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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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9 novembre 2006 4 09 /11 /novembre /2006 12:18

        Changement de décor dans Les Bienveillantes : après une période particulièrement pénible, où les Juifs furent fusillés massivement, Max Aue est envoyé en permission, à Yalta, pour se reposer quelque temps. Il se retire donc dans un sanatorium. Là, il rencontre un jeune Leutnant de la Waffen-SS, Willi Parteneau. Très vite, il se lie d’amitié avec lui et tous deux s’épanchent. On comprend pourquoi Parteneau est devenu nazi : pour échapper à un univers familial asphyxiant et ultra catholique, remplaçant la religion par le national-socialisme. De son côté, Aue raconte des souvenirs d’enfance traumatisants. Peu à peu, le désir pour Parteneau monte en lui, mais ce dernier lui rappelle que Hitler avait signé un décret condamnant à mort les homosexuels. Aue le rassure : il ne s’agit que d’une « rhétorique de façade ». Et d’ailleurs, c’est par la rhétorique qu’il compte persuader son compagnon du bienfait de l’homosexualité. Quand Parteneau séduit les jeunes Ukrainiennes ou Slaves, Aue le met en garde : celles-ci peuvent être juives et renseigner ainsi les Bolcheviques des actions ennemies, transmettre des maladies comme la syphilis, et cette activité est totalement prohibée car « une telle profanation  de la race, si elle n’est pas violemment combattue, ne pourra à long terme qu’une forme d’Entdeuschung,e dégermanisation de notre race et de notre sang ». Or, cet argument est précisément celui que les nazis utilisèrent pour condamner l’homosexualité : « L'homosexualité fait échouer tout rendement, tout système fondé sur le rendement; elle détruit l'État dans ses fondements. (…) Nous devons comprendre que si ce vice continue à se répandre en Allemagne sans que nous puissions le combattre, ce sera la fin de l'Allemagne, la fin du monde germanique » (Discours du chef nazi Himmler sur l'homosexualité prononcé le 18 février 1937).

            Le jeune Parteneau est inquiet : comment assouvir sa libido s’il ne peut avoir de rapports avec les femmes du coin. La solution, selon le narrateur, se trouve dans Le Banquet de Platon. Nombreux sont les détracteurs de Littell qui lui ont reproché la culture de ce nazi. Mais, Aue l’explique lui-même : très intelligent, bon élève, il a fait des études, a lu les classiques. Faire de ce nazi un intellectuel permet de rendre plus intéressant le discours et de percevoir comment il utilise le langage pour justifier ses actes et ses choix. Grâce au Banquet, il démontre au jeune novice que les Grecs étaient des invertis qui concevaient l’activité sexuelle comme un mode de vie. Mais Parteneau est réticent : son père lui citait souvent saint Paul interdisant l’homosexualité. Aue se moque car cette « interdiction chrétienne, c’est une superstition juive » et de conclure : « j’ai d’ailleurs un ami français qui tient Platon pour le premier auteur fasciste ». Il n’en faut pas plus pour persuader Parteneau qui s’abandonne. Comme le narrateur est décidé à tout nous dévoiler, il ne se prive pas pour exprimer à quel point la pénétration est un acte agréable et fort. On avait pas vraiment envie de savoir… maintenant on sait…

            En réalité, ce récit n’est pas stérile car il nous permet de comprendre le fonctionnement psychologique de Max Aue. Enfant, il tomba amoureux d’une fille de son âge : ils s’unirent mais se firent un jour surprendre. Sa mère le traité de « cochon et de dégénéré ». Tous deux furent envoyés en pension et ne se revirent plus. C’est par amour pour cette fille qu’il accepta les avances d’un garçon chargé de la protéger contre les agressions physiques des autres camarades, et finalement choisit l’homosexualité car « mieux vaut donc que moi-même je sois elle et tous les autres, moi ». Ce n’est donc pas par goût pour les hommes qu’il a choisi cette sexualité mais en souvenir de son premier amour.

            Cette partie du roman des Bienveillantes est moins dans l’action mais dans la réflexion. Max Aue se pose et analyse ses actes, son langage. On ne sympathise pas avec lui, loin s’en faut, mais on entend ce parcours qui fut certainement le même pour des milliers de nazis qui ont connu une enfance rigide et sont partis en quête d’un absolu. Mais on ne pardonne pas, on n’accepte pas ses choix. On s’intéresse à son discours, on se remémore ses souvenirs sur Platon, on s’emporte contre sa sophistique. Et finalement, on poursuit avidement la lecture de ce roman ambigu et polémique.


 

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commentaires

N
Bonjour Anne-Sophie,<br /> Je viens de lire ta chronique sur "Les Bienveillantes", que je trouve très bonne. Originale cette idée d'en séquencer les analyses et d'aborder les thèmes du livre. Pour ma part, je ne l'ai toujours pas commencé.<br /> Pour ce qui est du personnage, il semble que Littell se soit inspiré d'un vrai nazi. Pour une part, au moins. C'est peut-être bien Otto Ohlendorf, intellectuel perdu dans le monde nihiliste des nazis. Pas un enfant de coeur pour autant !!!<br /> J'attends la suite avec impatience et avidité ...
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A
Mertci... Je crois, d'après tout ce que j'ai entendu et lu sur ce roman que Littell s'est inspiré de lui, sa culture, son savoir... Il a imaginé un être épouvantable, nihiliste, intelligent, telq u'il était capable de l'imaginer.Prochaine chronqiue dans la semaine. Je compte sur toi !
S
après avoir lu les deux tiers du livre, je ne suis pas du tout d'accord avec Sollers:il avait tout son sens dès la première pageEn revanche,je me demande si Littell a illustré la thèse de Hannah Arendt sur la banalité du mal (j'ai lu que c'était son propos, mais peut être me trompe-je?) car son héros n'est vraiment pas banal, avec ses amours incestueuses dont il ne reconnaît pas les fruits,son crime inconscient ,bref je n'en dis pas plus.Encore que le supsense ne soit pas le ressort de ce livre absolument magistral:un monument
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A
J'ai pensé à toi à 14h-15h j'ai écouté l'émission de Paula Jacques Cosmopolitain. Elle est allée interviewé Jonathan Littell à propos de son livre of course. Très intéressant ... si tu as raté tu peux via le net réécouter l'émision.<br /> EN TOUT CAS J'ADMIRE TA PERSEVERANCE DANS LA LECTURE DE CE LIVRE. D'après Philippe Sollers le livre prend tout son sens vers la fin. En ce qui me concerne j'aurai jamais le courage de lire un tel livre.
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A
Merci beaucoup Alice pour cette information... Je vais l'écouter...Tu as dû regarder comme moi "Ce soir où jamais" avec Sollers qui expliquait que Les Bienveillantes prenaient tout son sens dans les dernières pages. Emission qui m'a fait pleurer de rire... Je t'en dirai plus dans quelques jours...A très bientôt et bonne fin de week end !
F
Ah ce que ça m'énerve... Alors sous prétexte qu'on est nazi on peut pas être homo ni cultivé... Mais qu'est-ce que sont tous ces préjugés??? Non, les pauvres comme les nazis n'ont pas le label d'ignare. Il y a de la barbarie partout. Tant mieux si Max Aue est cultivé car un si long roman en accompagnant un pur crétin... ça serait l'horreur!
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C
Chère Anne Sophie, je lis décidemment avec beaucoup de plaisir cette chronique sur Littell. <br /> Je trouve tout a fait interessant que Littell est fait de son personnage un intellectuel: cela nous pousse à regarder une terrible vérité en face: l'éducation n'est pas la parade absolue à la barbarie, loin de là. Les pauvres (culturelleemnt, économiquement) ne sont pas les seuls à se laisser emporter par la haine et une idéologie telle que le nazisme.<br /> J'attends avec impatience la chronique n°5! a bientôt
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