda Woo peut définir ce courant inventé par notre auteur lui-même ? « Les écrivains du post-exotisme ont en mémoire, sans exception, les guerres et les exterminations ethniques et sociales qui ont été menées d'un bout à l'autre du XXe siècle, ils n'en oublient et n'en pardonnent aucune [...]. Ils considèrent que le XXe siècle a été constitué de dix décennies de douleur à grande échelle, et que le XXIe siècle s'est engagé sur la même route, car les causes objectives et les responsables de cette douleur sont toujours là, et même se renforcent et se reproduisent, comme dans un Moyen Age interminable. » Les sept portraits imaginés par Volodine sont à l’image de ce post-exostisme : ils refusent le monde tel qu’il est et se veulent des résistants, chacun à leur manière. L’ensemble forme certes un tout cohérent mais constitue surtout sept biographies uniques et singulières, où chaque protagoniste exprime une problématique particulière, évolue dans un milieu qui lui est propre. Mais tous partagent la même rage de s’exprimer, eux demeurés jusqu’alors dans l’ombre. L’écriture, sinon la parole, se veut une dernière délivrance.

 

Il ne faut pas croire toutefois que Volodine se complaise dans la douleur et la plainte, l’humour surgit de temps à autre. Ainsi dans le chapitre « Remerciements », parodie du genre, le narrateur déclare : « Parmi les personnes à qui je suis formidablement redevable de m'avoir soutenu dans les moments difficiles, une place toute particulière doit être réservée à Tatiana Vidal, à son mari Olaf et même à leur bébé Carmelita, pour les encouragements qu'ils m'ont prodigué alors que, songeant à me défenestrer, j'avais déjà enjambé le rebord du balcon de leur vingt-deuxième étage.

Sans leurs paroles réconfortantes, intelligentes et appropriées, et sans les sanglots stridents de Carmelita, je crois bien que je n'aurais jamais terminé mon roman Macbeth au paradis. »

 

Écrivains est un hymne à la liberté, à la lutte contre les injustices. Le monde qui se déploie sous nos yeux est une vaste ruine où nul ne peut sortir indemne. Volodine dresse le portrait de sept maudits qui ont passé leur existence à se battre, et qui se retrouvent, impuissants, en fin de parcours. C’est avec un enthousiasme non dissimulé que je vous recommande ce très beau texte, fort et engagé.

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 18:40

jardins-statuaires.gifIl est temps de revenir vers la littérature, avec un écrivain, trop peu connu, hélas, Jacques Abeille. J’ai découvert cet auteur il y a près de quatre ans, grâce à la revue Le Nouvel Attila qui publiait des extraits de son œuvre. La revue est aujourd’hui devenue une maison d’édition – Attila – et en cette rentrée, elle réédite Les Jardins statuaires, déjà paru en 1982 chez Flammarion puis en 2004 chez Joëlle Losfeld… Étrange destin éditorial, aussi étrange que son contenu même…

 

Lorsque l’on découvre l’écriture dense et poétique de Jacques Abeille, on quitte immédiatement le monde réel pour se lancer dans une aventure imaginaire peuplé d’êtres étranges et de créatures merveilleuses. Dans son monde, Abeille fait pousser les statues comme des fleurs qu’il faut entretenir et soigner avec vigilance. Dans son monde, Abeille crée de nouvelles lois, de nouveaux rites auxquels les hommes doivent se plier. Si l’on accepte de faire ce voyage, il faut accepter de perdre tout sens du réel, de la logique, et se laisser guider par ses émotions. Il est en effet bien difficile de résumer un tel livre : fable poétique, roman d’aventures, d’amour, d’apprentissage, le choix est vaste. Abeille ne s’enferme dans aucun genre : il écrit au gré de ses désirs et s’il maîtrise son récit, le lecteur peut se montrer parfois déboussolé, ne sachant à quoi se rattraper sinon à la beauté du langage. De ce livre, Abeille dira d’ailleurs : « Je crus avoir écrit l’œuvre d’un fou ; l’ayant laissée quelque temps, je m’étonne d’une cohérence inattendue. » Mais comme il est bon de se perdre dans la folie et d’y déceler une part cachée de nous-mêmes !

 

Pour savourer cet épais et magnifique ouvrage, illustré par les dessins de François Schuiten, il est vivement conseillé de se déconnecter du monde réel, éteindre I-phone, et ne pas chercher à rationnaliser ce qui se trame sous ses yeux ébahis. Bon voyage !

 

 

D’autres lectures :

La Taverne de Doge Loredan

Le Matricule des anges

Nouvelle revue rebelle

Remue.net

Fric-Frac club

 

 

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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 09:32

bubul-sharma.jpgQuel délice de lire Bulbul Sharma. Elle nous avait déjà régalé, il y a quelques années de cela, avec La Colère des aubergines, histoires indiennes agrémentées de recettes simples et traditionnelles. Elle revient en cette rentrée avec un nouveau recueil, Mangue amère (aux éditions Philippe Picquier) qui nous met encore une fois l’eau à la bouche. Avis aux gourmands et aux gourmandes : Bulbul Sharma sait agrémenter ses différentes histoires de piments et de saveurs acidulées. 

 

Huit femmes se retrouvent pour préparer le repas d’anniversaire des funérailles d’un certain Bharueai Jog. Tandis qu’elles lui mitonnent, en souvenir, ses mets favoris, chacune des cuisinières, prend tour à tour la parole pour raconter une anecdote. Toutes les histoires ont un lien non seulement avec les traditions ancestrales indiennes mais aussi la cuisine, car dans ce pays, la nourriture tient une place particulière. En effet, toute femme qui souhaite être acceptée dans la famille de son mari et garder celui-ci près d’elle doit nécessairement savoir bien cuisiner.

 

La première histoire met en scène le destin tragique de la trop belle Maya, impertinente aux yeux de sa belle-mère qui décide de la rendre beaucoup plus docile. Ensemble, pour tenter de la « soigner », elles vont voir un étrange personnage capable de la transformer en femme obéissante. En une semaine, promet-il, « elle serait aussi douce qu’une vache – une femme parfaite, comme les dieux l’avaient ordonné -, une femme facile à posséder, belle et docile. Calme, obéissante, pu bavarde, toujours d’humeur égale, prête à s’abandonner. Elle s’allongerait tranquillement sous son mari pour recevoir sa semence, baisserait les yeux devant ses aînés, cuisinerait, nettoierait, s’occuperait de leur bien-être sans prendre de pause et chaque mois, à la pleine lune, lui laverait les pieds avec ses cheveux. (…) elle finirait par s’incliner délicatement comme un bourgeon de lotus. Elle serait enfin prête à répondre aux souhaits de tous ». Voilà la définition de l’épouse parfaite. Voilà à quoi toutes les femmes décrites dans le recueil doivent se plier ou bien elles seront sacrifiées.

 

Je n’ai pu lâcher ce recueil avant la dernière page tant l’écriture coule et les histoires s’enchaînent naturellement. Mais la réalité décrite s’avère aussi pénible : il s’agit de femmes soumises, et si elles se révoltent, sont immédiatement cassées. Elles n’ont pas accès aux études car « tout le monde sait que les femmes instruites ne savent pas cuisiner ». Elles doivent accepter d’être trompées par un mari qu’elles n’ont d’ailleurs pas choisi car « c’est une pression en moins (…) au lit » et pour régler le problème, se « dépêcher d’avoir un fils. (…) Il n’y a rien de mieux qu’un fils pour attacher un mari volage ». Toutefois, ce recueil ne manque pas d’humour. L’auteur se moque des travers de ces belles-mères acariâtres et possessives, des jalousies féminines… Les hommes n’ont quasi pas leur place dans ces histoires, même s’ils sont au cœur de tous les conflits.

 

Encore une fois, j’ai été conquise par Bulbul Sharma et sa Mangue amère.

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1 septembre 2010 3 01 /09 /septembre /2010 15:26

ta-mere-carvalho.jpgA priori, la Russie n’est pas un pays qui m’attire : je connais mal sa culture, ses paysages, ses traditions. Bref, c’est un pays qui m’est étranger. Pourtant, le Brésilien Bernardo Carvalho est parvenu à me passionner pour la Russie et ses conflits grâce à son merveilleux roman ‘Ta mère (aux éditions Métailié).

 

Le roman s’attache à raconter le destin de mères brisé par celui de leurs fils morts ou blessés à la guerre. Celle qui oppose les Russes aux Tchétchènes. Une citation illustre parfaitement le cœur du sujet : « les mères ont davantage à voir avec les guerres qu’elle ne l’imaginent. C’est le contraire de ce que tout le monde pense. Il ne peut y avoir de guerre sans mères ». Elle dit toute la douleur de ces femmes souvent seules, leur désespoir. Elle dit aussi combien ces femmes tentent de s’impliquer pour aider leurs fils à traverser les conflits, à les rendre moins pénibles.

 

Loin d’être une histoire sur la guerre, ‘Ta mère est plutôt un livre sur l’engagement des mères, sur la filiation et la maternité ainsi que la séparation voire l’abandon. Plusieurs vies se mêlent sans rapport les unes avec les autres mais très vite, se croisent et se rencontrent.

 

Zainap fait partie de ces femmes héroïques. Pour sauver la vie de son petit-fils, elle décide de se faire arrêter par les Russes avec lui, interner dans un camp, et mourir loin de chez elle. Avant de se laisser mourir, Zainap révèle les origines à son petit-fils, Rosland. Cette confession marque le début de l’histoire puisque c’est autour de Rosland que se cristallisent les rencontres à venir.

 

On croise alors le mauvais garçon, Maxime, à Saint-Pétersbourg, Andreï, le jeune soldat… Tous deux ont un lien affectif avec Rosland. Je ne puis dévoiler ces liens car ils font partie du secret livré par la grand-mère, Zainap.

 

Avec beaucoup de sensibilité mais sans mélo, Bernardo Carvalho signe un roman puissant sur les conflits en Tchétchénie ainsi que les liens filiaux. Je ne puis que vous encourager à lire ‘Ta Mère.

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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 11:18

intermittences.jpgPendant la rentrée littéraire, il n’est pas rare que certains journalistes se tournent vers les premiers romans, en quête de pépites… En revanche, les seconds romans attirent moins l’attention. Il y a bien sûr des exceptions, surtout quand le premier roman fut un carton. C’est le cas par exemple du nouvel opus, Le Sel, de Jean-Baptiste Del Amo, qui s’était fait remarquer à la rentrée 2008 avec une Éducation libertine.

 

De mon côté, j’ai choisi de lire le second roman d’une jeune auteur prometteuse : Celia Levi. Les Insoumises était un roman épistolaire, échange entre deux amies radicalement opposées, l’une rêveuse et l’autre engagée… Toutes deux tentent de défendre leur position et de montrer les erreurs et les illusions de l’autre. C’était un roman pessimiste sur le monde et les aspirations de la jeunesse. Un roman court, efficace et bien pensé. Deux ans ont passé. Celia Levi revient avec Intermittences (aux éditions Tristram), un roman tout aussi engagé et pessimiste. Je l’ai lu comme une allégorie. En apparence, l’auteur raconte le quotidien d’un jeune artiste peintre qui, pour gagner sa vie, accepte de faire de la figuration afin d’obtenir le statut d’intermittent du spectacle et bénéficier de certains avantages.

 

Alors qu’il aimerait se consacrer davantage à sa réelle activité, la peinture, le narrateur est sans cesse retenu par des problèmes administratifs liés au statut d’intermittent. Alors qu’il pense avoir suffisamment travaillé pour obtenir le statut, on lui répète, à chaque fois qu’il est obligé de faire un tournage de plus. La situation vire rapidement à l’absurde et l’auteur se plait à jouer avec nos nerfs. L’influence de Kafka est évidente. Mais pas seulement… En effet, tandis que ce jeune peintre se débat pour avoir une protection sociale, il cohabite avec son amie Pauline, une jeune bourgeoise, qui n’a guère besoin de travailler pour survivre, ses parents subvenant à tous ses besoins. Fantasque, extravagante, elle précipite davantage encore le narrateur vers le précipice. Leur chat disparaît un jour. Un chat étrange, terrifiant. Le jeune homme accepte, pour sa belle, de le chercher à travers la ville et, chemin faisant, au fil des soirs, il se sent hanté par le portrait de la « Folle » de Soutine, portrait semblable à celui de Pauline. Plus le chat s’éloigne, plus les obstacles administratifs sont grands. On pense encore à Edgar Poe en lisant ce roman étrange, fascinant. Son physique se dégrade également : ses dents se déchaussent, ses gencives changent de couleur. La folie le guette…

 

la folleAlors que Les Insoumises était un roman épistolaire, Intermittences prend la forme du journal intime, ce qui permet à l’auteur de partager les pensées de ce peintre qui perd pied. Pourtant, ce livre n’est pas qu’un roman sur le statut d’intermittent du spectacle. Il décrit l’univers du travail, celui des précaires et de tous ceux qui acceptent de s’écraser parce qu’ils s’estiment suffisamment gâtés. Ainsi, le narrateur estime que « nous, Français, sommes privilégiés, nous bénéficions de soins médicaux gratuits, l’enseignement est de qualité, les indemnités chômage assurent aux plus démunis de quoi subsister et l’intermittence du spectacle permet aux artistes de créer librement. Bien sûr, il faut savoir être obéissant et ne pas chercher à être plus malin que le système, mais n’est-ce pas un juste tribut à payer ? » Quand on lit la suite du roman, on comprend que non, ce n’est pas un juste tribut et que ce pauvre figurant est bien une victime du système qui n’épargne personne. Ceux qui refusent le traitement des intermittents, dégagent purement et simplement. Ainsi, le narrateur se plaint-il d’avoir fait la même journée 12 heures supplémentaires et « cela ne comptera malheureusement pas comme un cachet de plus. Il faisait un froid de canard dans les studios, on a dû tourner dehors sous la pluie. J’ai encore les mains glacées et je suis au lit avec une bouillotte. Ils nous ont à peine nourris, un bouillon clair, un morceau de pain et un fuit, pris à la va-vite sous une tente qui laissait filtrer le vent et la pluie. […] Une partie de la figuration est partie, opposant qu’il était trop tard et que c’était illégal. J’ai préféré rester, pour me faire bien voir de la chargée de figuration ». Quoi qu’il en soit, les révoltés comme les soumis demeurent dans une précarité évidente, embourbés dans les absurdités administratives. Ce roman évoque bien plus que la situation des intermittents, il décrit la société de tous les laissés pour compte, les vacataires, les demandeurs d’emploi, tous les précaires dont les critères ne correspondent jamais à ceux exigés pour obtenir un boulot, un logement… Intermittences est un roman fantastique, absurde et poétique à la fois. La simplicité de la langue reflète la crudité des situations évoquées. L’omniprésence de la figure de la Folle participe de cette ambiance particulière, à la fois onirique et masochiste. Un très bon roman, engagé et passionnant.

 

 

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