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Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
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9 octobre 2008 4 09 /10 /octobre /2008 11:54

Au festival America, il fut aussi question de l’Amérique du Sud qui connaît guérillas, révolutions et dictatures. En temps de guerre, il est difficile de pouvoir s’exprimer librement et de publier ses textes. Horacio Castellanos Moya a payé cher sa liberté de parole. En 1977, il publie dans son pays, Le Salvador, Le Dégoût. Ce texte suscite une telle fureur de la part des Salvadoriens que la mère de l’auteur est menacée de mort. Pour échapper à la guerre civile, Horacio Castellanos Moya décide de s’exiler dans l’espoir de travailler dans de bonnes conditions et continuer d’écrire ce qu’il veut. Aujourd’hui, il vit aux Etats-Unis dans un programme d’écrivains mais avoue se sentir très isolé puisqu’il ne parle plus en espagnol, se sent loin de sa culture.

Wendy Guerra, que je découvre à cette occasion, est le seul auteur, parmi les invités, à vivre encore dans son pays, Cuba. Contrairement à ce que les autres ont pu affirmer sur le fait que l’Amérique latine est une abstraction, elle rappelle que « l’Amérique du Sud n’est pas une abstraction mais une réalité très crue. Nous sommes peu d’auteurs qui habitons encore notre pays d’origine. A cause des dictatures ». Les Etat-Unis sont complètement indifférents aux problèmes du Sud du continent. Ils ne publient que les auteurs qui se sont exilés voire qui, comme James Cañon, présent, ont décidé d’écrire directement en anglais afin de pouvoir être lus. Seuls trois auteurs cubains sont parvenus à se faire publier aux Etats-Unis.

La confrontation des différents points de vue, ceux qui sont partis (Moya, Cañon, Jordi Soler), des Américains qui s’intéressent au sujet (Nathan Englander et Doulas Unger) et celle qui est restée dans son pays, était vraiment très intéressante et aurait mérité un plus long développement où les auteurs auraient montré en quoi leur façon de problématiser cette réalité différait en fonction de la langue choisie (anglais ou espagnol), de sa propre situation (exil, intérêt pour le sujet, refus de prendre de distance…).

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3 octobre 2008 5 03 /10 /octobre /2008 11:06

En préparant mon billet du jour portant cette fois sur la rencontre entre un libraire de L’Arbre à Lettres et André Schiffrin dimanche au festival America, j’ai relu celui que j’avais écrit l’année dernière au moment où l’éditeur américain publiait Allers-Retours lors de son passage à l’émission Du Jour au lendemain sur France culture : j’ai lu exactement, à la virgule près, ce que j’avais noté à l’époque ! L’homme est constant, fidèle à ses idées selon lesquelles l’édition française est monopolisée par deux grands groupes qui contrôlent les 2/3 de la presse. La suite, vous pouvez la lire en suivant le lien.

Ce qui a changé, me semble-t-il, c’est son point de vue sur la production française. Il se félicite, lui aussi, de l’organisation d’un tel festival promouvant la littérature américaine qui porte un regard curieux et novateur sur le monde qui l’entoure, alors que les écrivains français s’en montrent incapables. Il ne s’explique pas par exemple pourquoi les jeunes immigrés américains trouvent une voix qui leur est propre pour dire leur culture, leur différence, leur métissage alors que les jeunes immigrés des banlieues françaises n’émergent pas.

La discussion prend un nouveau tournant. Une jeune femme lève la main, se présente : elle travaille chez Hachette, le fameux groupe ennemi de Schiffrin. « Nous publions une jeune fille qui est publié dans de nombreux pays : Faïza Guène » et d’expliquer que cet auteur parle du monde qui l’entoure. André Schiffrin, sans ciller, lui répond : « J’ai lu ces livres. C’est très sympathique. Mais, moi je parlais de littérature » !

 

 

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2 octobre 2008 4 02 /10 /octobre /2008 10:44
Samedi, au festival America, l’un des grands débats portait sur les « Femmes d’Amérique : citoyennes du monde ». Autour d’un journaliste de Elle, étaient réunies six auteurs très différents, à la fois dans leurs inspirations, leur style, et leurs origines.


La jeune Véronique Papineau habite Montréal, elle se revendique « québécoise » et ressent son appartenance très forte au Québec. Elle est l’auteur d’un recueil de nouvelles : Petites histoires avec un chat dedans (sauf une) (Boréal).Ces nouvelles décrivent des situations du quotidien. Quand le journaliste lui demande en quoi être une femme auteur est important ou a une signification particulière, Véronique Papineau rit franchement : selon elle, il n’y a pas de discrimination entre les hommes et les femmes. Elle ne se sent en rien différente ou exclue. Le féminisme est, déclare-t-elle, un mouvement qui lui est complètement étranger.


Abha Dawesar a un parcours plus atypique : indienne, elle a vécu 17 ans dans son pays d’origine avant d’immigrer aux Etats-Unis pour faire des études. Elle est en effet diplômée d'Harvard. Elle a un temps travaillé dans la finance à New York avant de se consacrer à l'écriture. Pour le moment, elle a écrit trois romans, dont deux sont traduits en France. Dans chacun d’entre eux, elle choisit un coin du monde qu’elle connaît bien : le premier, Miniplanner se passe aux Etats-Unis, Babyji en Inde et Dernier été à Paris, en France. Ayant vécu 17 ans en Inde et 17 ans aux Etats-Unis, Abha Dawesar est en passe de se sentir tout à fait américaine. Tous ses romans parlent de sexualité, souvent d’homosexualité. A partir de ce thème, elle peut aborder des sujets plus larges « qui disent le monde ». Ses romans traduits en Inde mais ont été très critiqués. D’abord parce que les Indiens, très puritains, n’aiment pas que l’on parle de sexe, encore moins d’homosexualité. Quant à la sexualité féminine, ce serait un sujet tabou. En tant que femme qui écrit, elle estime qu’il y a beaucoup de livres à faire évoluer les mentalités.

 


La canadienne Alissa York s’est montrée discrète. Ses romans, traduits chez Joëlle Losfeld, sont engagés en faveur de la cause féminine : à chaque fois, on se retrouve dans un univers religieux. Les femmes transgressent des interdits, découvrent leur sensualité… Dans son dernier roman, Effigies, elle décrit une famille mormone du XIXème siècle où l’homme, polygame, est marié à quatre femmes. Les mormons justifient cette pratique en montrant combien les femmes sont heureuses de se retrouver entre elles, d’avoir des confidentes… Les hommes ont ainsi la mainmise sur les femmes soumises à leur autorité.


Melanie Wallace est l’aînée du groupe ici formé mais elle est également celle qui est venue le plus tard à l’écriture. Après avoir vécu aux Etats-Unis puis en France, elle s’est installée dans un petit village grec, sur le flanc d’une colline. Elle est très isolée mais affirme être bien plus heureuse dans cette solitude que parmi la société. Elle ne revendique pas d’appartenance à aucun pays même si ses romans se déroulent aux Etats-Unis.


Lionel Shriver est née en Caroline du Nord mais a beaucoup voyagé. Après avoir fait un tour du monde qui lui a inspiré six romans, elle s’est installée à Londres. Dans son dernier roman, Il faut qu’on parle de Kevin (Belfond), elle raconte la tuerie de Columbine où un adolescent a tué neuf personnes, non pas du point de vue du tueur mais de sa mère. Lionel Shriver a eu beaucoup de mal à faire accepter son roman car les Américains, selon elle, n’aiment pas les histoires de tueries dans les écoles. Elle a dû prouver que son livre allait au-delà du simple fait divers. Elle n’écrit pas de documents mais des romans : « la réalité va au-delà de la fiction. Par exemple, personne n’aurait pu écrire un roman sur l’effondrement des tours ou les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Le réel est donc un matériau pour la fiction ».

Quand on lui parle de sa condition féminine, elle opine du chef : quoique l’on puisse dire, les femmes écrivains sont encore dénigrées, reléguées au second plan. Elle donne un exemple : il y a quelques jours, à l’occasion de la mort de David Foster Wallace, un article de presse recensait les amis écrivains de l’auteur. Pas une femme n’était citée… Selon elle, « il y a eu habitude profondément ancrée que les femmes ne sont que des pions ».


Mairy Gaitskill rebondit sur les propos de Lionel Shriver : en France, on l’associe souvent à Brest Easton Ellis sous prétexte qu’elle a fait partie de cette mouvance américaine des années 1980 : « je n’ai jamais entendu cette comparaison hormis en France. Mais cela ne sert à rien de faire des comparaisons car les grands écrivains ont leur propre voix. C’est seulement un truc de journaliste. Donc, je n’ai pas été déçue de ne pas me trouver dans la liste de Wallace parce que je ne me reconnais dans aucun de ces noms ».

Dans son second roman, Veronica (L’Olivier), l’auteur suit la déchéance d’un mannequin, dans les années 1980 à New York. Les textes de Mary Gartskill se situent toujours aux Etats-Unis. Elle ne porte donc pas un regard sur le monde mais sur son pays.

Enfin, elle a tenu à rendre hommage au festival America qui passe outre les conflits politiques des Etats-Unis avec le reste du monde, qui s’ouvre à la culture Outre-Atlantique. « Jamais, conclut-elle, il n’y aura la même chose aux Etats-Unis avec la France ».

 

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1 octobre 2008 3 01 /10 /octobre /2008 15:42

Après avoir passé le week end au festival America, le bilan est mitigé… Une cinquantaine d’écrivains ont répondu présents à l’invitation et ont participé aux différentes animations : débats, lectures, cafés littéraires… Il est toujours très intéressant de rencontrer des auteurs, de les écouter s’exprimer sur leurs œuvres.

Pourtant, certains débats m’ont déçue : d’abord, parce que les auteurs ont eu peu droit à la parole en ce qui concerne leurs textes, ils étaient plutôt invités à s’exprimer sur des thèmes très généraux… Ensuite, parce que certains journalistes, censés animés les débats, n’ont pas lu tous les romans dont il était question autour de leur table, à savoir cinq ou six livres… Par conséquent, ces animateurs ont évité d’orienter les discussions autour des livres et n’ont pas été capables de présenter correctement les auteurs. Or, le festival America est un rendez-vous littéraire où des auteurs issus des quatre coins du monde, acceptent de venir à Vincennes pour faire connaître leurs romans, parler de leur travail et de leur conception de l’écriture…

 

J’aurais en effet voulu que les auteurs, lors des « Grands débats », puissent réagir aux thématiques proposées en fonction de leurs livres et non donner leur point de vue en tant qu’individus… Il a été notamment question à plusieurs reprises des élections américaines. Lors des débats « l’Amérique, l’Afrique et nous » et « USA : Black is beautiful » réunissant exclusivement des auteurs à la peau noire, on leur a demandé s’ils souhaitaient la victoire d’Obama. Il était en effet très difficile de passer à côté de cette question étant donnée le contexte politique mais les écrivains, si engagés soient-ils, ne sont pas des philosophes ou des politiques. Du côté du spectateur, on ne s’attend pas non plus à un développement sur la politique d’Obama lors d’un débat littéraire. On aurait pu demander aux auteurs de montrer la façon dont ils abordent ces questions politiques dans leurs romans, ce qui aurait été plus convaincant… En  relisant le programme, c'était d'ailleurs ce qui était prévu  : 

« 2008 voit le premier candidat noir investi par le parti démocrate ou peut-être tout simplement le premier président noir des Etats-Unis. Mais le destin de Barack Obama ne saurait masquer le fait qu'une large partie de la communauté noire est toujours exclue du rêve américain. Quarante ans après Martin Luther King et Malcolm X, peut-on aujourd'hui dialoguer, comme le souhaite Obama, sur la question raciale ? Des écrivains tentent d'y répondre à travers leurs œuvres ».

 


Voilà un premier billet quelque peu morose rendant compte du festival America, il rompt avec l’enthousiasme général… La suite, demain !

 

 

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29 septembre 2008 1 29 /09 /septembre /2008 12:07

Vendredi après-midi, je me suis rendue de nouveau à l’Hôtel Lenox, rencontrer l’américaine Amy Bloom. L’auteur de Ailleurs, plus loin a l’habitude de répondre à des interviews : elle est détendue, confortablement installée sur une banquette en velours. Malgré les rendez-vous qui s’enchaînent, Amy Bloom reste souriante, souvent rieuse.

J’ai croisé de nouveau l’auteur au festival America mais elle a dû repartir aux Etats-Unis de façon prématurée et n’a donc pu participer à tous les débats et rencontres comme prévu.

 

Ailleurs, plus loin est une pure fiction. Le personnage de Lilian ne ressemble en rien à l’un des membres de votre famille qui a connu également l’exil. Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter le parcours de cette femme extraordinaire ?

Dans ma famille, on ne parlait pas du passé, et à cause de ce silence, j’ai eu envie d’en savoir plus. Les personnages viennent de votre inconscient : ce sont des histoires de votre famille, des sensations que vous avez eues en marchant dans la rue… Je pense que lorsque l’on écrit, tout ce que l’on vit, d’une certaine manière, devient du matériau pour façonner des personnages.

 

En quoi l’histoire de vos grands-parents, juifs d’origine russes, vous a influencé pour écrire cette histoire ?

C’étaient des gens qui aimaient voyager. Mais mes parents étaient très ennuyeux. Il y a des éléments de certains personnages qui font écho à ma famille, de choses que j’ai pu entendre ou dont je me souviens mais mes grands-parents ne parlaient jamais de leur histoire, du passé et quand je les ai connus, ils étaient déjà âgés et ne parlaient pas très bien anglais.

Les histoires qui n’ont pas été racontées sont bien plus fascinantes que les histoires connues. Ce qui m’intéresse aussi c’est le décalage entre ce que les gens racontent de leur histoire et les fictions. D’ailleurs, vous allez peut-être être déçue mais je n’avais pas une curiosité brûlante à l’égard de l’histoire de mes grands-parents. C’étaient des gens pauvres, malheureux, vivant dans un village boueux et qui n’étaient pas contents de vivre aux Etats-Unis.

 

C’est exactement l’inverse que vous racontez dans Ailleurs, plus loin : Lilian est très forte et parvient à s’adapter à toutes les situations même les plus triviales.

C’est pour cela que je l’ai inventée : elle est beaucoup plus intéressante que mes grands-parents ! [rires]. Pour moi, Lilian n’a rien d’extraordinaire : imaginez que demain vous quittez votre pays pour un autre dont vous ne comprenez pas la langue, vous n’avez pas d’amis, pas d’argent, pas de protecteurs, à quel point la vie que vous y mèneriez serait-elle différente de celle de Lilian ?

 

Votre roman s’apparente à celui du 19ème siècle, vos personnages ressemblent à ceux de Dickens, parvenant à se sortir de situations dramatiques et à surmonter les obstacles de la vie… Comme le faisaient les romanciers de l’époque, vous suivez vos personnages jusqu’à la fin, du moins vos personnages les plus importants.

On connaît la fin de la plupart de mes personnages. Pas tous : on ne sait pas ce qui arrivent à ses trois enfants qu’elle abandonne. J’aime les romans du 19ème siècle, j’aime la manière dont ils s’achèvent, leurs épilogues mais en même temps j’avais envie de tisser le futur au centre du livre. L’intérêt d’être une romancière du 21ème siècle c’est d’avoir une capacité de mouvement dans la chronologie, dans le temps, d’aller vers le futur et de revenir vers le présent du roman.

 

Vous êtes un personnage omniscient et vous manifestez votre connaissance supérieure dans les nombreuses parenthèses où vous leur en faites dire plus que ce qu’ils expriment ouvertement.

Le narrateur omniscient a la capacité de voir tout ce qui se passe y compris à différentes époques : connaît le passé, le présent et l’avenir de ses personnages. Aujourd’hui, au 21ème siècle, on aime les livres bavards, les histoires d’introspection,  les analyses psychologiques… Dans mes nouvelles, il m’arrive d’utiliser le « je » mais aimant les personnages, j’ai recours à l’omniscience du narrateur qui me permet de raconter leur futur et leur passé.

 

Vous avez fait des recherches dans des bibliothèques en Alaska sur l’exil, ce personnage de Lilian, etc. Mais comment avez-vous procédé pour écrire cette histoire ?

J’ai mis très longtemps à écrire ce roman mais je ne pourrais dire en combien de temps précisément car j’ai dû m’interrompre deux fois : d’abord pour terminer un recueil de nouvelles [Mauvais genre, avec une nouvelle couverture, tient-elle à préciser] puis pour l’écriture d’un show à la télévision.

En ce qui concerne la méthode, ce n’est pas très intéressant pour vous... parce que je n’en ai pas vraiment. Je m’assois le matin dans mon bureau, je fixe le plafond en me demandant si je vais avancer une scène ou l’intrigue…

Tout le travail de recherches est très amusant si vous aimez lire et vous savez prendre des notes. C’est un faux exercice d’écriture puisqu’il n’y a aucune difficulté. Quand vous le faites, personne ne vous embête parce que vous avez l’air sérieux. Je ne comprends pas que l’on puisse parler du travail de documentation comme quelque chose de difficile puisqu’on lit des histoires qui nous intéressent. Où est la difficulté ? En revanche, l’écriture, c’est difficile.

 

Vous avez d’abord collecté toute cette documentation avant d’établir un plan ou bien celle-ci est-elle venue en complément de votre histoire ?

Je commence toujours avec une idée de l’histoire et puis il y a un certain nombre de choses que je ne sais pas. Par exemple la durée nécessaire du voyage en train à cette époque, à quel point Seattle était une ville accueillante où les immigrés étaient intégrés… Les choses que j’ignore je les note afin de faire une recherche dessus et après avoir fait les recherches, j’écris. Mais je n’avais pas du tout envie d’écrire un roman où au beau milieu, il va y avoir un traité sur l’histoire de l’immigration ou autres. Mon but n’est pas de montrer à quel point je suis cultivée et instruite à mes lecteurs.

 

Vous décrivez une Amérique du début du 20ème siècle sans pour autant insister sur l’Histoire de cette époque. Elle n’est finalement qu’une toile de fond…

En effet, le passé n’est pas si différent que cela…Pour moi, le cœur de l’histoire c’est les gens, ce qu’ils vivent et ce qu’ils éprouvent. Je n’avais pas envie d’écrire un roman historique. Pour moi, l’Amérique des années 1920 ressemble à la nôtre. Tout ce qui manque c’est la télé et les ordinateurs car à cette époque tout allait très vite aussi.

 

Vous décrivez l’univers de Lilian avec une certaine crudité, lui faisant subir prostitution, viol, enfermement…

Lilian pour survivre est obligée de se soumettre, mais elle analyse la situation de façon lucide. Elle sait bien qu’elle est prisonnière du jeu entre Mayer et son père Ruben. Mais elle ne maquille pas la réalité, et donc moi non plus du coup !

 

Malgré ces situations dramatiques, votre personnage a beaucoup d’humour…

Pour moi, c’est quelque chose d’essentiel chez un écrivain. Une grande partie de mon humour repose sur des jeux de mots. Quand je raconte cette scène d’abus sexuel où l’homme devient impuissant, ça me fait beaucoup rire. Mais je ne raconte pas ça à la manière de Henry Miller ou de Norman Mailer parce qu’eux, je crois que ça ne leur aurait pas du tout fait rire. En revanche, je suis bien consciente que certaines choses peuvent faire rire, d’autres moins. Lilian est capable de rire à ce qui lui arrive, même dans des situations délicates. Je pense à une scène du livre où elle est très embarrassée parce qu’elle a des poux et ce qui la fait rire c’est cette gêne alors que l’homme avec qui elle se trouve est extrêmement sale et qu’il a une chemise pleine de taches de sang et de nourriture.

Pour conclure, j’aimerais savoir si vous aviez de nouveaux projets d’écriture.

Je travaille sur un recueil de nouvelles qui s’appelle : I love to see you coming I hate to see you go [éclats de rire avec la traductrice en raison du jeu de mots avec « Comin’ »/ « coming »], et je commence un nouveau roman…

 

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27 septembre 2008 6 27 /09 /septembre /2008 00:06

Enfant, Amy Bloom écoutait son père journaliste, commentant les faits divers lus dans la presse américaine. Un jour, celui-ci raconta l’histoire incroyable d’une jeune femme qui avait décidé de faire un voyage dangereux et solitaire, la menant des Etats-Unis jusqu’en Russie, en passant par l’Alaska. Cette anecdote marqua profondément Amy Bloom qui, une fois adulte, décida de la reprendre pour en faire un roman : Ailleurs plus loin (Belfond).

 

C’est à partir donc de ce fait réel que Amy Bloom a imaginé l’histoire d’une jeune femme de 22 ans, Lilian qui s’est exilée à New York après avoir perdu parents, mari et enfant, dans un pogrom en Ukraine dans les années 1920. Elle débarque alors dans un pays qu’elle ne connaît pas. Pour s’en sortir, la jeune femme accepte des travaux de couturière dans un théâtre Yiddish où très vite elle devient la maîtresse d’un acteur, Meyer puis de son père, Ruben. Parce qu’elle doit survivre dans un pays où elle n’a aucun lien si ce n’est une cousine qui lui loue un demi-matelas miteux (qu’elle partage donc avec une autre personne), ne parle pas anglais, n’a pas d’argent, elle accepte de se faire entretenir par Meyer qui lui met un appartement à disposition.

 

Dès la deuxième partie du roman, les péripéties s’enchaînent très rapidement : Lilian apprend que sa petite fille Sophie n’est pas morte. Elle se trouverait en Sibérie. Sans plus réfléchir, Lilian décide de faire ses paquets et de partir seule retrouver sa fille. Le lecteur la suit donc dans son périple à travers le Nord des Etats-Unis, dans les bas-fonds des quartiers populaires de Seattle. Elle doit alors, pour pouvoir continuer sa route, se soumettre plus d’une fois, aux désirs des hommes. Des dizaines de rebondissements rythment le roman d’exil : un séjour en prison, le train express de Chicago, la traversée de l’Alaska…

 

Le roman dépeint l’Amérique des années 1920 : ses mœurs (la conception de l’homosexualité, la prostitution, l’immigration), sa culture… mais il n’a pas une visée historique. Si le point de départ est le pogrom de 1924, il n’y aura pas de reconstitution des faits, moins encore de développements historiques sur cette période. Le pogrom n’est qu’un point de départ pour raconter le parcours de Lilian.

 

L’auteur fait de Lilian une véritable héroïne, courageuse, intelligente, capable de s’intégrer sans aucun mal aux Etats-Unis… Au lieu de faire de son roman un texte pathétique qui décrirait les déboires d’une pauvre fille, perdue, abusée sexuellement à différentes reprises, elle préfère avoir recours à une héroïne, pleine d’humour. Le narrateur intervient régulièrement dans son récit afin de donner le point de vue de ses personnages, usant de nombreuses parenthèses. Ce procédé permet non seulement de rapporter les pensées des personnages, mais surtout d’ajouter une pointe d’ironie à la narration. Il n’y a donc pas de pathos dans cette histoire qui détourne habilement le conte traditionnel de l’immigrant et du rêve américain.

 

 

Ailleurs, plus loin, Amy Bloom, traduit par Michèle Lévy-Bram, Belfond, 251 p., 19 €

 


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26 septembre 2008 5 26 /09 /septembre /2008 09:04

10 heures, hôtel Lenox, rue Delambre à Paris, j’ai rendez-vous avec l’écrivain Jordi Soler - qui à l’occasion du festival America est de  séjour dans la capitale - pour converser près d’une heure au sujet de son second roman publié en français : La Dernière heure du dernier jour (Belfond). L’homme est affable et souriant. Il aime parler de son livre et de son travail d’auteur, insistant bien sur le caractère fictif de son œuvre que l’on considère trop souvent comme autobiographique.

 

Contrairement à votre roman, Les Exilés de la mémoire, votre narrateur fait la même profession que vous : il est écrivain. Est-ce parce que La Dernière heure du dernier jour est une histoire plus intime que le précédent ?

Il s’agit bien de deux romans distincts. Ils ont bien sûr des éléments qui appartiennent à ma vie. Je suis né dans un endroit qui rassemble à celui que je décris dans les deux livres. Les personnages ressemblent à ceux de ma famille. Mais pour écrire ce roman, il a fallu que j’invente beaucoup. J’ai utilisé le même processus que par le passé. Je commence toujours par écrire avec des éléments de fiction. Si le personnage du premier roman est anthropologue et celui du second est écrivain comme je le suis, ce n’est pas parce que je veux m’impliquer plus, c’est un phénomène factuel de construction du roman et non parce que ça a un rapport avec mon implication personnelle. Dans le premier roman, il y avait une recherche scientifique, c’est pour ça que mon narrateur était anthropologue. Et dans dernière heure du dernier jour, il y a un regard d’écrivain, c’est pour cela que le narrateur est un écrivain.

 

 

La tante, Marianne, a été victime enfant d’une méningite qui l’a rendue folle. Est-ce qu’elle ne serait pas le symbole de ces Espagnols qui sont arrivés au Mexique et qui ont perdu tous leurs espoirs ?

Exactement : Marianne est la métaphore de ce roman. Elle est l’enfant avec qui les Espagnols ont démarré cette nouvelle « république » outre-mer. C’était une enfant normale jusqu’à sa maladie et que cette « nouvelle république » parte dans tous les sens. D’ailleurs en France, la Marianne désigne la République, c’est pour cela que j’ai appelé mon personnage Marianne.

 

 

Votre tante était-elle réellement folle comme vous le décrivez dans votre roman, au point d’être tenue en laisse, ou bien est-ce de la fiction ?

C’est bien vrai que ma tante a eu une méningite mais son destin ne ressemble pas à celui que je lui réserve dans le roman. C’est très exagéré car c’est un personnage de fiction. C’est comme dans n’importe quel roman. On prend des éléments qui appartiennent à la réalité et on les adapte. Il y a des éléments du roman précédent, Les Exilés de la mémoire, qui ont un rapport avec celui-ci, mais j’ai même oublié s’ils avaient existé ou si je les ai complètement inventés.

 

 

En France, on compare ce roman à Cent ans de solitude de Garcia Marquez. Mais vous dites que vous n’aimez pas la littérature latino-américaine préférant la littérature française ou britannique…

La comparaison avec Garcia Marquez est bien trop grande pour moi, mais en fait je n’en suis pas fier parce que mon roman ne ressemble pas au sien. Le lieu de l’action ressemble au sien puisque la jungle est la même partout mais nos romans ne sont pas les mêmes. Lui, il fait du réalisme magique et moi je fais du réalisme.

 

 

J’ai lu dans la presse espagnole que vous aviez des méthodes bien à vous pour écrire : vous êtes pieds nus, travaillez très tôt le matin, en écoutant de la musique, en particulier du jazz ou de la musique irlandaise. Est-ce que ce sont elles qui vous inspirent cette prose si particulière ?

J’ai toujours un ou deux disques que j’écoute de façon obsessionnelle pendant que j’écris un roman. Avec La Dernière heure du dernier jour, j’écoutais deux CD du saxophoniste John Coltrane de façon permanente. J’ai fait un plagiat basé sur un solo de saxo de John Coltrane sui se déploie au fur et à mesure. J’ai voulu reproduire cette structure dans mon roman. Ce n’est peut-être pas évident pour le lecteur mais pour moi, c’est évident.

 

 

Comment cela se traduit-il ?

Ce qui m’intéresse le plus dans mes romans c’est de rendre perceptible la musicalité de mes textes. Je m’intéresse beaucoup au son, comment les mots résonnent. Ca me fait très plaisir quand on me dit que l’on lit mon roman à voix haute et que ça sonne bien. C’est peut-être très technique mais la façon dont se déploie une histoire à l’intérieur d’un roman ressemble énormément aux solos musicaux. Il y a quelque chose qui germe dans un roman de façon improvisée comme c’est le cas dans le jazz.

 

 

Vous dites que vous mettez des mois à écrire un roman. Combien de temps a duré l’écriture de La Dernière heure du dernier jour et surtout comment avez-vous procédé ?

Quand j’écris un roman, je n’ai pas recours à l’inspiration mais en une certaine confiance en moi. Pendant un an j’écris de façon libre sans vraiment savoir où je vais. Je pense à l’histoire de ce roman toute la journée. Et au bout de quelques mois, j’aperçois le chemin qu’il va prendre. Si pendant la journée, il y a des nœuds de la narration que je ne parviens pas à défaire, j’y parviens finalement soit sous la douche soit en faisant un tour en vélo. Je ne prends jamais ma douche avant d’avoir terminé ma journée d’écriture parce que sinon je sens que je suis trop éveillé. Quand je prends ma douche à 19 heures, je suis content : ça veut dire que j’ai bien travaillé. Je commence à écrire à 4h30 du matin.

 

 

Votre famille comme celle du narrateur s’est installée au Mexique depuis les années 40 pour faire une grande exploitation de café. Elle a employé les autochtones pour travailler. Or, le narrateur a l’impression que ce ne sont pas les Espagnols qui dominent mais les Mexicains. Vous n’avez pas l’impression que c’est paradoxal ?

Ce n’est pas paradoxal parce que lorsque l’on vit dans le monde indigène, on voit bien qu’il y a une domination de l’homme blanc. Mais ce n’est qu’une apparence parce que si l’Espagnol domine à un moment donné, l’Indien habite sur ces terres depuis des siècles et continueront d’y habiter encore et encore alors que l’Espagnol n’est que de passage. Le problème que pose mon roman c’est celui de la confrontation entre deux clans ennemis : les Indiens et les Blancs. Les Espagnols voulaient aider les Indiens mais ne se sont pas posé la question de savoir comment le faire. Les indigènes se sentaient exploités et ne parvenaient pas à percevoir l’aide qu’on venait leur proposer. En cela c’est un paradoxe dans la mesure où ces Espagnols qui débarquaient étaient de gauche, communistes, avec l’intention d’aider les autres et finalement ils ont été perçus comme des exploiteurs. Ca se réduit donc à une incompréhension totale de ces deux mondes.

 

 

Vous vivez à Barcelone depuis 2005. Avez-vous vécu cet emménagement comme un retour aux origines ou comme un « nouvel » exil ?

Bien sûr ça a un rapport avec mes origines puisque je suis moitié mexicain et moitié catalan. Mais la Barcelone de ma famille ne m’a jamais plu, elle me gêne. Mais j’aime la Barcelone de mes enfants, ma Barcelone actuelle. Je crois que les enfants permettent d’adoucir cet exil. Nous appartenons au territoire que nos enfants habitent. Désormais, ma vie est à Barcelone. Je me sens complètement espagnol grâce à mes enfants. D’ailleurs, nous vivons beaucoup mieux à Barcelone qu’au Mexique. Comme ma femme est française et que je suis d’origine espagnole, nous pensions qu’il serait mieux d’habiter en Europe. Le Mexique est un pays complexe et je voudrais qu’il soit un lieu magique pour mes enfants, c’est pourquoi nous y allons chaque été en vacances. C’est la vie que j’aurais aimé avoir : un enfant barcelonais passant ses vacances à la Portuguesa dans la jungle mexicaine.

 

 

Vous dites que vous êtes très superstitieux et par conséquent vous ne voulez pas parler de votre prochain roman, cela dit, le narrateur de La Dernière heure du dernier jour évoque un livre en cours d’écriture se passant à Dublin. Est-ce le cas ?

Ce livre est en cours d’écriture effectivement. J’ai commencé à l’écrire avant Les Exilés de la mémoire. Mais le sujet des Exilés est arrivé de façon si fracassante que j’ai dû interrompre l’écriture de ce roman. Après avoir fini ce roman, je me suis remis sur le texte se passant à Dublin mais j’ai de nouveau laissé le manuscrit pour entamer l’écriture de La Dernière heure du dernier jour. Il y a encore un rapport avec les deux romans sur l’exil. Ce sera le troisième volet qui s’adresse aux exilés qui rentrent en Espagne, comme moi.

 


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25 septembre 2008 4 25 /09 /septembre /2008 00:22


Parfois, on est tellement bien auprès de certains personnages, que l’on a du mal à les quitter tant ils nous ont touchés, émus… Le premier roman de Brian Leung appartient à cette catégorie. Les Hommes perdus est un livre que je n’ai pas eu envie de lâcher et que j’ai lu avec lenteur, savourant chaque page. L’écriture est simple et sobre révélant les voix de Xin et de son fils Western avec beaucoup de justesse.

Xin et Western ont une histoire commune… mais définitivement passée. Alors qu’il a huit ans, Western voit sa mère mourir et son père l’abandonner parce qu’il n’a pas la force de s’occuper de lui. Xin se réfugie pour quelque temps, pense-t-il, en Chine son pays d’origine, en laissant son fils entre de bonnes mains : la sœur de son épouse. Mais les années passent et après vingt-cinq ans d’absence, il se manifeste en envoyant une lettre à Western, lui proposant de partir ensemble en Chine, comme il le lui avait promis, autrefois. Les années ont passé. Il est trop tard. Western n’est plus le petit garçon qui croyait en son père, mais un adulte, plein de rancœur, qui a changé de nom, et ne se sent en rien chinois. Pourtant, il accepte l’offre.

 

Xin tient à ce voyage même s’il sait que ce retour aux origines sera difficile et douloureux : il a des révélations à faire à son fils. D’abord, alors qu’ils se retrouvent à peine, Xin se sait condamner, un an de répit, tout au plus… Comment dire à son enfant qu’il a abandonné quand il avait le plus besoin d’un père, qu’il va le quitter une nouvelle fois, de façon définitive. Ensuite, il souhaite raconter à son fils les conditions tragiques de sa procréation. Il détient une lettre écrite par sa femme mettant fin au suspense mais il n’a jamais osé l’ouvrir préférant la laisser en héritage à Western…

 

De son côté, Western s’est toujours senti abandonné au point de ne pas parvenir à s’attacher à quiconque si ce n’est à ses parents d’adoption… et à un homme, plus âgé que lui, avec qui il a entretenu une relation profonde mais platonique. Parce que son père l’a quitté et n’a pas respecté sa parole, Western n’a plus confiance en l’autre, préférant vivre seul.

 

Chapitre après chapitre, ces « hommes perdus » se retranchent derrière leurs a priori … Leurs échanges révèlent une incompréhension due au sentiment de honte du père et à la rancœur du fils. Toutefois, à force de discussions douloureuses, de malentendus levés et de concessions mutuelles, les deux hommes vont faire un pas l’un vers l’autre. Une phrase résume parfaitement leur problématique : « Il (le père) est venu me chercher au bout de 25 ans en s’attendant à rencontrer un petit garçon, et je me suis pointé avec l’espoir d’être resté un petit garçon. Mais il est évident qu’avant de pouvoir redevenir un père et un fils, nous devons d’abord nous traiter en hommes ».

 

C’est grâce à leur voyage à travers la Chine que les deux hommes se rapprochent doucement. La Chine est le pays de Xin. Il y est né, y a grandi avant de fuir le communisme avec ses parents. Sa famille vit encore à Canton. C’est donc une Chine moderne qui se révèle sous ses yeux, une Chine aux us et coutumes bien différentes de ceux des Etats-Unis où il a refait sa vie. Description de paysages mornes, à l’image des deux protagonistes ; de mets plus ou moins étranges… Père et fils s’interrogent sur cette Chine qu’ils ont voulu traverser ensemble. Si Xin a souhaité faire de son petit garçon un Chinois comme lui, le pays qu’il retrouve est bien différent de ses souvenirs. Quant à Western, il se sent complètement étranger à la Chine qui symbolise la promesse non tenue…

 

Les Hommes perdus est un livre magnifique sur les relations filiales, l’incapacité de communiquer et l’engagement, traité avec beaucoup de pudeur, de retenue et une infinie tendresse.

 

 

 
Les Hommes perdus,
Brian Leung, traduit par Hélène Fournier, Albin Michel, 351 pages, 21,50 euros



 

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20 septembre 2008 6 20 /09 /septembre /2008 14:39

Il arrive parfois que l’on fantasme sur un livre, que l’on invente son histoire, son atmosphère. Et que, une fois le livre ouvert, celui-ci n’ait n’a pas grand rapport avec ce que l’on avait imaginé. On est déçu… Pourtant, le livre n’est en rien responsable de notre horizon d’attente.

Avant de lire Le Chemin parcouru d’Ishmael Beah, j’avais mille références en tête : le magnifique et terrifiant Allah n’est pas obligé d’Amadou Kourouma, Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala, American Darling de Russel Banks, etc. Tous ces romans sont de pures fictions, imaginées par des auteurs plus ou moins étrangers à ces destins d’enfants soldats, embrigadés de force par l’armée africaine ou les rebelles. A chaque fois, l’écriture magnifie, transcende les actes barbares.

Rien de tel avec Le Chemin parcouru car nous n’avons pas affaire à un roman mais à un témoignage, celui d’un jeune homme, né en 1980, au Sierra Leone. Il raconte son parcours d’enfant soldat, sauvé par l’Unicef qui le recueille et lui trouve une famille d’adoption.

Ces mémoires n’ont pas une vocation littéraire. Ce n’est pas mal écrit. Mais ici, l’écriture ne présente aucun intérêt. Ce qui importe c’est le chemin parcouru de cet enfant qui, après avoir connu l’enfer de la guerre, après avoir tué des hommes, des femmes et des enfants, apprend à se pardonner et à se reconstruire.

Ce livre est intéressant car au lieu de nous présenter une vision apocalyptique de la guerre et du destin des enfants soldats, il montre également le travail effectué par l’Unicef. Certains prétendront que c’est plein de bons sentiments, que l’on est dans l’angélisme. Je ne crois pas. C’est un témoignage, pas de la littérature, qui propose une réflexion sur le devenir des ces enfants livrés à eux-mêmes, une fois la guerre finie.



Le Chemin parcouru – Mémoires d’un enfant soldat, Ishmael Beah, Presses de la Cité, 268 p., 18,70 €


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17 septembre 2008 3 17 /09 /septembre /2008 12:21

Le choix d’une lecture n’est jamais tout à fait le fruit du hasard. On se laisse guider par un ami, une critique, et me concernant le catalogue d’une maison d’édition. C’est ainsi que je me suis retrouvée à lire un roman que je n’aurais jamais eu l’idée d’ouvrir si je n’avais pas une grande confiance en la collection « Lot 49 » aux éditions du Cherche Midi. Le roman s’intitule La Confrérie des mutilés de Brian Evenson.


Arnaud Hofmarcher et Christophe Claro dirigent cette collection baptisée ainsi en hommage au roman de Thomas Pynchon, Vente à la criée du Lot 49. Les deux hommes ont l’« ambition de publier les écrivains d’aujourd’hui qui (…) bouleversent à leur tour la donne du langage et l’équilibre chimiquement instable de la narration ».


Je lis peu de thrillers, connais à peine l’œuvre de Stephen King, suis assez hermétique aux ambiances diaboliques… Et pourtant, Brian Evenson, qui a écrit un véritable roman d’horreur, m’a littéralement sidérée. Je suis sortie tremblante de cette lecture effroyablement drôle et cruelle. La Confrérie des mutilés, comme son nom l’indique, est une société secrète constituée de personnes mutilées volontairement, en hommage à Dieu. Kine, le personnage central et véritable héros, n’aurait jamais dû entrer dans cette secte où il n’a aucune foi en l’Evangile et ses commandements mais voilà que lors d’un règlement de comptes, un homme, armé d’un hachoir, lui tranche la main. Avec une grande maîtrise, il cautérise lui-même sa plaie. Cet exploit lui vaut d’être contacté par la Confrérie des mutilés, admirative et persuadée qu’il est l’Elu qu’elle attend et qui saura mener à bien l’enquête sur la mort de leur chef.


Contre sa volonté, Kine se trouve mêlé à une affaire dangereuse, à la limite de l’absurdité. Pour pouvoir enquêter, rencontrer des témoins, le détective doit accepter de se fondre dans cette secte et d’être mutilé. S’il refuse, les membres se chargeront de l’amputer à ses dépends.


Les scènes d’horreur, très visuelles, font frémir… On pense par exemple à la scène de strip-tease où une jeune femme se déshabille peu à peu, arrachant ses différents membres mutilés. Le lecteur, au bord de l’angoisse, ne peut s’empêcher de rire d’effroi.


On reconnaît l’univers absurde du Château de Kafka dans cette Confrérie où Kine ne comprend pas ce qu’il fait là, n’obtient que des réponses énigmatiques, entouré par des individus qui portent tous le même prénom biblique : Paul.


Le lecteur, perdu, ne peut s’empêcher de rire s’imaginant ces mutilés qui se déplacent comme des singes en prenant appui sur leurs moignons, ces répliques absurdes et répugnantes… et demeure troublé devant cette banalité de l’horreur où la rédemption n’existe pas.

 

 

La Confrérie des Mutilés, Brian Evenson, traduit de l’américain par Françoise Smith, Le Cherche midi, coll. Lot 49, 219 p.

 

Sortie en librairie le 25 septembre


 



 

Retrouvez également deux entretiens avec Brien Evenson chez Bartleby et Fric-Frac Club

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