Jeudi 1er février, Frédéric Taddéï (eh oui…) a reçu David Lodge himself sur son plateau de Ce soir ou jamais pour débattre avec divers artistes (cinéastes, critiques, comédiens et auteurs) sur le thème du rapport entre la critique et les auteurs. En effet, au théâtre du Petit Marigny se joue La Vérité toute nue de Lodge qui traite précisément de ce thème : deux auteurs décident de se venger d’une journaliste qui a écrit une critique féroce contre l’un d’eux.
Frédéric Taddéï plante le décor : en France comme en Grande-Bretagne, il est de bon ton d’accepter, sans rien dire, une critique, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Le refuser serait faire preuve de faiblesse. David Lodge regrette surtout le fait qu’il faille non seulement faire face à la critique de son travail mais surtout à son image médiatique. Pour éviter ce genre d’écueil, Catherine Jacob affirme éviter certaines émissions people. Hélas, la loi du marché l’exige, je l’ai aperçue depuis dans T’empêches tout le monde de dormir. Elle a tenu bon, a refusé que Marc-Olivier Fogiel retrace sa carrière, fasse son portrait. Mais pour autant, il n’a pas vraiment été question de son travail artistique ni de sa pièce. Et David Lodge a raison lorsqu’il déclare que les lecteurs ou téléspectateurs sont davantage intéressés par la personnalité d’un artiste que par son travail. Il a fait le constat qu’en Grande-Bretagne très peu sont les journaux qui consacrent de l’espace aux critiques. Les articles sont essentiellement des interviews ou des portraits. Le contenu importe peu.
Pour pimenter l’émission, Frédéric Taddéï a également invité trois critiques considérés comme cruels : Pierre Jourde (l’auteur notamment de La Littérature sans estomac), Arnaud Viviant (écrivain et critique littéraire) et Jérôme Garcin (écrivain, critique littéraire et animateur du Masque et la plume). Pierre Jourde se défend de cette désignation : la méchanceté importe peu, le problème est d’être juste, rejeter la complaisance stérile. Selon lui, l’écrivain, l’artiste est un héros, par conséquent, il est soumis au jugement du critique qui a la mission d’analyser son travail. Pas un artiste n’accepterait la critique alors qu’au contraire ils pourraient s’en servir pour progresser. Seul Frédéric Beigbeder, après avoir lu son pamphlet, avait admis qu’il devait faire moins de calembours dans ses romans. Arnaud Viviant va plus loin encore dans sa plaidoirie : « le critique ne s’intéresse qu’à l’art ».
Les personnages de Lodge et certains artistes considèrent que les critiques sont jaloux. Cette remarque est vieille comme le monde rappelle Jourde et de rappeler également que Baudelaire, Gracq, Barbey d’Aurevilly portaient les deux casquettes. Viviant, moins délicat conclut : « la critique ça veut dire que toutes les opinions ne se valent pas ».
Néanmoins, selon le genre, un critique n’a pas le même impact sur ses lecteurs. En effet, un journaliste peut détruire une pièce de théâtre ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne le cinéma. Bien souvent l’accueil du public diffère de celui des critiques.
En réalité, Pierre Jourde démontre qu’il existe encore peu d’espace où la critique, juste, sans complaisance, est rare. Elle existe dans Le Masque et la plume où le débat autour des livres, des pièces ou des films, est ouvert entre différents journalistes qui s’expriment sans langue de bois. Aujourd’hui, soit il y a un déferlement de promotion soit on attaque personnellement un artiste. Mais dans les deux cas, il n’est pas question d’art. Lodge déplore également le fait que les critiques sont souvent influencés par la personnalité de l’auteur se détournant des œuvres au profit des portraits. Selon Jourde, « il n’y a plus de différence entre un magazine people et le Monde des livres ». En effet, le journal, a demandé à François Weyergans de poser avec sa mère, elle l’héroïne de son roman, Trois jours avec ma mère.
Frédéric Taddéï propose alors à ses invités de commenter la première émission télévisuelle où il était permis de critiquer les livres : « Jean Edern’s club », en 1994. Le présentateur, J-E Hallier avait pris l’habitude de jeter par-dessus son épaule des livres qu’il n’aimait pas. Garcin déclare l’avoir déjà fait des années auparavant dans les « Boîtes aux lettres » mais qu’il n’en était pas spécialement fier car ce geste est du spectacle et non une discussion de fond sur une œuvre. Et Garcin de conclure qu’il n’est pas possible de faire de la critique à la télévision car il y a trop d’enjeux financiers, en particulier dans le domaine du cinéma. Viviant conclut donc : « la critique c’est de la résistance contre le marché ».
Comme à son habitude, Frédéric Taddéï a mené un débat intelligent, où chacun a pu s’exprimer librement et exposer son point de vue. Les avis étaient partagés et venaient des deux côtés de la barrière : artistes et critiques. Certains propos, en particulier ceux de Viviant ou de Jourde ont pu choquer, mais il est important de comprendre la situation dans laquelle chacun se trouve. Les artistes sont condamnés à faire de la promo, à montrer une image d’eux avantageuse, et se taire sur leur travail ; les critiques, dans certains journaux ou à la télévision, n’ont pas la liberté d’expression qu’ils souhaiteraient. D’autres au contraire feraient des procès d’intention à certains auteurs, en profiteraient pour régler leurs comptent. Mais, grâce à son émission, Frédéric Taddéï nous prouve qu’il est possible d’instaurer le dialogue et de polémiquer sur des sujets de fond.