Je lis en ce moment deux OLNI, comprenez Objets littéraires non identifiés. Ils ne se ressemblent pas, appartiennent à des époques différentes, pourtant, ils présentent de telles similitudes que j’avais envie de les évoquer en même temps. Il s’agit de Rome, regards de l’allemand Rolf Dieter Brinkmann et de L’Ecorcobaliseur de Bérengère Cournut.
Commençons par L’Ecorcobaliseur. C’est un récit maritime, onirique, philosophique (la liste est encore longue, j’y reviendrai…) qui s’inspire d’un poème de Henri Michaux, « Le Grand Combat » :
Il l'emparouille te l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et vous regarde,
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.
Précisément, l’Ecorcobaliseur a disparu après avoir tranché la tête de son grand frère. Leur sœur part à sa recherche, en quête de ce Grand Secret.
A partir de ce poème de Michaux, Bérengère Cournut a imaginé la suite de ce grand combat dans une prose poétique en jouant avec de nombreux genres littéraires (le polar, le roman d’aventure, etc). Des dessins du surréaliste Victor Brauner précèdent chacune des quatre parties. Il se plaît à créer des êtres hybrides et inquiétants qui frappent notre imaginaire.
Pour lire L’Ecorcobaliseur, il faut être dans de bonnes dispositions pour se prêter à ce voyage étrange et onirique. Il faut être prêt à se débarrasser de ses a priori, de ses représentations mentales et pénétrer dans le pur fantasme. Si vous réussissez à embarquer avec ces êtres étranges, vous ne le regretterez pas car en plus de découvrir de nouvelles contrées, vous voyagerez au bout de vous-même.
Rolf Dieter Brinkmann est un écrivain allemand peu connu en France. Gallimard a publié l’un de ses romans, La Lumière assombrit les feuilles, en 1971. Aujourd’hui, les éditions Quidam publient un livre très étrange et passionnant : Rome, Regards qui est l’assemblage de trois cahiers dans lesquels l’auteur, qui a séjourné à Rome, à la Villa Massimo (pendant allemand de la Villa Médicis), inscrit ses impressions, colle des cartes postales érotiques, des cartes, des plans, sa correspondance avec sa femme, ses amis…
Je n’avais jusqu’alors jamais lu un livre de la sorte : Rolf Dieter Brinkmann qui ne pensait pas publier son journal intime, inscrit sans fards toutes ses impressions sur sa vie à la Villa, ses congénères qu’il ne supporte pas, les vestiges romains qu’il trouve ennuyeux, ses lectures…
On lit ces textes terriblement durs sur sa condition d’auteur sans le sou qui se retrouve dans une situation privilégiée puisqu’il est invité à la Villa et rétribué pour son séjour ! Mais cette expérience ne lui sied guère car il se sent étranger dans une ville antique, loin de toute modernité, au milieu d’êtres superficiels et arrivistes. On regarde également les photos, en noir et blanc, de Rome, de pin-up. Multitude de collages qui prennent sens grâce au texte et vice versa.
Contrairement à L’Ecorcobaliseur, on n’est pas invité à voyager dans des contrées exotiques, mais à séjourner un an dans une ville puante, sale, à partager la solitude d’un créateur hors norme. Il y a une véritable recherche sur la langue, la création artistique…
Parce que ces deux textes méritent plus que ces modestes lignes, je reviendrai bientôt vous parler de ces Objets littéraires non identifiés…
L’Ecorcobaliseur, Bérengère Cournut, Attila, 190 p., 16 €
Rome, Regards, Rolf Dieter Brinkmann, traduit de l’allemand par Martine Rémon, 456 p., 30 € (Je vous recommande de consulter la revue Contre-feux qui consacre plusieurs dossiers à ce livre)