Dimanche dernier, j’ai regardé « Le Bateau Livre », excellente émission littéraire, diffusée à 10h10 sur France 5 chaque semaine et présentée par Frédéric Ferney. Je ne voulais vraiment pas manquer ce rendez-vous avec Javier Cercas et Edmund White.
L’émission comporte quatre parties se déroulant dans trois salons distincts d’un même plateau sobre mais chaleureux. Dans un premier temps, Ferney reçoit deux invités réunis parce qu’ils ont une thématique ou un style communs. Cette semaine, il s’agissait de l’écrivain, universitaire et polémiste Pierre Jourde pour L’Heure et l’ombre (L’Esprit des Péninsules) et de l’Espagnol Javier Cercas, l’auteur d’A la vitesse de la lumière (Actes Sud). Tous deux étaient réunis parce que leurs romans évoquent une même angoisse du temps et présentent des personnages dont les destins se croisent dans un jeu de miroir.
Ferney s’adresse d’abord à Javier Cercas qui s’exprime dans un français impeccable. Il oriente immédiatement son entretien vers le thème de l’écriture. Le journaliste voudrait savoir si le narrateur du roman ressemble à l’auteur qui a connu un immense succès grâce aux Soldats de Salamine (Actes Sud). En fait, Cercas a très bien vécu cette expérience tandis que le jeune écrivain a craqué, a perdu sa femme et sa fille, et son âme. Pierre Jourde a lu attentivement A la vitesse de la lumière, ce qui permet d’ouvrir le débat (ce n’est pas toujours le cas hélas). Selon lui, ce roman est « très sain » car il permet de « faire le ménage dans sa conscience sur le côté dévorateur de l’écrivain, sur le narcissisme, sur le goût de la belle phrase ». En effet, selon Cercas, « bien écrire c’est le contraire d’écrire de belles phrases » parce que « l’écrivain ne cherche pas la beauté mais la vérité ».
F. Ferney se tourne alors vers Pierre Jourde. Cet entretien sera vraiment plus bref que celui de Cercas parce que moins nourri d’échanges, celui-ci ne semble pas avoir lu le livre… Dans ce roman sur le souvenir de moments heureux, il y a une véritable « poétisation du temps ». Tandis que L’Heure et l’ombre a recours au flou, au thème de la brume, Jourde explique que c’est parce qu’il veut résister à l’atmosphère contemporaine où tout est clair, sans passé, sans « archaïsme ». Il compare notre société à « Disney » ! Or, son roman montre justement que le temps est une donnée complexe : ses personnages se rencontrent dans des temps différents, leur horloge ne parvient pas à coïncider. Le narrateur cherche sans cesse en vain à retrouver l’immédiateté originelle.
Frédéric Ferney quitte alors ses invités pour rejoindre ses chroniqueurs qui conseillent trois livres : Bon vent de Pascal Morin (éditions du Rouergue), le tome 3 de l’œuvre de Hermann Melville en Pléiade et Le Dictionnaire amoureux du vin de Bernard Pivot (Plon).
Enfin, le moment que j’attends avec impatience arrive : l’entretien de F.Ferney avec Edmund White qui vient de publier Mes Vies : une autobiographie (Plon). L’Américain, parfaitement francophone, explique que son livre n’est pas un roman de formation mais une galerie de portraits de gens qui ont compté dans sa vie : ses parents notamment, en particulier sa mère qui a toujours encouragé sa fibre artistique. Edmund White affirme lui ressembler beaucoup et conclut « la tragédie de nous tous est que l’on devient nos parents » ! Rapidement, F. Ferney axe son entretien sur l’homosexualité de son invité. Celui-ci avoue avoir découvert très jeune son orientation sexuelle mais a dû la réprimer parce qu’au Texas, celle-ci était définie comme une maladie mentale, un crime et un péché. Tandis que Jean Genet, dont il a écrit une biographie, accepte les deux dernières définitions, White les récuse toutes. Pour lui, l’Europe représente une sorte d’eldorado en ce qui concerne la liberté et l’épanouissement sexuels contrairement aux Etats-Unis. Le dialogue se conclut par la définition de l’hétérosexuel selon White : « c’est quelqu’un qui peut emmerder une femme et s’en foutre » ! Etrange définition…
L’ultime rendez-vous me parut long, agressif et néanmoins intéressant : deux journalistes Christine Ferniot et Géraldine Muhlmann interrogent Pascal Bruckner, l’auteur de
Cette dernière partie intitulée « Point de vue » est vraiment passionnante parce qu’elle n’est pas consensuelle. Bruckner a une thèse partagée par une minorité de personnes, il remet en cause la pensée commune. Même si je ne suis pas d’accord avec lui, même si ces propos me semblent démesurés par rapport à la réalité, cela est rare d’entendre des intellectuels exposer leur point de vue sans être interrompus sans cesse ou censurés.
Voici en lien un article sur cet essai dans le Télérama de cette semaine