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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 02:29

François Bon, je le connais d’abord via son site extraordinaire, Le Tiers-Livre : à la fois espace littéraire, atelier d’écriture et espace de publication. Dans un même lieu, il parvient à évoquer ses lectures, son travail d’auteur et d’éditeur, sa réflexion sur le numérique... Et surtout, il y a publie.net, une coopérative d'auteurs pour la diffusion de textes numériques contemporains. On y retrouve ainsi Jean Rouaud pour qui j’ai un attachement particulier, Eric Chevillard, Marc Pautrel, Olivier Rolin…

 

François Bon est un être d’une très grande générosité qui aime les liens sociaux et virtuels. Rien de ce qui est numérique ne lui est étranger. Ainsi, au moment de mes déboires avec l’Agence littéraire, il fut le premier à diffuser l’affaire sur la toile et à me soutenir, générant ainsi un buzz auquel je ne m’attendais pas. Il y a quelques semaines, il a défendu et expliqué les raisons qui ont poussé Isabelle Aveline à fermer les portes de Zazieweb après 10 ans de bons et loyaux services. Il aime faire connaître le boulot des uns et des autres : Poezibao, Lignes de Fuite, Remue.net, etc., c’est grâce à François Bon que je les consulte également régulièrement.

 

C’est après ce prélude que je souhaite aborder le nouvel opus de François Bon, L’Incendie du Hilton (Albin Michel). Pourquoi cette digression ? Parce qu’elle met en perspective le travail littéraire de l’auteur. Dans ce roman, il est question d’écriture, de rencontres littéraires, des enjeux d’Internet…

 

François Bon se met en scène. Il se rend à Montréal pour un salon du livre qui aura lieu dans les sous-sols de l’hôtel du Hilton. A priori, ce genre de petite sauterie ne le botte pas : « Cette manie du petit monde parisien de se retrouver comme une famille, sans s’interroger surtout sur la légitimité d’être là, comme ça, à l’autre bout du monde, et de raconter nos histoires de cuisine comme si ça concernait la terre entière ». Alors le voici donc loin de chez lui, avec d’autres congénères. Rien ne semble pouvoir rompre le déroulement normal de l’événement. Mais… et ce sera le seul rebondissement du roman, un incendie sera déclaré à 1h50. Fin du drame à 5h50. L’auteur annonce au lecteur que c’est durant ce laps de temps, 4 heures, que doit se faire la lecture du texte. Et c’est ce que j’ai fait.

 

Action réduite à rien : un incendie, en un lieu clos : l’hôtel du Hilton et en un temps réduit : 4 heures. Malgré ces contraintes stylistiques, l’auteur est parvenu à retenir mon attention jusqu’à la fin car ses longs développements et ses digressions constituent le roman en lui-même. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, rien d’ennuyeux là-dedans.

 

Pour ceux qui suivent les travaux expérimentaux de François Bon dans Le Tiers Livre, ils reconnaîtront des réflexions sur la ville développées dans ses textes comme dans ses ateliers d’écriture.

« Pour appréhender une ville, il faut en avoir la structure. On la découvre en piéton maladroit ». Et plus loin : « Ce que nous aimons, ce sont les gares qui témoignent de l’idée de voyage. Elle sont comme la part organique d’une conquête avec ce qu(il faut de nourriture disproportionnée, de salles où s’asseoir ou dormir et la promesse, aux tableaux et aux affichages, qu’on pourrait se réveiller dans une ville où tout aurait changé, la langue, les gens, le ciel – sauf cela qui fait qu’on disait toujours se débrouiller dans une gare ».

 

 


@ photo : Montréal, vue du Hilton, nuit. François Bon


Au-delà de l’évocation de la ville de Montréal, l’auteur se laisse aller à quelques réminiscences, dont l’une m’a particulièrement amusée. François Bon est tenu de faire un stage à Dreux après avoir perdu les points de son permis de conduite. La situation est cocasse : tandis que les stagiaires se prêtent plus ou moins au jeu, en confessant leurs fautes, lui préfère se mettre en retrait, sortir son ordinateur et prendre en note les échanges, au grand dam des formateurs qui ne comprennent pas son déni. Ce passage qui s’étend sur plusieurs pages, est vraiment très drôle.

 

C’est précisément ce qui fait la force du roman : mélange des tons et mélange des genres : on passe du réel à l’imaginaire sans bien cerner les frontières. Car ce qui importe, ce n’est pas tant la restitution minute par minute des faits mais les réminiscences, les sensations qu’ils font surgir :

« Cet incendie du Hilton comme allégorie de la ville, et la ville comme allégorie du monde : où étions-nous, quelle ville, quel monde, qui soudain basculait dans son envers ? Il n'y avait plus de ville ni de temps : ces galeries, et le bruit du monde, s'il nous parvenait, nous n'en étions plus acteurs. Émigrants, plutôt, et jetés : à trois rues et une dizaine d'étages d'où nous étions deux heures plus tôt, lors de la première alerte, surplombant ce ventre souterrain dont nous devions être, trois jours durant, les appendices. Garants de la continuité, d'un état stable du monde, et voilà : entracte.

Quatre heures très précisément, juste un bloc de nuit. De 1 h 50 la première sirène et l'appel, jusqu'à 5 h 50, et qu'on s'effondre, sans retrouver pourtant le sommeil, avant journée blafarde à suivre. Et c'est maintenant, à dix semaines de distance, que je rouvre ces heures. Un non-événement : le plus parfait des non-événements. Des victimes, des blessés, des morts, dans l'immense catastrophe ordinaire du monde : rien, aucun. Un bouleversement de la ville, des ruines, un effondrement absolument pas. Juste cela, l'incendie du Hilton, ce qu'on y cherche, ce basculement provisoire, et la ville cul par-dessus tête.

Au moment de commencer, compteraient donc non pas des faits, mais le souvenir de cette déambulation dans l'envers de la ville, soudain offerte : le moderne montrait ses coutures. Alors cette attente, et l'incendie tout là-haut sous les toits, un livre qui en serait non pas la restitution, encore moins l'illusion, mais voudrait le redonner temps pour temps - quatre heures vécues, quatre heures à lire. Construction de nuit, construction d'une ville ou de l'envers d'une ville, construction d'un temps coupé de la grande loi du monde, comme nous l'étions, et qui pourtant exhibait soudain à nu, très provisoirement, toutes les lois cachées du monde ».

 

Pendant quatre heures, j’ai suivi l’auteur déambulant dans les couloirs du Hilton, rencontrant les frères Rolin, si différents l’un de l’autre, Atik Rahimi, son éditeur POL et son attaché de presse, Jean-Paul Hirsch, un vieil auteur, bavard et sceptique à l’idée que F. Bon puisse écrire un livre « sur rien »… Kafka est également mis à l’honneur, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et, même Marc Lévy… invité lui aussi au Salon du livre. Contrairement aux craintes du vieil auteur, L’Incendie du Hilton n’est pas un livre sur rien mais un livre sur la ville, et le rapport de l’écrivain au réel. Un très beau roman.

 

 

Pour aller plus loin, je vous conseille de regarder la vidéo de Sylvain Burmeau sur Médiapart


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commentaires

A
<br /> Quel beau billet pour Bon!<br /> Et mérité ...!<br /> <br /> <br />
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