Quand nous serons heureux (éditions Le Passage) est un recueil de nouvelles qui se lit comme des sketches. A travers des monologues vifs et efficaces, les narrateurs racontent un moment clé de leur existence. Chaque nouvelle est faite sur un même canevas : une précipitation vers la chute, dans un cynisme irrésistible. L’ensemble est un pur moment de détente. Pourtant, les situations que décrit Carole Fives, lauréate du prix Technikart 2009, ne sont pas des plus réjouissantes. On croise par exemple ce fils qui tente, en vain, de plaire à son père en exerçant différentes professions intellectuelles, cette femme accusée par un bénévole de SOS Violences conjugales de bloquer la ligne pour une situation qui ne lui semble pas si périlleuse ou bien cette adolescente qui a eu son premier rapport sexuel avec un vigile de supermarché, en échange de son silence…
Tous ces personnages n’ont pas la vie qu’ils souhaitent : maltraités, malmenés par leurs proches, ils tentent de trouver une issue à leur solitude. Mais, malgré leur lucidité, ils semblent condamnés à ne pouvoir évoluer, quitter leur entourage qui les étouffe et les empêche d’être heureux.
Dans « Rock’n’roll roll suicide », la narratrice est une fan absolue de David Bowie. Après des études de journalisme, elle a l’opportunité d’interviewer son idole. Sa meilleure amie, groupie également, la supplie de l’accompagner. Et ce qui devait arriver, arriva : David Bowie tombe sous le charme de l’amie et non de la journaliste. Seule issue à ce drame : la mort…
Carole Fives croque ses personnages et en quelques phrases parvient à planter le décor et surtout à leur donner chair et âme. Avec une plume actuelle, fraîche et caustique, l’auteur met en scène des êtres profondément seuls et malheureux.
Certains sont perdus, incapables de comprendre leur entourage. Ainsi cette mère qui, dans « Son père tout craché », se plaint de l’attitude de sa fille trop grosse d’abord puis désespérément maigre…
En trois-quatre pages, Carole Fives dépeint avec humour (noir), des êtres mesquins, superficiels, blessés… aspirant au bonheur. Pensons à cette vieille fille qui ne parvient à trouver un mari, son père, l’homme de sa vie, se montrant toujours critique à l’égard de chacun de ses prétendants, ou bien à cette mère de famille réalisant peu à peu que son mari est bien plus tendre avec ses enfants qu’avec elle…
L’ultime nouvelle, « Tes nouvelles Quand nous serons heureux » résume parfaitement l’esprit du recueil. Carole Fives imagine – ou bien retranscrit – la critique que lui fait l’une de ses amies après avoir lu son livre : trop cynique, trop noir, sans espoir… Celle-ci aime, au contraire, des auteurs comme Anna Gavalda ou Lucia Exteberria qui écrivent pour donner un peu de bonheur et d’espoir à leurs très nombreux lecteurs. Cette amie reproche à l’auteur de n’écrire que pour elle, sans penser à un lectorat susceptible d’apprécier sa prose. Comme les autres nouvelles, celle-ci est très drôle, grinçante et indéniablement absurde.
C’est fin, plutôt bien écrit, bien ficelé. Je vous recommande cette lecture, sans hésitation !