J’ai une profonde admiration pour l’œuvre de Raymond Depardon. J’aime l’ambiance qui émane de ses photos comme de ses documentaires, les cadrages, les silences éloquents… L’année dernière, j’avais regardé avec passion La Viemoderne, dernier opus de sa trilogie Profils paysans. Cet ensemble documentaire est un hommage à la terre que Depardon connaît bien, lui le fils de paysans qui a quitté la ferme familiale à l’âge de 16 ans pour découvrir le monde en tant que photographe. Un jour, il a un projet fou : filmer pendant dix ans, des paysans français. Si vous n’avez pas eu l’occasion de voir ce magnifique documentaire, je vous le recommande car Depardon présente, avec beaucoup d’humilité et de sympathie, un monde sur le déclin. Deux personnages retiennent l’attention : les frères Privat, Marcel et Raymond, qui ont respectivement 88 et 83 ans. Ensemble et depuis toujours, ils élèvent leurs bêtes et vivent avec leur neveu. Ce sont deux vieillards attachés à la tradition, leur terre et leurs biens. Pour eux, la vie serait un long fleuve tranquille sans l’arrivée d’une jeune femme, venue s’installer à la ferme, auprès de leur neveu. Les oncles pestent contre cette citadine qui n’est donc « pas de chez eux »…
Bien sûr, ces deux vieillards ne sont pas les seuls personnages du film, il y en a bien d’autres, tous plus attachants les uns que les autres mais l’intrusion difficile de la femme à la ferme et les discussions houleuses avec le neveu intriguent : le neveu a quand même la quarantaine avancée !
Une femme m’a permis de penser encore aux frères Privat et à ce monde agricole : Marie-Hélène Lafon, l’auteur de L’Annonce (éditions Buchet-Chastel). Dans ce roman, qui vient de recevoir le prix Page des libraires, elle imagine l’arrivée d’Anna à la ferme et sa vie auprès des paysans. Il n’est pas aisé de se faire une place auprès de vieux garçons, attachés à leurs petites habitudes, à leur mode de vie inamovible. Tout prêtait à croire, au sein de la famille, que oncles, neveu et nièce resteraient entre eux. Mais voici que Paul, 46 ans, décide un jour de briser le pacte tacite en déposant une annonce dans le journal, dans l’espoir de rencontrer une femme. C’est sans tarder qu’il fait la connaissance d’Annette qui habite à l’autre bout de la France : le Nord. Cette femme le séduit : elle est simple, et avec elle, il imagine pouvoir panser ses douleurs - l’abandon de ses parents, la solitude à la ferme, l’exercice d’un métier qui n’est pas un choix. De son côté, Annette est pleine d’espoir et d’optimisme. Son passé n’a guère été facile non plus : des petits boulots à l’usine, de longues périodes de chômage, un divorce avec un homme violent… Mais la certitude de pouvoir former un couple épanoui avec Paul.
Ce qui fait la beauté de ce roman ce n’est pas tant l’histoire que le charme suranné de son style. L’écriture est douce et mélancolique, exprimant au mieux l’état d’esprit de cette femme qui laisse derrière elle une vie désastreuse et qui espère trouver le bonheur dans ce coin perdu de la France. Savoureux…
Voir le très beau billet d'Angèle Paoli
