François Samuelson - AFP
Depuis la rentrée de septembre, jamais la question des agents littéraires n’aura été autant posée. Cette semaine encore Le Monde des Livres y consacre un article et se demande « à quoi servent les agents littéraires ». Dans le chapeau, la question trouve pourtant une réponse : promouvoir la littérature française à l’étranger. En effet, tandis que celle-ci est la langue la plus traduite en anglais, elle ne représente « que 3 % de la production éditoriale anglo-saxonne, alors que la place de la littérature étrangère en France se situe entre 30 % et 40 % ».
Pourtant, les éditeurs, en règle général, ne voient pas d’un bon œil l’arrivée des agents littéraires en France, même si c’est une pratique courante dans les autres pays. En effet, les agents sont censés permettre à un jeune auteur de trouver un éditeur et de négocier pour lui son contrat. L’avantage certain c’est que l’auteur, amoureux des lettres et non des chiffres, délègue la partie administrative à un agent payé pour cela. L’inconvénient est que cette démarche a un prix. Ainsi, en règle générale, un auteur reçoit environ 10% du prix de vente de son livre et souvent un à-valoir. S’il a un agent littéraire, il doit donc partager avec lui les gains. Dans ce cas, il est à souhaiter que l’auteur ait un succès certain s’il veut tirer profit de sa démarche.
Les éditeurs français sont en général farouchement opposés à l’arrivée des agents parce qu’ils apprécient le rapport direct entre les auteurs et eux-mêmes. Ainsi l’éditrice Joëlle Losfeld, que j’ai interviewée il y a deux semaines, estime que, même si elle travaille régulièrement avec des agents anglais ou espagnols, serait frustrée si elle était privée de ce « rapport direct et personnel ». Même rengaine du côté de Paul Otchakovsky-Laurens (POL) : « Pour des auteurs français, il n'est pas question que je traite avec un agent. Je ne veux pas d'intermédiaire entre eux et moi » (Le Monde des Livres). Certains penseront que les éditeurs veulent ce rapport direct pour mieux entourlouper les auteurs. Il me semble néanmoins que pour les petites structures éditoriales, celles-ci sont très attachées à la notion de « maison d’édition », un lieu où les auteurs sont accueillis, écoutés, et conseillés. A l’étranger, les auteurs s’accommodent très bien de leurs intermédiaires que sont les agents.
En réalité, en France, il n’y a que trois agents littéraires : Pierre Astier, ancien responsable du Serpent à plumes, qui a créé son agence en février 2006, François Samuelson (l’agent de Michel Houellebecq, Marc Dugain, Alexandre Jardin, Fred Vargas, Dai Si Jie) et Susanna Lea (l’agent de Marc Levy). Et qui sont les auteurs ? Ceux qui publient des romans en tête des listes des best-sellers. Serait-ce parce qu’ils ont un agent ? Non, naturellement : ils en ont les moyens. Les autres, les petits écrivains doivent faire leur preuve. Constance de Bartillat (les éditions Bartillat), que j’ai également rencontrée, était inquiète de ce bouleversement éditorial. Selon elle, en effet, si les phénomène des agents se généralise,
les écrivains devront être compétitifs. S’ils font un ou deux livres qui ne se vendent pas, les agents les laisseront. Des auteurs qui auront mis des années à obtenir une reconnaissance, comme Michel Quint, par exemple qui avait publié chez Joëlle Losfeld plusieurs romans avant d’obtenir enfin un succès avec Effroyables jardins, ne pourront plus être édités. Selon les éditeurs, c’est grâce à eux que ce genre de « miracle » est possible parce qu’ils ont cru en leurs auteurs et ont espéré cette reconnaissance. C’est encore Paul Otchakovsky-Laurens qui estime que le modèle éditorial français est un modèle où « l'équilibre financier d'une maison repose sur la péréquation entre les titres qui marchent et ceux qui ne marchent pas » (Le Monde des Livres). En effet, certaines maisons d’édition prennent des risques en publiant des auteurs de qualité peu connus et font des bénéfices grâce à des textes plus commerciaux.
La France semble donc une exception en matière éditoriale. Les agents n’y sont guère légion pour le moment. Mais le sujet est si souvent soulevé dans la presse et les romans (Les Sœurs de Prague de Garcin notamment abordait ce sujet) que l’idée devrait germer dans l’esprit des auteurs et le phénomène se développer.