Je fais partie de ces lecteurs un peu snobs qui estiment que la science-fiction est un sous-genre de la littérature et qu’elle ne présente donc qu’un intérêt secondaire. Certes les histoires en général sont plaisantes. Il est indéniable que lorsque l’on tient en main l’un de ces livres on ne puisse le lâcher avant la fin tant l’auteur sait nous tenir par ses rebondissements et ses suspens. Néanmoins, je suis rarement séduite par le récit même. Ne mettons pas tous les auteurs dans un même lot indifférencié : Georges Orwell ou Huxley font évidemment partie des grands auteurs de la littérature d’anticipation. Il en est d’autres. Mais je pense que par déformation professionnelle, par manque de temps, j’ai focalisé mon attention sur le roman, sans m’attarder sur la S.F. Hormis quelques auteurs bien précis comme Vercors, Huxley, Orwell ou Barjavel, la S.F. est ignorée par les programmes scolaires.
Depuis des années, je n’avais pas ouvert un livre d’anticipation. L’occasion s’est présentée hier soir avec Sauvagerie de J.G. Ballard (que vous connaissez peut-être grâce à l’adaptation cinématographique de son roman Crash par David Cronenberg). Ce livre a été publié en Grande Bretagne en 1988 sous le titre Running Wild, puis traduit en français sous le titre Le massacre de Pangbourne, publié chez Belfond puis réédité chez Mille et Une Nuits. Il est de nouveau traduit par Robert Louit pour les éditions Tristram.
Sauvagerie s’inspire d’un fait réel : dans une zone résidentielle de luxe près de Londres, 22 parents ont été massacrés tandis que leurs 13 enfants ont disparu, certainement kidnappés. La résidence est sous surveillance vidéo ce qui permet aux enquêteurs de pouvoir visionner ce qui s’est passé le matin du massacre. Pourtant, malgré les indices et les pièces à conviction retrouvées dans les différentes maisons sans difficulté, la police peine à comprendre les motivations des meurtres et l’enlèvement des enfants. Elle fait alors appel à un psychiatre, le DR Richard Greville pour apporter son point de vue et peut-être comprendre les raisons d’un tel massacre.
Le roman est entièrement narré par ce psychiatre qui observe avec froideur et objectivité la vidéo qui retrace les moindres faits et gestes de ces familles afin de leur assurer une protection qui s’avèrera vaine. Ses descriptions sont précises, sans fioriture. Le court roman est écrit de manière très organisé et efficace selon les méthodes de travail du psychiatre qui analyse des faits et interprète ensuite. La caméra a donc filmé les différents meurtres : certains parents ont été tués par électrocution, d’autres ont été abattus ou étouffés. Le psychiatre a ensuite noté le nom des victimes, de leurs enfants, puis il a observé la zone résidentielle, les habitudes de vie des uns et des autres : toutes ces familles vivaient en harmonie. Les parents, bienveillants et tolérants, étaient proches de leurs enfants, attentifs à leur développement personnel et intellectuel. Les enfants obéissants, avaient des activités en réseau.
C’est la découverte de l’un des enfants qui va permettre au psychiatre, grâce à ses hypothèses, de déduire le mystère des massacres.
Ce roman est un véritable pamphlet contre un système ultra-sécuritaire qui veut le bien-être de ses habitants au détriment de toute liberté. Efficace dans sa narration, Sauvagerie montre les conséquences tragiques d’une société sous surveillance qui empêche l’individu de vivre en toute plénitude.
Sauvagerie, J.G. Ballard, Tristram, 119 p., 13€