Les romans sur la banlieue commencent à prendre une certaine place sur les gondoles des librairies. Dernièrement, Tibo Bérard, le directeur de la collection Exprim’ chez Sarbacane, m’a révélé que ses auteurs comme Insa Sané (l’auteur de Sarcelles Dakar et Du Plomb dans le crâne), Karim Madani (Hip-Hop Connexion) ou Hamid Jemaï (Dans la peau d’un Youv’) avaient été contactés par de grands éditeurs pour publier chez eux. Karim Madani a quitté depuis Exprim’ pour Belfond… Les grands éditeurs ont compris que la culture urbaine intéresse de plus en plus les lecteurs y compris ceux qui sont loin des quartiers. C’est ainsi que les éditions Le Serpent à plumes publient en cette rentrée El Hadj, le second roman de Mamadou Mahmoud N’Dongo (elles avaient déjà publié son premier roman, Bridge Road qui dénonce la haine raciale aux Etats-Unis).
El Hadj se présente comme une tragédie, une tragédie en 6 actes : dès la première page, le narrateur nous annonce qu’il se trouve dans la salle de son meilleur ami et qu’il est en train de le dépecer… Les pages suivantes sont le récit, à rebours, de ce qui s’est passé avant ce drame.
El Hadj est un garçon de 36 ans qui est né en Afrique, a perdu toute sa famille dans un incendie : sa grande sœur, après avoir été excisée de force par sa mère, très pieuse, a décidé de mettre le feu à l’appartement… El Hadj est alors recueilli en France par Moussa Kouyaté, le parrain de la cité. Celui-ci en fait son fils adoptif, son chauffeur et son confident tout en le tenant à l’écart de ses activités mafieuses.
Mais voilà que Moussa Kouyaté décède et que l’organisation du grand banditisme de la cité se réorganise. La bande se tourne vers El Hadj qui n’a pas eu, comme les autres, à « voler les banques, les entrepôts ». Il n’a pas eu besoin de dealer non plus. Par conséquent, il n’a pas passé la moitié de sa vie derrière les barreaux ni même eu de garde à vue. Les autres lui en veulent… Il doit à présent montrer de quoi il est capable, prendre des risques… L’objectif est de mettre de l’ordre dans la succession de Moussa Kouyaté, sous entendu liquider ceux qui empêchent le bon déroulement des plans.
El Hadj est un roman très visuel, avec des tensions fortes dues à une écriture sèche, rugueuse. Le narrateur ne se perd ni en longues descriptions ni en introspections inutiles. Pas de remise en cause de soi. Pas le temps de réfléchir : il faut agir sous peine d’être buté. Pour marquer cette tension constante, l’auteur a construit un roman à rebours, uniquement centré autour du personnage d’El Hadj. Les pages sont constituées de peu de paragraphes, très courts, qui rendent visibles l’urgence dans laquelle se trouve le narrateur.
El Hadj voudrait quitter Drancy avec Julia, mettre les voiles vers l’Espagne. Mais on ne quitte pas si facilement la cité, véritable prison où chacun a son rôle à tenir. Jusqu’au bout.
El Hadj ne ressemble pas aux romans sur la banlieue que l’on peut lire habituellement. Mamadou Mahmoud N’Dongo n’essaie pas de reproduire un langage qui serait propre à la cité. La violence survient de l’écriture et non des mots employés. Le narrateur ne veut donc pas choquer le lecteur avec son parler violent mais l’invite à comprendre ce qui l’a poussé à basculer dans la barbarie.
El Hadj, Mamadou Mahmoud N’Dongo, 293 p., 18€
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