Malgré les jours qui passent, je garde une très grande colère en moi, colère que je compte bien partager avec vous. Comme vous le savez, je suis une enseignante insatisfaite mais je me sens très engagée et ne peux me résoudre à cette évolution de l'école…
Des réformes sont nécessaires, personne ne peut le nier, mais lorsque l’on regarde de près ce qui se prépare, on est en droit de se demander comment notre cher gouvernement envisage l'avenir. Les étudiants qui auront leur concours de CAPES ou d'agrégation commenceront à travailler dans un établissement scolaire à temps plein dès la rentrée de septembre… Ce n’est qu’en fin d’année qu’un inspecteur viendra les rencontrer pour donner son verdict. Ce n’était bien sûr pas le cas jusqu’à présent : autrefois, il existait l’école normale des maîtres, formation exemplaire puisque les étudiants étaient encadrés par des enseignants pendant de longs mois et apprenaient réellement la pédagogie. Aujourd’hui bien malin celui qui m’expliquera ce qui se cache derrière ce terme (mais je suis preneuse de toute proposition intéressante !). À la rentrée 1990, les IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) font leur apparition… Dès lors, pas mal de choses changent. Les professeurs du secondaire se voient attribuer une ou deux classes (six heures par semaine maximum) ainsi qu’un tuteur, professeur enseignant dans le même établissement, chargé d’observer les cours de son collègue, de lui donner des conseils… Une fois par semaine, l’enseignant allait à l’IUFM suivre des cours, il est vrai peu stimulants et surtout il devait soutenir en fin d’année un mémoire reposant sur une problématique propre à son expérience. Contrairement à 'opinion commune, je trouvais ce mémoire très intéressant car il permettait au professeur en devenir de réfléchir à ses pratiques, à sa relation aux élèves, et de chercher des solutions pour s’améliorer.
Mais notre gouvernement qui cherche à faire des économies dans les secteurs peu rentables a eu la riche idée de mettre les jeunes enseignants en situation directement. Pour cette cession seulement. L’an prochain, les étudiants en Master 1 (maîtrise) pourront faire un stage d’observation et de pratique accompagnée (non rémunéré) ainsi qu’un stage en responsabilité d’une durée maximale de 108 heures (équivalent à 6 semaines de 18 heures) encadré par un professeur référent (cette fois, le stage est rémunéré). Les enseignants qui auront eu leur concours cette année seront les grands sacrifiés puisqu’ils n’auront pas eu ces quelques semaines de stage… Ces stages d'une année complète comme autrefois sont inutiles puisque comme chacun sait, tout le monde sait enseigner et plus encore « tenir » (très vilain mot) une classe. Mais, il ne suffit pas de penser que l’on aime les jeunes, ni sa matière, pour prétendre que l’on peut enseigner. D’ailleurs nombre d'enseignants se souviennent du bon temps où ils donnaient, étudiants, des cours particuliers et reconnaissent qu'il n'y a aucun rapport entre ce soutien scolaire et le fait d'enseigner devant une classe de 25 élèves. On ne transmet pas le même savoir à un élève qui nous paie et dont les parents ont des attentes particulières et à une classe au niveau souvent hétérogène. Pour en prendre conscience, il faut bien évidemment vivre cette expérience mais pour savoir comment pallier cette difficulté, un tuteur est nécessaire. Avec lui, on peut non seulement échanger mais surtout demander de l’aide. Derrière cette décision de supprimer cette formation, se cache la volonté de faire des économies et d’encourager les parents à inscrire leurs enfants dans le privé.
L'idée de proposer un stage avant de passer le concours est toutefois intéressante : en étant devant une classe, même en observateur passif, on touche déjà du doigt la réalité du métier. C’est une première immersion qui, d’emblée, permet de savoir si l’on a envie ou non de continuer dans cette voie. Certains étudiants pourraient, après ce premier stage, juger que l’école telle qu’elle existe aujourd’hui n’a pas de rapport avec celle qu'ils fantasment. Cette réalité peut aussi bien décourager que motiver parce que l’on se rend compte qu’il y a des choses à faire…
J’ai évoqué un secteur public que je connais bien, mais hélas, la situation est la même dans les hôpitaux, et très certainement dans bien d’autres domaines. Certains diront que tout cela coûte bien cher et que des économies sont nécessaires, le problème est de savoir quelle société nous souhaitons. Concernant l’école, il est clair que l’État a pensé à restreindre ses dépenses sans se soucier du devenir des jeunes enseignants et par conséquent de la qualité des cours proposés…