Les éditions Les Allusifs viennent de fêter leurs dix ans d’existence. Pour diversifier leur catalogue, elles lancent une nouvelle collection : « Les Peurs ». Pierre Jourde est le premier à tenter l’expérience. Dans La Présence, l’auteur évoque une angoisse d’enfance, celle de la maison vide. Ce texte très court (86 pages) m’a beaucoup touché parce qu’il a réveillé en moi des sensations vécues. Cette maison familiale, au sein d’un hameau où la solitude n’est guère bien vue, c’est aussi un peu la mienne.
L’enfant puis l’adolescent, lors de ses séjours en Auvergne, dort dans la maison ancestrale où plusieurs générations ont vécu. Dans le silence, l'angoisse de voir surgir quelqu'un ou quelque chose le tient en éveil, apeuré. Pas plus rassuré en journée, il ne s’acclimate guère aux récits des habitants, en apparence hospitaliers et pourtant détenteurs d’histoires cruelles. Selon lui, « chaque personnage, chaque maison, chaque famille, chaque hameau est une inépuisable matrice d’histoires, qui, s’entremêlant, se multipliant, se contredisant, finissent par former le vrai corps de ce pays, sa chair de songe frémissante. »
Cherchant le silence et l’apaisement, c’est dans la forêt profonde qu’il trouve refuge. Dès lors confie-t-il, le monde « se mettait entre parenthèses. L’impossibilité devenait son état ordinaire, sa substance. C’est à raison de leur impossibilité que les arbres, qui m’entouraient à perte de vue, m’enveloppaient, m’absorbaient, devenaient concrets, prenaient poids, texture et présence. » Dans cette forêt, surgissent des personnages mythologiques et merveilleux, propres à le rassurer et donner une consistance au vide qui le hante. Car finalement, au fil des pages, où il n’est question que de fantômes, de clowns sortis du placard et de figures imaginaires, on comprend que c’est l’absence qui génère chez l’auteur cette angoisse. Paradoxalement, « la pièce fermée suscite un tout autre mode de présence que celui auquel nous sommes habitués. Une présence de minuit, dirait Mallarmé, un lieu constitué par les traces d’un évanouissement. »
Avec le temps, les angoisses de Jourde ne se dissipent pas. Adulte, il éprouve encore cette même frayeur en dormant une nuit dans la maison vide d’un de ses collègues. Malgré les années, cette peur enfantine lui colle à la peau, tel « un poison », elle s’est instillée en lui.
Grâce à la mythologie et l’écriture, Jourde renoue avec cette peur irrationnelle, cherche à l’expliquer, la transcender.