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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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31 juillet 2008 4 31 /07 /juillet /2008 11:06

Vivre en liberté, sans se soucier du lendemain, dans un esprit de paix et d’amour, telles sont les ambitions des hippies. L’auteur, Gabrielle Maudet, garde un autre souvenir de cette époque. Dans son roman, Un long ruban de goudron sec (Scali), elle retrace son parcours, depuis son village breton jusqu’au continent africain. C’est dans son petit appartement de Belleville que j’ai rencontré cette femme touchante, un peu perdue comme son personnage, gardant un pied sur les longs chemins la menant au bout du monde, l’autre à Paris où elle a décidé de s’installer. La peinture étant son activité principale et vitale, ses toiles recouvrent le sol et les murs.


De l’Afrique vers Katmandou

Gabrielle a vécu mille vies, vu mille paysages. Le livre s’achève en Afrique, aux côtés de Louis. Celui-ci décide de lui faire un cadeau, empoisonné : il retrouve sa famille à Rennes et la laisse définitivement auprès de ceux qui l’ont abandonnée lorsqu’elle était adolescente. Gabrielle ne parvient pas à renouer les liens et décide de partir... en Inde ! Pour la première fois, elle se retrouve seule. Elle fait du stop, prend des trains, des autobus... En chemin, elle fait de mauvaises rencontres, se fait voler son argent… Elle met un an pour arriver à bon port. L’herbe lui permet d’avancer, toujours plus loin, et surtout de faire de trouver des contacts pour se sentir moins seule.

En Afghanistan, au Yemen, en Iran, elle n’a pas si peur : on a l’habitude de voir passer les hippies… Dans les échoppes, on trouve des fripes laissées par les globe-trotters qui n’ont plus d’argent pour finir le voyage. Elle-même doit vendre ses bijoux et ses effets personnels pour pouvoir continuer la route. Elle ne garde rien de cette époque si ce n’est quelques photos d’elle et de ses amis…

 

Nouveau départ : Haïti

De retour en France, à 37 ans, elle met au monde deux filles. A ce moment-là, elle est obligée, pour survivre, de travailler. Elle raconte en effet dans son roman que hormis son apprentissage, elle n’a jamais exercé une activité lucrative. Elle est engagée comme vendeuse aux Galeries Lafayette. Elle rencontre alors Bruno, un maquettiste. Loin de se sédentariser, ensemble, ils partent pour Haïti. Là-bas, il fait des maquettes de bateaux que Gabrielle vend pour gagner de l’argent.

Au bout de sept ans, ils reviennent en France, à cause de la situation politique du pays.

 

Retour définitif à Paris : écrire, enfin

Après des années à voyager autour du monde, Gabrielle Maudet pose ses valises définitivement à Paris avec son compagnon et ses deux filles. Un jour, elle se décide à mettre de l’ordre dans ses notes, notes prises grâce à Louis qui lui a donné le goût de l’écriture. Elle conserve tous ses cahiers d’écolier, dans une valise en carton. Si elle a tout perdu au cours de ses voyages, il lui reste encore ces nombreuses pages manuscrites, témoins de ces années d’errance. Soutenue par son compagnon, Bruno, elle prend la plume pour écrire Un long ruban de goudron sec : « J’ai mis dix ans à écrire ce roman ; il a fallu que je fasse une psychanalyse, des enquêtes et revoir certaines personnes, certains lieux… » Ce travail d’écriture est douloureux puisqu’elle doit fouiller au fond d’elle-même pour se remémorer des moments difficiles.

 
 
L’écriture : une mise à nu de soi

Lucide, elle revient sur son passé et définit sa narratrice comme « quelqu’un d’un peu bécasse, qui n’a rien compris à la vie ». C’est grâce à ses nombreux voyages qu’elle a forgé son caractère et pris conscience de la réalité du monde. Il lui a fallu des années pour apprendre à être indépendante, savoir ce qu’elle veut faire et pourquoi : « A l’époque, je vivais comme l’air, tout m’était permis ».  Louis a joué un rôle particulier : il lui a permis de prendre confiance en elle et de se mettre à écrire, elle qui n’a pas été jusqu’au certificat d’études : « Petite, on ne s’est jamais occupée de moi : ni ma famille ni l’école. J’avais le sentiment que l’école, ça n’était pas pour moi… Je n’étais pas faite pour ça… Et on ne savait pas où me mettre ».

Parce qu’elle s’est sentie toujours inférieure aux amis qu’elle croisait sur son chemin, jeunes gens cultivés, argentés, elle a voulu leur prouver qu’elle est capable de mener à bien un projet de longue haleine en écrivant ce roman.

 

Gabrielle Maudet a encore de nombreux projets : expositions de peintures, écriture de la suite de ses aventures… Je lui souhaite bonne route !

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15 juin 2008 7 15 /06 /juin /2008 17:10

Comment vous raconter l’émotion que j’ai eue la semaine dernière en rencontrant Jean Rouaud au Merle moqueur ? Etait perceptible encore la douleur de l’auteur à l’évocation de la mort de son père puis celle de sa mère, êtres chers constituant le thème central de son livre des origines composé de cinq volumes. Et que dire lorsque Jean Guiet a lu l’incipit de Pour vos cadeaux ?  :

« Elle ne lira pas ces lignes, notre miraculée des bombardements de Nantes, la jeune veuve d’un lendemain de Noël, qui traversait trois livres sur ses petits talons, ne laissant dans son sillage qu’un parfum de dame en noir. Même si sa vie ne se réduisait pas à cette silhouette chagrine, comprenez, il m’était impossible d’écrire sous son regard. Cet air pincé par lequel se manifestait son mécontentement, j’avais dû l’affronter pour avoir ravivé, en dépit d’une prudence de Sioux, une rivalité amoureuse vieille de cinquante ans à propos d’un homme mort depuis trente. A présent qu’elle régnait dans son magasin et qu’éclatait son grand rire moqueur, je n’allais pas lui gâcher son triomphe tardif.

Elle ne lira pas ces lignes… »

 

Willy Persello animait cette rencontre. Il a ainsi retracé le parcours littéraire de Jean Rouaud qui a publié son premier livre à l’âge de 37 ans en réussissant le coup de force d’obtenir le prix Goncourt avec ce roman, Les Champs d’honneur.

Dans les années 1970, le roman n’est pas à la fête. Les intellectuels comme Barthes et les chantres du Nouveau Roman rejetaient sans vergogne personnages, intrigues… Comment se lancer dans l’écriture avec de tels interdits ? Parce que Jean Rouaud ne souhaitait pas devenir enseignant, il n’a pas fini sa maîtrise sur Beckett. En phase avec la mouvance post-soixante-huitarde, il refuse la reconnaissance sociale comme le principe de hiérarchie. Vivre de petits boulots subalternes dans un premier temps lui convient, ayant l’impression de ne pas pouvoir s’inscrire dans le monde, lui l’orphelin qui a perdu son père au lendemain de Noël, un 26 décembre 1963, alors qu’il n’a que 11 ans.

Contrairement à ce qu’on dit souvent sur Jean Rouaud, il n’a pas écrit parce que son père est mort. Il a toujours eu le goût de l’écriture mais comme un fait exprès, il a rédigé son premier texte pour la fête des mères, un poème en octosyllabes, quelques mois après la mort de son père.

Désirant vouloir devenir écrivain, il a réalisé qu’il fallait écrire des romans, seul genre lui permettant d’accéder à ce statut. Mais selon son propre aveu, c’est « contraint et forcé » qu’il commet des romans ! Comme le roman est très déconsidéré, il laisse peu de liberté. Pour s’affranchir de ce genre, l’auteur s’autorise de nombreuses digressions, des descriptions sur plusieurs pages…

 

Jean Rouaud a raconté sa rencontre avec l’éditeur Jérôme Lindon des éditions Minuit. C’était à la fin des années 1980. L’auteur, encore inconnu, lui avait envoyé un manuscrit de quelques pages. Intéressé, l’éditeur a convoqué Jean Rouaud. Il ne voulait pas publier son livre, pas assez structuré, mais l’a encouragé à écrire un vrai roman, avec une intrigue et des personnages, lui l’éditeur de Nathalie Sarraute, Michel Butor, Claude Simon… Il l’a poussé à écrire les Champs d’honneur le libérant de cette modernité littéraire qui le complexait tant.

 

Dans ce roman, le premier volet de son roman sur les origines, il s’est servi de la Première Guerre mondiale pour tenter de raconter l’histoire de son père. En vain. Ce n’est que par métaphore qu’il parvient à l’évoquer. Il raconte donc les morts de sa famille qui l’ont précédé. Ce n’est que dans le volet suivant, Des hommes illustres, qu’il se confronte à l’épreuve redoutée.

 

Jean Rouaud analyse son style, sa manière très précise de raconter les détails. Il explique que n’ayant pas de modèle paternel, il n’est pas apte à affronter le monde extérieur, alors il se brouille avec lui et devient myope. Dans Le monde à peu près, le troisième volet, cette fois concentré sur la mort du père, Jean Rouaud utilise la métaphore de la myopie qui est une manière de dématérialiser le monde.

 

Juste après la parution de Le Monde à peu près, sa mère tombe gravement malade et meurt d’une leucémie. A présent, Jean Rouaud est définitivement orphelin. Il écrit alors les deux derniers volets de son œuvre sur les origines : Pour vos cadeaux et Sur la scène comme au ciel.

 

Deux ans après la publication de Sur la scène comme au ciel, l’éditeur Jérôme Lindon meurt à son tour. C’est la fin de l’aventure avec les éditions Minuit. A présent, Jean Rouaud se tourne vers la fiction et change d’éditeur(s). Les critiques des journalistes sont sans complaisance : on se demande ce qu’il peut bien écrire à présent qu’il en a fini avec le récit de ses origines. Certains ont cru qu’il allait poser définitivement sa plume. Ils ont eu tort puisqu’il a ensuite écrit pièces de théâtre, chansons, romans, essai sur son métier d’écrivain…

 

En ce dimanche 8 juin, je suis rentrée chez moi, heureuse et mélancolique à la fois, pour sortir de ma bibliothèque Les Champs d’honneur entreprenant ainsi la lecture intégrale du livre des origines avant d’attaquer L’Invention de l’auteur.

 

Le site de l’auteur, c’est là.

Dernier livre paru : La Fiancée juive.

Je vous recommande également la lecture de ce petit texte inédit sur Remue.net : « Ecrire, c’est tout un roman ».

 

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6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 13:38

Il fallait bien que je me lance, alors voilà : j’organise un café littéraire avec David Abiker ou plus exactement un café-débat. Vous connaissez sans aucun doute ce chroniqueur, spécialiste des médias et de la blogosphère. Chaque matin, il présente sur France Info une revue de presse sur l'actualité d'Internet et des blogs. Il écrit également des chroniques sur le site Arrêt sur images et alimente son propre blog.

Le café littéraire sera l’occasion de découvrir le nouvel ouvrage de David Abiker Contes de la télé ordinaire (publié chez Michalon) dans lequel il égraine en cinquante chroniques, le monde fabuleux des médias avec une délicieuse insolence. Il décrypte la surmédiatisation des stars, se moque des nouvelles icônes de la télé comme Florence Aubenas et Ingrid Bétancourt, le ridicule de certains politiques prêts à toutes les humiliations pourvu qu’ils soient visibles. Ces contes sont drôles et cyniques mais amènent le lecteur à réagir, à prendre position et à remettre en cause ses convictions, ou à carrément s’indigner contre l’auteur qu’il juge de mauvaise foi. David Abiker ne cherche pas à créer le consensus, il veut au contraire titiller notre bonne conscience, chatouiller notre susceptibilité.

Mardi 10 juin, vous êtes donc conviés à rencontrer David Abiker autour d’un verre dès 18 heures à Paris aux Andalouses (143 rue de Charonne- Métro Charonne).

 

J’espère que vous viendrez nombreux !



  Un petit détail (mais vous êtes plusieurs à me demander des précisions) : vous pourrez vous procurer les livres de David Abiker et bien sûr vous les faire dédicacer.



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24 mai 2008 6 24 /05 /mai /2008 16:29

Jeudi soir, j’étais au Centre culturel suédois assister à un débat entre Nicolas Fargues (l’auteur de Beau rôle, publié chez POL) et Jonas Hassen Khemiri (l’auteur de Montecore, un tigre unique au Serpent à Plumes). Il était animé par la journaliste Delphine Peras qui les a réunis autour des thèmes de l’identité, du métissage et du rapport à autrui.


Pourquoi écrire ?

Jonas Hassen Khemiri est né en Suède en 1978 de père tunisien et de mère suédoise. Il a vécu dans divers endroits et a beaucoup voyagé. Chez ses parents, enfant, il parlait plusieurs langues, au point de les mélanger, de les mixer. Son père affirmait ainsi que chez lui, on parlait le « khemirois » ! Parce qu’il a un rapport très particulier avec la langue, Jonas Hassen Khémiri affirme qu’il écrit pour prendre le pouvoir sur elle.

De son côté Nicolas Fargues, qui a vécu enfant au Cameroun et au Liban puis en France, s’est toujours « senti étranger à la France ». Il a toujours été plus proche avec des enfants venus du sud. Il s’est également marié avec une Africaine et revendique encore son attachement à ces pays du sud.

Contrairement à Jonas H. Khemiri, Nicolas Fargues écrit pour remettre en cause ses certitudes et se mettre face à lui-même pour mieux se connaître.


Quel souvenir gardent-t-ils de leur premier roman ?

Nicolas Fargues, qui a publié six romans, se souvient que dans le premier, il voulait prouver combien il savait bien écrire. Il recherchait les belles phrases, les bons mots.

Jonas H. Khemiri n’a pas publié son premier roman, se rendant compte qu’il ne l’avait pas écrit pour lui, mais en vue d’un lecteur. Le résultat était donc mauvais. Il cherchait trop à séduire son lecteur, lui montrer lui aussi qu’il maîtrisait bien la langue suédoise.


Quelle réception ont eu les livres auprès des lecteurs ?

Même si les livres de Jonas Khémiri se sont vendus à plus de 200 00 exemplaires ( ! ) en Suède, celui-ci a reçu dès son premier roman de nombreuses lettres dans lesquelles les lecteurs exprimaient leur colère à l’égard d’un auteur qui se permet de maltraiter la langue, de faire des jeux de mots avec elle, de triturer au gré de sa fantaisie sa syntaxe.

Nicolas Fargues, ne voulant pas séduire à tout prix ses lecteurs ni avoir « le beau rôle », a reçu de nombreuses critiques de ses proches se sentant parfois trahis. En effet, l’auteur écrit ses romans à partir d’expériences réelles. Ecrire est, selon lui, une « façon de s’affirmer, d’être [lui]-même », à partir de ce postulat de départ, il en assume les conséquences.


Comment construire un roman ?

Au commencement, Jonas Khemiri prépare un plan détaillé et se sent incapable d’écrire avant d’avoir une idée précise de ce qu’il souhaite faire. Mais, au bout de trois semaines, une fois qu’il s’est lancé dans la rédaction, il jette son plan.

Nicolas Fargues ne fait jamais de plan, ses romans se font selon une sorte d’ « élan ». En revanche, il définit ses personnages avant de commencer la rédaction de son texte.


Qui a le pouvoir : l’auteur ou les personnages ?

Jonas Khemiri a travaillé pendant quatre mois son personnage central de Montecore, un tigre unique, qui s’appelle Kadir. Il a rédigé mille pages et finalement les a trouvées si mauvaises qu’il les a jetées : Kadir était trop envahissant, bizarre. L’auteur a pris le pouvoir sur son personnage. Pour trouver le ton juste, Jonas Khemiri parle beaucoup avec lui-même, à haute voix. Il aurait découvert la voix de Kadir lors d’un séjour en France en 2002. Ce personnage l’a tellement hanté qu’à la fin, il parlait comme lui !

Nicolas Fargues, en revanche, se laisse complètement porter par ses personnages qui le guident dans l’écriture. Il affirme avoir hâte, quand il a l’impression d’avoir tout dit de ses personnages, de finir son livre. Il est impatient de remettre son manuscrit à son éditeur et de passer à autre chose. Il va même jusqu’à dire qu’au début il croit en son histoire mais qu’au bout d’un moment, il « n’y croi[t] plus ».

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17 février 2008 7 17 /02 /février /2008 20:32

Comme vous le savez, il est des maisons d’édition indépendantes que j’ai à cœur de défendre. L’une d’elles en particulier remporte les suffrages tant son projet est ambitieux : celui de « constituer une bibliothèque idéale » avec des livres de fonds appartenant à notre patrimoine culturel. Il s’agit des éditions Bartillat. Or, jeudi soir, j’étais invitée à la cérémonie de remise de la légion d’honneur accordée à Constance de Bartillat, qui s’est tenue à l’hôtel Lutetia.




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8 février 2008 5 08 /02 /février /2008 17:43

inachavesG.jpgOn connaît bien l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, souvent du point de vue des nazis ou des Résistants. Mais depuis quelque temps, il semble que le voile se lève sur un tabou longtemps respecté : l’histoire des Allemands, exilés dans d’autres pays, et rejetés par les autochtones une fois la guerre scellée. On se souvient que Knud Romer était traité de « Cochon d’Allemand » au Danemark, véritable insulte le laissant à l’écart de ses camarades, bon petits Danois n’ayant pas pactisé avec ce diable d’Hitler.

Rohmer n’est guère le seul à avoir voulu exorciser cette souffrance : Les Inachevés de Reinhard Jirgl raconte l'histoire de quatre femmes de trois générations différentes, chassées du village Komotau dans les Sudètes à la fin de l'été 1945 et les implications ainsi que le traumatisme que cela suscita en elles.

Reinhard Jirgl, de passage en France, a proposé une lecture ainsi qu’une réflexion de son œuvre lundi dernier à la Cité universitaire. Voici quelques réponses aux questions posées sur son livre :

 

Un sujet tabou ?

« Non ce sujet n’est pas tabou puisqu’il a été traité dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais personne n’a voulu en tenir compte. Mais, ici c’est pire que ça parce que le sujet ne plaît pas, personne ne veut en entendre parler. On peut briser un tabou. Là, on refuse d’aborder le problème. Puis la Guerre froide a commencé. L’Histoire a été traitée de façon différente à l’Est et à l’Ouest. Ceux qui avaient été exclus de l’Est, sont arrivés dans l’Ouest. On leur a accordé une indemnisation mais leur intégration fut difficile. S’est alors développé la culture de la honte. On a adopté une attitude publique appropriée : on ne voulait pas remettre en cause la paix »

 

Vous êtes né après la guerre. Comment avez-vous procédé pour peindre ce contexte ?

« Je viens d’une famille expulsée des Sudètes. Je voulais écrire les récits que j’ai entendus. J’avais envie de raconter l’incompréhension. Je voulais parler de tout ce qu’on me racontait à longueur de temps et qui m’ennuyait beaucoup, petit. J’en avais même assez d’entendre les propos nostalgiques, avant c’était mieux, etc. Mais, en grandissant, ces histoires m’ont marquée. J’ai commencé à prendre des notes, à enregistrer mes parents sur ce sujet. Je me suis tenu au un principe d’écriture qui veut que l’on n’écrive que ce qu’on connaît très très bien. Moi, je n’avais pas vécu tout ça mais ce n’était pas grave. Mon livre commence en 1953 comme ma naissance (…). J’ai utilisé la méthode de Freud qui demandait à ses patients de répéter plusieurs fois le même rêve pour saisir les différences, trouver les failles et les points d’intersections. J’ai fait la même chose avec ces récits que l’on me racontait maintes fois. J’ai cherché la voie à suivre pour écrire mon livre. Enfin, je n’ai pas voulu lire des livres d’Histoire (très rares sur ce sujet) parce que je ne voulais pas porter de jugement ».

 

 

Reinhard Jirgl n’a jusqu’alors jamais été publié en français alors qu’il est l’un des auteurs allemands les plus importants. Mais, il est réputé intraduisible. Les éditions Quidam et en particulier, la traductrice, Martine Rémond, souhaitent poursuivre ce travail de découverte. Je vous transmets également quelques extraits d’un texte de la traductrice expliquant la spécificité de l’auteur :

« Né à Berlin-Est en 1953, Reinhard Jirgl compte parmi les grands romanciers contemporains allemands.  ( …) Entre 1978 et 1995, il travaille comme éclairagiste au Berliner Volksbühne et décide à partir de 1996 de vivre de sa plume. Il réside toujours à Berlin, où il continue d'explorer ses souvenirs et les affres contemporaines, car sombre est la couleur du monde de Reinhard Jirgl, une teinte sans aucun doute proche du réel, du palpable, dans des narrations déplacées dans le temps, anachroniques, jamais linéaires.

 

Le foisonnement et la reconnaissance littéraires seront régulièrement au rendez-vous après la chute du Mur pour ce passionné des mots, longtemps condamné au silence par les censeurs de son pays. (…)

Carl Hanser Verlag publie ses œuvres depuis 1995. Des œuvres réputées difficiles, tant par leur contenu que par leur forme. Jirgl s'intéresse à la destruction, la peur, la haine, l'horreur, le désir agressif, les fantaisies du Pouvoir, les meurtres. Pour avoir grandi à l'ombre du Rideau de Fer, il sait quelle brutalité a produit ce socialisme-là, comment il a réduit le niveau psychique des gens, les ravalant presque à l'état de bêtes. « Keveutu, ici, c'est la zone-Est : la lente métamorphose des hommes en trous du cul » met-il dans la bouche de l'un de ses personnages. (…)

Le style s'élève ici vers des sommets rarement atteints par l'écrit, car Jirgl prend la langue au sérieux. La narration en strates donne son épaisseur à la prose, l'éclairage sous des angles différents autorise les facettes démultipliées, la densification du texte prend forme grâce au recours d'une typographie et d'une orthographe où Jirgl introduit à dessein d'autres systèmes symboliques pour toucher à l'essentiel, dans le but que l'idiome devienne langue physique, langue érotique, langue sensuelle pour captiver le liseur et le préserver d'un glissement furtif sur le texte ou d'une passivité devant les images que ce dernier suggère.

 

« Je n'étais plus en quête d'un discours lisse et uni comme une voûte, je recherchais le bégaiement, les à-coups dans la langue, le son 1nique, l'1nicité des images ».

 

L'écriture de Reinhard Jirgl provoque le rejet d'un lectorat trop pressé d'ingurgiter une littérature stéréotypée, servie dans des cornets toujours identiques, que l'on consomme pour consommer. Alors, que ceux-là passent leurs chemins. Ils trouveront toujours de quoi remplir leur panse d'une nourriture prédigérée et pernicieuse. Quelques happy few dresseront la table où ils convieront les mots et se régaleront en tête-à-tête. Ils seront les commensaux d'un invité de marque, plein d'égards et de prévenance sous des apparences un peu rustres, un peu déstabilisantes (…). »

 

 

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3 décembre 2007 1 03 /12 /décembre /2007 19:01

Vendredi, Aïda Moreau, alias Ecaterina, organisait une réunion à la Villa Pereire avec le réseau Femme au foyer et quelques blogueurs. Plus précisément un café littéraire. L’invité était David Abiker. Je n’allais pas manquer l’occasion de croiser de nouveau quelqu’un que j’apprécie vraiment et qui fait beaucoup pour la blogosphère. Occasion surtout de vous parler des deux premiers livres de sa trilogie : Le Musée de l’Homme et Le Mur des Lamentations. Il ne s’agit pas de romans à proprement parler mais de chroniques sur l’évolution de la société, à savoir, la féminisation et la victimisation des individus. David Abiker n’a pas voulu faire de la littérature mais a préféré, avec humour, défendre des convictions. En effet, selon lui, dans notre société maternante, l’enfant est roi et le principe de précaution domine. Le phénomène de Martine ne serait pas un clin d’œil nostalgique aux albums de jeunesse mettant en scène une petite fille proprette, mais serait plutôt un renversement des valeurs : les adultes en auraient assez de cette gamine trop sage et lui feraient subir diverses mésaventures. Or, d’après David Abiker, ce jeu est très important car il utilise l’humour pour dénoncer une dérive de la société : celle de l’enfant roi.

L’auteur se plaît à tordre le coup aux idées établies. Pour lui, un cancéreux n’est pas bon parce qu’il est malade. Il peut être égoïste aussi. Dans Le Mur des Lamentations, son anti-héros apprend qu’il est atteint du cancer. Dès lors, il estime que son problème est celui de tous, qu’on doit le plaindre. Et pour rendre public son malheur, il s’invite à la télé confesser ses souffrances.

On rit beaucoup mais on n’accrédite pas toujours ce qu’il écrit, parce que certains points de vue dérangent. Mais, le but est atteint : on réfléchit, on remet en cause ses convictions.







 

Après le café littéraire, David Abiker et Ecaterina ont rejoint la table des blogueurs. Nous étions quelques uns à avoir pu nous libérer cet après-midi là : Second Flore, Mandor, Benoît Luciani, Christine Spadaccini, Franswa P, Elisabeth Robert et Gilles Cohen-Solal. Je ne vous cacherai pas que nous avons parlé livres et blogs essentiellement…

Pour plus de détail, je vous conseille de rendre visite à Ecaterina, Elisabeth, Mandor ou Benoît qui savent mieux que moi raconter ces bons moments.

 

Encore bravo Ecaterina pour ce café littéraire !

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8 septembre 2007 6 08 /09 /septembre /2007 11:52

Hier, je vous ai parlé d’un roman qui m’a enthousiasmée en cette rentrée littéraire : Cochon d’Allemand, de Knud Romer. Cette lecture ne s’arrête pas là puisque voici ce que propose Brigitte Bouchard, l’éditrice :

 

 

 Sans-titre-1-copie-1.gif

 

 

LES ALLUSIFS vous convient à un apéritif littéraire avec l'auteur danois
Knud Romer et l'éditrice Brigitte Bouchard en compagnie de quelques libraires, animateurs de sites web et bloggeurs.

 

Lundi 17 septembre à partir de 18h30 au Zango Bar
17 rue du Cygne - 75001 Paris

 

Pour ceux qui souhaitent poursuivre la soirée autour d'une assiette bien garnie,
le Zango Bar est un restaurant (réservation au 01 40 26 27 27).

 

Si vous souhaitez être des nôtres merci de contacter : marieanne@lesallusifs.com

 

 

 zango.gif

 

 

Vous serez-là, n’est-ce pas ?

 

 

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7 juin 2007 4 07 /06 /juin /2007 18:16

Jeudi dernier, au Merle moqueur, il y avait foule. Des gens assis, debout, appuyés contre les étagères… tous attendant avec impatience la venue improbable de l’écrivain sud-africain, André Brink ! Un rendez-vous qu'il ne fallait pas manquer parce que même si l’auteur d’Une Saison blanche et sèche est parfaitement bilingue, ses séjours en France sont plutôt rares.

A 20 heures donc, André Brink fait son apparition. C’est d’abord son éditeur, Bernard Magnier, qui dans un premier temps, explique comment André Brink lui-même l’a sollicité pour être publié dans sa collection « Lettres africaines » chez Actes Sud.

Dans un second temps, André Brink a présenté un petit conte qu’il vient de publier : La Porte bleue. Un homme rentre un jour chez lui, dans son atelier de peinture, et tombe nez à nez avec une inconnue qui semble le connaître et le considérer comme son époux. Cette femme, contrairement à la sienne, a la peau noire et a deux enfants. C’est une sorte d’allégorie du désir amoureux, de la quête d’identité, énoncée en quelques pages à peine. Quand on connaît l’œuvre d’André Brink, on reste un peu sur sa faim. Mais lui soutient qu’il a eu l’idée de cette histoire dès 1968, lorsqu’il était étudiant à Paris, et qu’il a eu l’occasion d’y faire de nombreuses découvertes. A cette époque, il ne savait pas encore quelle forme prendrait cette histoire. Et d’ailleurs, celle-ci n’est que le début d’une série. Il a déjà ébauché deux autres textes en relation étroite avec ce livre. Le triptyque ainsi obtenu s’appellerait  Alternative. Il souhaite ainsi développer l’idée de la vie parallèle, au-delà de la vie ordinaire. Brink est obsédé par cette « sorte de rêve qui permet de penser et de connaître le monde ». Cette idée prend racine dans une expérience qu’a mené Picasso. Celui-ci, pendant une période de sa vie, avait pris l’habitude de commencer une toile, puis de se rendre compte que plusieurs choix étaient possibles, au niveau de la couleur, des formes… Il préparait donc d’autres toiles en même temps pour tenter de palier ces possibles. Brink s’est donc passionné pour cette idée des choix qu’on n’a pas faits et qui nous hantent toute notre vie.

André Brink est ce que l’on peut appeler un « grand écrivain », mais en l’écoutant, je me suis aperçue qu’il était également un grand orateur : avec un texte si court, pas vraiment abouti, il est parvenu à nous convaincre du cheminement complexe et métaphysique de son projet littéraire ! Chapeau bas !

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14 février 2007 3 14 /02 /février /2007 21:39

Pierre Jourde est un auteur atypique dans le paysage littéraire français. D’abord parce que c’est un auteur engagé qui n’a pas froid aux yeux : en 2002, il publie La Littérature sans estomac (L’Esprit des Péninsules), pamphlet dans lequel il dénonce ceux que la presse, et en particulier le Monde des Livres, érige comme valeurs sûres de la littérature (Christine Angot, Frédéric Beigbeder, Christian Bobin ou Marie Darrieusecq, etc). Cet essai, on s’en doute, lui a valu procès et inimitiés, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre son travail de critique et de maintenir ses opinions. Ensuite, Pierre Jourde a une production littéraire foisonnante et très variée : il a écrit des textes scientifiques en tant qu’universitaire, des essais et des romans variés. En juin dernier il a fait paraître un recueil de pastiches du petit chaperon rouge, écrit par lui-même et ses étudiants de Grenoble III : Petits chaperons dans le rouge (L’Archange Minotaure) et en septembre, un roman mélancolique sur les souvenirs et le temps qui passe, L’Heure et l’ombre (L’Esprit des péninsules).

 
C’est à Fontenay-sous-Bois, hier soir, que j’ai rencontré Pierre Jourde à la Maison du citoyen, invité pour présenter son œuvre et donner son point de vue sur l’actualité littéraire.

 

Deux tendances complémentaires : la loufoquerie et la mélancolie

En septembre dernier, Pierre Jourde a publié L’Heure et l’ombre (L’Esprit des péninsules). Il a expliqué comment lui venait en général l’inspiration, les premières idées d’un roman : il perçoit un tableau. Pour ce roman, s’est dessiné dans son esprit un enfant, devant une maison, attiré par la famille voisine. Le garçon est fasciné par ce spectacle et croit qu’il y a un lieu idéal juste à côté de lui. Toute sa vie, il va tenter de pénétrer dans ce lieu. Le narrateur réalise finalement que sa vision de l’enfance n’est qu’une construction de l’imaginaire.

Mais, si Pierre Jourde aime écrire des romans mélancoliques, il aime également le loufoque au point d’avoir organisé un colloque sur l’Incongru dans la littérature et l’art (dont les actes sont publiés chez Kime), et écrit divers textes loufoques comme Petits chaperons dans le rouge ou L’œuvre du propriétaire (Archange Minotaure). Il s’agit d’une fausse édition critique d’un faux recueil de textes d’un écrivain fictif. Ce livre serait, à la manière des éditions savantes, empli de notes explicatives et érudites. Comme l’écrivain de son roman, Pierre Jourde a composé les poèmes en deux minutes trente. Il nous confie qu’il est persuadé que l’on ne ferait pas la différence entre ces poèmes bâclés et ceux publiés dans des revues spécialisées. On reconnaît bien là son esprit sarcastique !

 

Le réel et la fiction

Pierre Jourde estime que l’écriture de roman consiste à serrer au plus près le réel et que, pour y parvenir, il faut introduire du silence et de l’insignifiance. « L’écrivain doit donc lutter contre la posture oratoire sans tomber dans l’ennui ». Ainsi, Kafka serait le seul à être parvenu à représenter l’insignifiance bureaucratie de la vie dans son œuvre.

D’ailleurs, la littérature ne consiste pas, comme voudrait le faire croire les auteurs d’autofiction, à traduire ce qui serait dans le réel parce que la vie elle-même est engluée de mythes, d’images, de croyances… La littérature doit essayer d’y voir clair dans ce malentendu et ces simagrées, « elle doit chercher la vérité car dans le réel, cela n’est pas possible ». Les rêves aussi peuvent nous permettre d’atteindre le vrai. En effet, grâce à eux, on peut communiquer avec soi et le monde. L’œuvre de Nerval en est un exemple : il est parvenu, grâce au rêve, à dire le réel.

Contrairement à l’essai, le roman, paradoxalement, incarne le réel. En effet, l’essai se consacre aux généralités, théorise des principes alors que la littérature raconte une expérience et « les personnages sont souvent chargés d’émettre, de formuler des hypothèses sans conclure ».

 

Le rôle des journalistes littéraires

Pierre Jourde goûte peu la presse en général et la presse littéraire en particulier. Il y a quinze jours, il participait au débat sur les artistes face à la critique dans l’émission de Taddéï. Il avait notamment raconté comment le Monde des Livres se peopolise en demandant à Wayergens de prendre en photo sa mère pour illustrer son roman. Ce soir, il poursuit ses attaques en affirmant que bien souvent, les journalistes ne lisent pas les livres qu’ils critiquent ou font des articles de complaisance. Ils se contentent de reprendre ce qui a déjà été écrit ou dit sur les auteurs ou leurs publications, sans vérifier le bien-fondé de leurs informations.

Pierre Jourde reproche surtout aux journalistes de déformer la réalité, de la fabriquer puis de la diffuser comme un fait réel. Selon lui, ces derniers substituent un langage préfabriqué et imposent dès lors une vision du monde stéréotypé.

 

Les Bienveillantes

Pierre Jourde a lu Les Bienveillantes de Jonathan Littell  mais se demande combien de personnes, sur les 500 000 livres vendus, ont lu intégralement ce « roman illisible ». Toutefois, si Littell a attiré autant les foules c’est que les lecteurs en ont assez « du vide, ils veulent de la matière » et non avoir des nouvelles « de la baguette de pain de Christine Angot ». Ils aspirent à des œuvres ambitieuses, historiques, véritablement romanesques car ils sont lassés de l’autofiction.

D’autre part, Jourde montre que les journalistes ont raconté n’importe quoi sur ce roman : il ne s’agit pas d’un roman sur les horreurs de la guerre puisque celles-ci se résument à quelques pages, mais sur la bureaucratie nazie. Je ne vous cache pas que ces propos émis publiquement et établissant la vérité sur ce livre m’ont ravie !

Le défaut de Littell, selon Jourde, a été d’introduire des scènes fantasmatiques ou incongrues. Par exemple, l’auteur perd toute crédibilité lorsqu’à la fin du roman Max Aue tord le nez de Hitler.

En guise de conclusion, Pierre Jourde a affirmé que la littérature française contemporaine est riche et comptait notamment Richard Millet ou Antoine Volodine. Dans un mois seront publiés deux essais : Présence de Jaccottet (Kime) et Le Feu aux banlieues (Gallimad). J'aurais l'occasion de vous en reparler prochainement.


Fin de soirée

Pierre Jourde est non seulement un auteur talentueux mais c'est aussi un homme ouvert et accessible. A la fin de la rencontre, un repas était organisé à la Maison du citoyen. Il est resté avec nous dîner, en toute simplicité et nous a raconté quelques anecdotes dans une ambiance conviviale.

 

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