Enfin un livre sur l’amour profond et intelligent, un livre qui remet en cause l’union fusionnelle, telle qu’on l’idéalise souvent. Repensons à des romans comme Paul et Virginie, où les deux amants naissent et grandissent ensemble, comme frère et sœur, s’endormant, naturellement, dès le plus jeune âge, imbriqués l’un en l’autre, ne formant plus qu’un. Au contraire, Laurent Girerd propose une Brève apologie de l’éloignement conjugal (Le temps qu’il fait), un livre qui fête l’amour et la création artistique. Et pourtant, à l’instar de cette histoire imaginée par Bernardin de Saint Pierre, les proches de ce couple que forme le narrateur et son amante, les proches le compare à « Atalide et Bajazet liés depuis l’enfance par un amour pour ainsi dire sororal et légitime ».
Je ne connais pas Laurent Girerd, d’après la notice bibliographique, il est l’auteur de quatre livres depuis 1998. Rien de plus. Mais à coup sûr, Laurent Girerd est un auteur et un lecteur averti.
Dans cette Brève apologie de l’éloignement conjugal, il est d’abord question d’amour. Un homme s’adresse à son amante qui vit à mille kilomètres de lui pour lui rappeler combien il se sent proche d’elle. Car, si le mariage et la cohabitation peuvent être source de frustration et de concessions, l’éloignement consenti offre liberté et assouvissement des désirs.
En lisant ce texte, court, truffé de références littéraires, je n’ai pu m’empêcher de penser à Rilke, notamment lorsque Girerd déclare :
« Le mot français individu est issu du mot latin individuum. Au Moyen Âge, par opposition à l’espèce, il désignait « ce qui est indivisible ». L’individuumlatin est l’équivalent de l’atomosgrec : l’atome, étymologiquement, étant « ce qu’on ne peut pas couper. » […] Depuis la parution des [Lettres juives de Jean-Baptiste Boyer] en 1738, le mot individu a une acception biologique : un corps organisé vivant ayant son existence propre, un corps dont on ne peut retrancher une partie sans l’anéantir totalement. »
Dans certaines de ses lettres, le poète Rilke, justement, expliquait qu’il ne pouvait concevoir un couple que comme deux entités bien distinctes, qui ne pouvaient, ne devaient entrer en fusion afin que les individus puissent se réaliser complètement. Il pensait, surtout, au fait de se réaliser artistiquement.
Mais ce texte est avant tout une déclaration offerte à l’amante :
« Le son, naissant de la fermeture éclair, de ta botte qui s’ouvre à la nuit tombée n’est pas le même, électriquement pas le même que celui de ta botte qui se referme sur ton bas pour commencer la journée. Il est la version hivernale et ralentie du frôlement de ta jupe quand elle découvre tes hanches d’été. »
Il est souvent question d’intertextualité dans ce livre, hymne à la poésie et à l’amour. Ce petit récit m’a séduit. Vraiment.