Vous souvenez-vous du (mauvais) procès que l’on a fait à Todorov à propos de son pamphlet : La Littérature en péril ? Hormis le fait que cet ancien structuraliste remette en cause sa méthode au point de craindre qu’elle ruine complètement l’enseignement de la littérature au lycée, il y dénonce le nihilisme et le narcissisme dominant dans les romans français contemporains sans jamais citer de nom. Pourtant, on lit entre les lignes les auteurs qu’il dénonce. La polémique de ce pamphlet portait donc en partie sur cet anonymat, au point que de soupçonner Todorov de ne pas lire la production littéraire contemporaine, et de se contenter des rumeurs et des bruits de couloir circulant dans le petit milieu de la critique.
Pourtant, en relisant La Littérature à l’estomac de Julien Gracq, je m’aperçois que la plupart des attaques contre un auteur ou un courant littéraire sont anonymes. L’auteur rejette les existentialistes (Sartre, de Beauvoir, Camus) de façon claire mais sa critique se veut générale. Il dénonce l’évolution de la société qui lit peu et se fie aveuglément à ce que l’on dit des livres sans les lire.
Finalement, on se rend compte que même sans citer de noms, le lecteur, à condition bien sûr qu’il s’intéresse à la littérature contemporaine, n’a pas besoin qu’on lui cite de noms, il sait qui se cache derrière les paraphrases et allusions amères. Dans ces deux pamphlets, la démarche est différente d’un Jourde, d’un Domecq ou d’un Naulleau : il ne s’agit pas de régler ses comptes avec des auteurs mais de faire un panorama de la situation. Situation qui, à différents égards n’a guère changé sinon en en s’aggravant, de celle de 1950 quand Gracq a publié La Littérature à l’estomac. J’y reviendrai ultérieurement.