Jusqu’à présent, je me tenais éloignée de Twitter. Vraiment, je n’en voyais pas l’utilité. Nombreux ont été ceux qui ont tenté de m’en convaincre, de m’assurer que Twitter annonçait la mort de Facebook. Mais je ne me résignais pas à tenter l’aventure. Et puis finalement, j’ai franchi le pas. Et je ne le regrette pas. Certes, je passe beaucoup (trop) de temps à lire les billets twittés, mais je fais de nombreuses découvertes. Il y en a une que je tiens absolument à vous faire découvrir : il s’agit des trésors de Gallica.
Depuis 10 ans, la BNF numérise une bonne partie de son fonds, que l’on peut consulter librement. C’est extrêmement pratique, notamment pour les étudiants qui ne peuvent avoir accès aux réserves de la BNF.
Régulièrement, Gallica partage des idées de lecture sur Twitter ou Facebook. C’est par hasard que je suis tombée sur une page concernant le désir incommensurable de l’écrivain graphomane, de remporter un prix littéraire. Il s’agit d’un extrait de Graphomanie, essai de psychologie morbide de Ossip Lourié, publié en 1920.
L’auteur tente d’expliquer l’effet néfaste que peut avoir un prix littéraire sur un écrivain atteint de graphomanie.
J’ai trouvé cette thématique passionnante pour deux raisons. La première est liée à l’actualité littéraire. Ces derniers jours, les sélections de la plupart des prix prestigieux ont été révélées. Sans surprise aucune, ce sont les mêmes auteurs qui sont sur toutes les listes et parmi eux, la plus célèbre des graphomanes : Amélie Nothomb.
Mais il y a une autre raison, liée à l’information politique cette fois. Woerth est accusé d’être intervenu pour attribuer la Légion d'honneur au gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, Patrice de Maistre, en échange de quoi, celui-ci serait intervenu pour que Mme Woerth soit embauchée dans sa société. Passe-moi le sel, je te donne le poivre. Passons sur Woerth qui donne un (sacré) coup de pouce à sa femme pour nous intéresser à M. de Maistre. Quel est le gain réel pour lui dans cette histoire ? Rien, sinon avoir une médaille. Un bon point.
Et c’est ce désir quasi irrationnel que décrit Ossip Lourié dans Graphomanie. Une seule idée obsède le graphomane, le maintient en vie : l’espoir d’obtenir une récompense. Ossip Lourié est sans complaisance à l’égard des prix littéraires : « (…) la conquête des prix est devenue un véritable match où l’esprit d’intrigue balance la nullité des postulants et affaiblit la conscience professionnelle chez les rivaux comme chez les juges. (…) Ce ne sont pas les talents que les prix encouragent, mais la floraison de la graphomanie, et souvent de la folie ».
La suite est assez cocasse ou tragique, vous jugerez. L’auteur prend le cas d’un certain I. qui est devenu écrivain parce qu’au lycée, un professeur, lui rendant une rédaction, lui dit que celle-ci « est très appliquée » mais ajoute « Si jamais vous avez des tendances à écrire, tâchez d’être plus personnel ». Le commun des mortels aurait pris cette remarque comme une critique. Pas I. qui l’entend comme « un grand éloge ». De ce malentendu, I. abandonne des études de droit pour se consacrer à l’écriture. Il rencontre un auteur qui vient d’obtenir le prix Goncourt. Lui aussi veut ce prix. Il est persuadé d’en avoir les qualités. En quatre mois ( !!), il compose son premier roman et trouve un éditeur… à compte d’auteur. Et c’est avec ce livre, non diffusé, et sans relation, inconnu du milieu littéraire qu’il espère remporter le prix. Il envoie donc à tour de bras son livre dédicacé aux journalistes dans l’espoir d’être congratulé par la critique. En vain. Le prix Goncourt lui échappe. Il tombe en dépression, est pris de crise de paranoïa, reste reclus chez lui, a des accès de mégalomanie. La description des différents symptômes se veut précise, claire pour la non initiée que je suis. Cette démence le pousse aux pires extrémités. Rien n’a plus d’importance à ses yeux que d’avoir ce prix.
Ces quelques pages m’ont fait sourire : contemporaines, elles renvoient à ce manège auquel nous assistons tous les ans en cette période. Rien n’intéresse tant auteurs et médias que de savoir qui aura le fameux prix Goncourt. Cette année, il paraitrait que ce sera Houellebecq. Je n’en dis pas plus, vous devez être abreuvés d’infos sur le sujet. Mais lisez donc Écrivains d’Antoine Volodine, vous y découvrirez des portraits imaginaires bien différents de ces goncourables.