Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Lalettrine.com

Anne-Sophie Demonchy
Des livres, des films, des expos et bien plus encore...

 

Mail : annesophiedemonchy [a] lalettrine.fr

Twitter : @asdemonchy

Mon CV : annesophiedemonchy.com

 

 

768 000  lecteurs et
plus de 230 livres chroniqués
depuis le 21 août 2006

follow-me-twitter.png

Recherche

Ma bibliothèque

Mes livres sur Babelio.com

Archives

Infos







logo-lettrine-negre-litteraire.jpg

 

 

classement-lettrine.jpg

 





16 octobre 2008 4 16 /10 /octobre /2008 11:31
Je suis très sensible aux beaux livres : comme les enfants, j’aime les belles couvertures, les illustrations, la qualité du papier.  Que voulez-vous, j’ai gardé une âme enfantine… Si l’on avance à grands pas vers la publication numérique, il est encore des éditeurs qui ont envie de publier des livres avec des formats particuliers, mêlant textes et images.

Je lis en ce moment deux OLNI, comprenez Objets littéraires non identifiés. Ils ne se ressemblent pas, appartiennent à des époques différentes, pourtant, ils présentent de telles similitudes que j’avais envie de les évoquer en même temps. Il s’agit de Rome, regards de l’allemand Rolf Dieter Brinkmann et de L’Ecorcobaliseur de Bérengère Cournut.

Commençons par L’Ecorcobaliseur. C’est un récit maritime, onirique, philosophique (la liste est encore longue, j’y reviendrai…) qui s’inspire d’un poème de Henri Michaux, « Le Grand Combat » :

           

Il l'emparouille te l'endosque contre terre ;

Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;

Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;

Il le tocarde et le marmine,

Le manage rape à ri et ripe à ra.

Enfin il l'écorcobalisse.

L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.

C'en sera bientôt fini de lui ;

Il se reprise et s'emmargine... mais en vain

Le cerceau tombe qui a tant roulé.

Abrah ! Abrah ! Abrah !

Le pied a failli !

Le bras a cassé !

Le sang a coulé !

Fouille, fouille, fouille

Dans la marmite de son ventre est un grand secret

Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;

On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne

Et vous regarde,

On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

 

Précisément, l’Ecorcobaliseur a disparu après avoir tranché la tête de son grand frère. Leur sœur part à sa recherche, en quête de ce Grand Secret.

 

A partir de ce poème de Michaux, Bérengère Cournut a imaginé la suite de ce grand combat dans une prose poétique en jouant avec de nombreux genres littéraires (le polar, le roman d’aventure, etc). Des dessins du surréaliste Victor Brauner précèdent chacune des quatre parties. Il se plaît à créer des êtres hybrides et inquiétants qui frappent notre imaginaire.

Pour lire L’Ecorcobaliseur, il faut être dans de bonnes dispositions pour se prêter à ce voyage étrange et onirique. Il faut être prêt à se débarrasser de ses a priori, de ses représentations mentales et pénétrer dans le pur fantasme. Si vous réussissez à embarquer avec ces êtres étranges, vous ne le regretterez pas car en plus de découvrir de nouvelles contrées, vous voyagerez au bout de vous-même.

 

Rolf Dieter Brinkmann est un écrivain allemand peu connu en France. Gallimard a publié l’un de ses romans, La Lumière assombrit les feuilles, en 1971. Aujourd’hui, les éditions Quidam publient un livre très étrange et passionnant : Rome, Regards qui est l’assemblage de trois cahiers dans lesquels l’auteur, qui a séjourné à Rome, à la Villa Massimo (pendant allemand de la Villa Médicis), inscrit ses impressions, colle des cartes postales érotiques, des cartes, des plans, sa correspondance avec sa femme, ses amis…

 

Je n’avais jusqu’alors jamais lu un livre de la sorte : Rolf Dieter Brinkmann qui ne pensait pas publier son journal intime, inscrit sans fards toutes ses impressions sur sa vie à la Villa, ses congénères qu’il ne supporte pas, les vestiges romains qu’il trouve ennuyeux, ses lectures…

 

On lit ces textes terriblement durs sur sa condition d’auteur sans le sou qui se retrouve dans une situation privilégiée puisqu’il est invité à la Villa et rétribué pour son séjour ! Mais cette expérience ne lui sied guère car il se sent étranger dans une ville antique, loin de toute modernité, au milieu d’êtres superficiels et arrivistes. On regarde également les photos, en noir et blanc, de Rome, de pin-up. Multitude de collages qui prennent sens grâce au texte et vice versa. 

 

Contrairement à L’Ecorcobaliseur, on n’est pas invité à voyager dans des contrées exotiques, mais à séjourner un an dans une ville puante, sale, à partager la solitude d’un créateur hors norme. Il y a une véritable recherche sur la langue, la création artistique…

 

Parce que ces deux textes méritent plus que ces modestes lignes, je reviendrai bientôt vous parler de ces Objets littéraires non identifiés…

 

 

L’Ecorcobaliseur, Bérengère Cournut, Attila, 190 p., 16 €

 


Rome, Regards, Rolf Dieter Brinkmann, traduit de l’allemand par Martine Rémon, 456 p., 30 € (Je vous recommande de  consulter la revue Contre-feux qui consacre plusieurs dossiers à ce livre)



 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
22 septembre 2008 1 22 /09 /septembre /2008 00:08

Cet été, je suis partie en vacances avec Les Aventures de Tom Sawyer et de Huckleberry Finn de Mark Twain. Vous pensez que je suis retombée en enfance, que je me berce de doux souvenirs, avec ce malheureux Tom maltraité par sa tante Polly, amoureux de Becky et jouant au pirate au lieu de faire ses devoirs. Pas du tout ! Grâce à la nouvelle traduction, intégrale cette fois, des Aventures de Tom et de Huck, par le traducteur Bernard Hoepffner, plus moderne, plus drôle, plus poétique… On redécouvre deux œuvres classiques que l’on pensait pourtant connaître par cœur.

 

Sur Bibliobs, Bernard Hoepffner a répondu à une longue interview expliquant la façon dont il a mené son travail et surtout sa conception de la traduction.


Les Aventures de Huckleberry Finn est un classique lu par les Américains au même titre que les pièces de Shakespeare. Or, en France, Mark Twain est étiqueté auteur pour enfants… Tout simplement parce que nous ne disposions jusqu’alors que de traductions édulcorées, en bon français, épurées des passages posant des problèmes éthiques. Si Les Aventures de Tom est un roman assez fluide, naïf, distrayant, Les Aventures de Huck est écrit « dans une langue qui reste sidérante. Comme l'Ulysse de Joyce. Les anglophones qui le lisent aujourd'hui sont aussi tourneboulés que ceux qui le lisaient au début du siècle dernier. Comme Don Quichotte, c'est un de ces classiques toujours étonnants où l'être humain qui écrit un livre rejoint celui qu'on est tous les jours. Proust, c'est très bien, mais ce n'est pas ça: il ne reste que d'un côté. Au fond, Huck Finn est un livre que j'aurais voulu écrire... Et j'ai compris que je pouvais « l'écrire » en français (avec tous les guillemets possibles et imaginables, bien sûr) ».


Selon Bernard Hoepffner une nouvelle traduction de ces deux romans était nécessaire car les différentes traductions proposées jusqu’alors sont vieilles, complètement obsolètes car les termes argotiques utilisés hier ne sont plus compréhensibles aujourd’hui et surtout elles étaient transcrites dans un langage châtié très loin de l’esprit des Aventures de Huck racontées par Huck lui-même, un jeune orphelin illettré et sans éducation !


Mais Bernard Hoepffner a une autre explication : « Nos manières de traduire évoluent aussi. On
prend beaucoup plus de risques aujourd'hui.  Les onze traductions de Huck Finn existantes - la dernière a une trentaine d'années - sont très timides : généralement, quand un esclave s'exprime, il parle petit nègre dans sa première phrase, puis comme tout le monde. Une erreur classique... Alors que ce n'est pas du tout le cas chez Twain ! D'où la difficulté de le traduire... Son langage est si naturel, et si inventif ! Quel équivalent avons-nous d'un noir du Mississipi de 1870 ? On ne peut pas le faire parler comme un Maghrébin tout de même... On est donc obligé d'inventer... » C’est précisément dans ce cas-là qu’intervient le travail du traducteur qui ne se contente pas de transcrire l’œuvre en français : il doit d’une certaine manière être infidèle au texte pour ne pas le
trahir ! C’est donc un travail d’ « écrivain qui n'a pas à affronter la page blanche » d’ailleurs, « il n'est pas question de faire un exercice de réécriture ou d'adaptation ». Et Bernard Hoepffner de conclure « Je déteste que l'on me dise : « bravo, c'est tellement bien traduit qu'on dirait que ça a été écrit en français ! » Pour moi, c'est une insulte ».


Vous retrouverez l’interview complète sur Bibliobs : vous découvrirez notamment les échanges des traducteurs avec les éditeurs qui souhaitent avoir des textes policés, dans un français pur, correct…

 

Et pour avoir un aperçu précis du travail de traduction de Bernard Hopffner, lisez le long billet sur Fric-Frac club.

 

 

 

Les Aventures de Tom Sawyer et Les Aventures de Huckleberry Finn, Mark Twain, Tristram, traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner, 316 p., 21 euros, et 448 p., 24 euros.


Partager cet article
Repost0
11 août 2008 1 11 /08 /août /2008 13:24

Je profite des vacances et par conséquent du peu d’actualités dans le milieu éditorial pour consacrer les prochains billets de mon blog à quelques lectures. Mais ne vous en faites pas ( !) d’ici quelques jours, vous serez abreuvés ici et ailleurs de débats sur la rentrée littéraire ainsi que sur le Festival America.

D’ici là, je voudrais vous faire part d’une découverte qui m’a enchantée : celle d’un auteur suédois, Sture Dahlström, mort il y a déjà sept ans. Il fut traduit en français pour la première fois en 2006 seulement, au Serpent à Plumes avec un recueil : Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline. La parution du Grand blondino en 2007 a permis de faire découvrir Sture Dahlström à un plus large public. En Suède, l’auteur est bien plus connu.

Sture Dahlström est un auteur qui a un univers très spécial. La musique est sa principale source d’inspiration et pour cause : très jeune, il fut initié à la musique, préférant devenir guitariste dans un groupe de jazz plutôt que de finir ses études. Il vit de voyages à travers les continents européen et américain, écrit, joue dans des groupes de musique, tient un magasin de musique… Ses textes sont fortement influencés par les auteurs américains de la Beat generation, Kafka (pour son étrangeté), Rabelais (pour sa fantaisie, sa trivialité et son humour). Il écrit son premier roman en 1962 s’inscrivant dans une veine fantaisiste qu’il qualifie lui-même de « fantasticated autobiography ».

Dans les deux livres pour le moment traduits en français, on note la présence d’un « je » omniprésent et un goût certain pour la fantaisie. Dans Je pense souvent à Louis-Ferdinand Céline, le narrateur aide l’écrivain français à se réfugier en Suède, lui qui est recherché par les RG français. En échange, Céline lui donne quelques conseils : « c’est lui qui m’enseigna le mind-flow [flux de pensée]… à nourrir le texte en puisant au plus profond du subconscient… à déconnecter le contrôle du surmoi… ne vous occupez pas des signes de ponctuation, monsieur Spjut, contentez-vous de points de suspension… Le rythme vous aide à vous orienter en vous-même… Cultivate your madness… il faut transposer la réalité… l’amener sur un plan situé entre le rêve et la réalité… entre vérité et mensonge… »


16 écrits de Sture Dahlström restent encore inédits....


Dans ces prochains jours, je vous parlerai plus précisément de Je pense souvent à Louis Ferdinand Céline et Le Grand Blondino.

Partager cet article
Repost0
7 août 2008 4 07 /08 /août /2008 02:22

Dimanche, l’écrivain russe, Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature, est mort à l’âge de 89 ans. Il consacra sa vie à l’écriture, moyen pour lui de dénoncer les horreurs perpétrées par le régime communiste.

 

Pour rendre hommage à l’auteur de l’Archipel du Goulag et du Pavillon des Cancéreux, plusieurs émissions lui sont consacrées. Une, en particulier, a retenu mon attention. C’était hier soir, sur Arte. Le programme était composé de deux parties : la première était consacrée au rôle de Soljenitsyne dans l’Histoire de la Russie, la seconde était centrée sur l’écrivain. C’est évidemment cette partie qui m’a le plus intéressée.

 

Né en 1918, Alexandre Soljenitsyne appartient à une famille paysanne plutôt aisée. Sa mère lui donne une éducation religieuse qu’il doit cacher lorsqu’il entre à l’école, ses camarades – communistes. Pourtant, vers 17 ans, il adhère aux jeunesses communistes et perd la foi. Il se tourne vers des études scientifiques, parce qu’à cette époque, en Russie, il n’est pas bien vu d’étudier les lettres et les arts.

 

En 1942, il est nommé lieutenant pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est alors arrêté en février 1945 par le contre-espionnage et conduit à l’archipel du Goulag. Il connaît l’enfermement, la misère et la violence. Dès lors, il se tourne de nouveau vers Dieu et comprend qu’il est « en relation avec lui ». Avant, selon lui, son « âme était vide »… Le garçon qu’il était à cette époque lui déplaisait, tout comme ses écrits qu’il juge sans intérêt. Au Goulag, il traverse une crise morale intense. Il écrit énormément, dans des petits carnets aux pages vertes, avec une écriture quasi illisible, à l’abri des surveillants… Il cache ses écrits derrière des dictionnaires qu’il lit quotidiennement et y découvre des mots rares, oubliés, qu’il compte réinjectés dans ses livres.

 

En 1953, il est libéré mais tombe gravement malade : il est atteint d’un cancer et est interné dans un hôpital de Tachkent. Cette expérience lui inspirera Le Pavillon des Cancéreux.

 

Si les mots sont importants, Soljenitsyne estime que la forme n’est pas un but en soi mais doit être au service du message à délivrer. Pour écrire La Roue rouge, par exemple, il a eu recours à la métaphore de l’arbre, de la branche et du nœud. L’auteur attache une importance capitale aux mots. Il en invente certains, en déforment d’autres, jouent avec les racines, retrouvent des expressions archaïques ou régionales… Les traducteurs sont souvent déconcertés devant certains termes mais Soljenitsyne les met à l’aise en leur permettant toutes sortes d’inventions.

 

Le documentaire était intéressant mais un peu court : j’aurais aimé entrer davantage dans l’atelier de l’écrivain, savoir plus précisément comment il établissait ses plans complexes, ses fameux nœuds… Je ne doute pas que de nombreux ouvrages paraîtront dans les mois voire les semaines à venir !

 

 

 

Partager cet article
Repost0
15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 15:59

Dernièrement, j’évoquais le premier roman d’un jeune garçon de 4ème, Boris Bergmann. Je lui reprochai son arrogance et surtout son manque de maîtrise du point de vue stylistique, défaut qui peut évidemment se comprendre compte tenu de son âge. Mais voilà que depuis quelques semaines un autre roman, écrit par un garçon plus expérimenté et ayant le double de l’âge du jeune Boris, crée la polémique : il s’agit de Je reviens de mourir d’Antoine Dole. J’avais lu ce livre au moment de sa parution et avais été emballée non seulement par l’histoire –celle de deux jeunes filles vivant des expériences amoureuses et surtout sexuelles assez désastreuses, mais aussi par son mode de narration. Malgré tout, j’avais été un peu surprise que ce roman soit classé dans le rayon jeunesse, rayon réservé pour moi aux enfants de primaire et de 6ème-4ème… Après quatorze ans, je crois que les adolescents s’intéressent à davantage de sujets et surtout apprécient les journaux intimes de jeunes gens de leur âge, abordant des thématiques qui les fascinent et leur font peur à la fois comme la drogue, l’amour et son corollaire le sexe… Nombreux sont les adolescents qui ont lu avec une véritable passion des journaux (d’ailleurs crées de toutes pièces par les éditeurs) comme L’Herbe bleue ou Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...

Boris Bergmann dans Viens là que je te tue ma belle aborde aussi ces thématiques : il raconte ses premiers émois, la découverte de l’alcool, de la drogue... Bref, c’est à partir de 14-15 ans environ que les adolescents se posent des questions et essaient de trouver des réponses non pas à l’école auprès de leurs professeurs mais dans les films et les livres. Internet joue également un rôle décisif, en particulier les blogs. Mais l’intérêt d’un livre est qu’on peut le consulter discrètement, à l’abri du regard parental. Je me souviens qu’adolescente, je n’aurais pas voulu que mes parents sachent que je lisais L’Amant ou Le Grand cahier… Ce sont des lectures qui ne sont pas adressées aux « jeunes » lecteurs mais à tous ceux qui ont la maturité pour les lire. Mais comment définit-on un livre destiné à « la jeunesse » ? La plupart du temps, ces livres sont racontés par un narrateur qui à l’âge de la cible visée et qui s’exprime dans une langue susceptible de plaire à celle-ci. Or, des livres comme Je reviens de mourir, si violents soient-ils, sont racontés par de « jeunes » narrateurs. Encore faut-il savoir de quelle tranche d’âge il s’agit. La collection Exprim’ s’adresse aux jeunes de 15 à 25 ans. Evidemment, on s’interroge sur la pertinence d’une telle tranche puisqu’à 25 ans, on n’est plus un adolescent et si l’on se pose encore des questions sur l’amitié, la sexualité, etc. on a une maturité telle que l’on ne considère plus le monde ni la littérature du même œil.

Face aux critiques d’une libraire qui refuse de vendre un livre comme Je reviens de mourir sous prétexte que le livre est un «ramassis de clichés misogynes», et Antoine Dole « est celui qui regarde et qui donne à voir. Une femme fantasme. Victime et salope à la fois», l’équipe de Sarbacane se justifie de ses choix éditoriaux sur le site de Bibliobs en donnant un autre sens à ce terme : « Peut-on se satisfaire du fait que les jeunes, passé l'âge du « roman ado » traditionnel, peinent à trouver des romans qui les excitent ou les remuent autant qu'un film, une série TV ou un CD? C'est la question que nous nous sommes posée lorsque nous avons lancé la collection EXPRIM', en novembre 2006. Dès les premiers romans, il était clair que nous avions affaire à une nouvelle génération d'auteurs : nés avec la culture multimédia, ils voulaient nourrir la littérature d'autres modes d'expression artistique, en l'inscrivant dans son époque. Et à notre idée, ces romans, étant animés d'une « jeunesse » littéraire, toucheraient en priorité les jeunes, lecteurs de demain, lecteurs désireux d'être déroutés.

C'est alors que nous avons réfléchi à l'acception du mot « jeunesse ». Pourquoi, lorsqu'il est accolé au mot « livre », dans l'expression « livre jeunesse », ce mot renvoie-t-il uniquement à l'âge du lectorat, alors que partout ailleurs il est synonyme de renouveau, d'énergie, de désir, de curiosité ?

Peut-être, avons-nous alors songé, faut-il prendre le problème par l'autre bout : au lieu de proposer des romans « pour jeunes », censés les séduire par le choix des thématiques abordées, osons ces romans dont la modernité et l'inventivité entrera en résonance avec la jeunesse, des romans rapides, pleins d'audace, détonants, subversifs.

Nous savons que cette nouvelle acception du mot « jeunesse », ne se référant plus spécifiquement à l'âge du lectorat mais plutôt à un état d'esprit, vient chahuter les frontières actuelles de ce secteur: un adulte curieux de nouvelles formes littéraires sera tout aussi intéressé de découvrir les romans EXPRIM' qu'un grand adolescent ou un jeune adulte. La loi 1949, au vu de cette acception du mot, devient du même coup hors cadre ».



Si l’on considère ainsi la littérature « jeunesse » dans ces conditions, il n’y a plus de problème et le bec est fermé à toutes les critiques. Pourtant nombre de personnes comme moi, qui n’ont plus 20 ans, hélas, ont aimé ces livres et n’ont pas eu l’idée de les trouver en rayon jeunesse, persuadés qu’ils s’adressaient à tous. Passons le problème du contenu de ces livres qui ne sont guère plus choquants que de nombreux films interdits (« seulement ») aux moins de douze ans (je pense aux films de Tarentino notamment, mais il y en a bien d’autres…) et qui pourtant passionnent les adolescents car ils ont une visée cathartique ; le vrai problème, en lisant la réponse de l’équipe de Sarbacane à la libraire me paraît davantage commercial… En réalité, les libraires ne savent où ranger ces livres qui s’adressent à une tranche d’âge nouvelle, pas encore cataloguée… « Le réseau jeunesse ne devrait-il pas être justement, plus que tout autre, le territoire des nouvelles générations ? Est-ce que ce n'est pas justement là que les choses devraient bouger ? Passé quinze ans, un lecteur n'a certes pas besoin d'être «tenu par la main», et il n'est pas question de «garder un œil» sur la jeunesse. En revanche, ne peut-on pas ouvrir un territoire, une zone libre où les jeunes pourront trouver tout un panorama de propositions romanesques excitantes ?

Si on pense le contraire, il faut accepter de reconnaître que les grands ados « ne vont pas en jeunesse », et se dire qu'ils iront se « débrouiller en adulte » tout en sachant que ce n'est pas le cas. Et qu'entre le dernier Nothomb et le prochain Angot, ils pourront bien avoir le sentiment que la littérature est un lieu rigide, sans lien avec le bouillonnement culturel de notre époque. De leur époque ».

Ce dernier argument me paraît très convainquant : les enseignants comme les parents se plaignent du fait que les adolescents préfèrent surfer sur Internet, jouer sur les consoles ou regarder la télévision. La plupart n’aiment pas lire, c’est vrai. Mais nombreux sont ceux qui ne se retrouvent pas dans la littérature qu’on leur propose, souvent d’ailleurs parce qu’ « il ne s’y passe rien » et qu’ils s’ennuient. Or, ces romans proposés par ces éditeurs essaient d’amener les jeunes et moins jeunes à la lecture en leur proposant des textes courts, acérés, violents et littéraires, qui certes ne les font pas rêver mais évoquent leur quotidien, font référence à leur culture, répondent à leurs interrogations.

Si les libraires ne jouent pas le jeu et ne mettent pas en rayon ce type de livres ni ne les recommandent auprès des clients (que je crois nombreux) souhaitant trouver des textes pouvant plaire un jeune réfractaire à la lecture, il sera facile de dire ensuite que cette littérature n’intéresse personne.

Pour poursuivre le débat, retrouvez les billets de
Blandine Longre : là
Partager cet article
Repost0
11 mai 2008 7 11 /05 /mai /2008 13:57

 

La publication posthume d’un roman de Vladimir Nabokov relance le débat sur le respect ou non de la volonté des écrivains de savoir leurs manuscrits détruits après leur mort. Le Monde des Livres, du 9 mai, consacre une grande enquête sur la décision du fils Nabokov d’éditer L'original de Laura : mourir est amusant, roman que l’auteur a écrit au cours des dernières années de sa vie et qui demeura à l’état d’ébauche. Avant de mourir, il demanda à sa femme de détruire son manuscrit se justifiant ainsi : « la tristesse d'une vie interrompue n'est rien par comparaison à la tristesse d'une étude interrompue ». Par souci de perfection, il ne voulait pas rendre publique une œuvre inaboutie. On le comprend… Pourtant, la journaliste du Monde montre que Nabokov, qui écrivait toujours ses ébauches sous forme de fiches, avait une idée très précise de son roman. Jusqu’à sa mort en 1991, Vera Nabokov respecta la volonté de son mari en gardant pour elle les fiches, mais elle ne se résolut pas à les détruire. Dès lors, ce fut au fils Nabokov de porter le poids de l’héritage. Pendant 17 ans, il hésita à publier le texte et finalement il s’y résolut estimant que son père n’aurait pas supporté que l’on supprimât l’un des livres qu’il jugeait indispensable. On ne sait encore quand le livre sera publié mais la décision de Dmitri Nabokov est prise.

Pourtant, ce n’est guère une décision facile à prendre. Max Brod, par exemple, l’ami et exécuteur testamentaire de Kafka ne respecta pas la demande de l’auteur de brûler ses manuscrits, persuadé qu’il n’était guère sérieux. Ainsi, non seulement Max Brod publia les grands romans de Kafka mais en plus il se permit quelques modifications dans l’ordre des chapitres et la ponctuation. Si Max Brod n’avait pas désobéi à son ami, nous n’aurions pas connaissance du Château ni du Procès.

Dans ses Souvenirs désordonnés, l’éditeur, José Corti évoque Sadegh Hedayat, l’auteur de La Chouette aveugle ( José Corti, 1953) : « Pour tracer ces deux cents pages, il fallait être Hedayat ; cela veut dire être un homme qui souffre d’un mal moral sans remède avant d’être un homme qui écrit. Être un homme hanté de démons qui ne se laissent pas prendre au leurre d’un récit… Les démons d’Hedayat n’ont pas lâché la proie pour l’ombre. La Chouette écrite, ils ont continué à l’habiter jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il en vienne à demander à la mort de l’exorciser… Ce qui donne à son geste une dimension unique, c’est que, s’étant soigneusement calfeutré chez soi, il a anéanti par le feu la totalité de ses manuscrits avant de s’étendre pour mourir ». Et de conclure que les écrivains comme Kafka sont des hypocrites : au lieu de brûler eux-mêmes leurs manuscrits inachevés pour être certains qu’il ne restera pas de traces de ces ébauches, ils les confient à des proches qui, un jour ou l’autre, seront tentés de les publier.

Partager cet article
Repost0
22 février 2008 5 22 /02 /février /2008 19:09

vargas.gifA l’occasion du téléfilm inspiré de Sous les vents de Neptune diffusé en deux parties vendredi dernier et ce soir sur France 2, Fred Vergas a répondu à une interview très intéressante dans le Télérama du 6 février. Autant vous le dire tout de suite : j’aime beaucoup Fred Vargas, ses polars comme sa personnalité. Je l’ai "rencontrée" il y a quelques années, quand j’étais stagiaire au Figaro littéraire, lors de l’anniversaire des 10 ans de la maison d’édition Viviane Hamy. Je n’ai certainement pas eu l’audace de lui dire plus d’un mot au moment du cocktail, mais j’en garde un souvenir amusé.

 

A l’instar de nombreux auteurs à succès, Fred Vargas ne se considère pas comme un « écrivain ». D’ailleurs, elle a un rapport à l’écriture assez distancié : loin d’écrire tous les jours sinon régulièrement, elle écrit au gré de ses envies ou de ses impératifs. Avant d’être en disponibilité, elle se consacrait à ses bouquins uniquement pendant les vacances scolaires. D’ailleurs, elle considère l’écriture comme une « échappée ».

 

Selon elle, les « perpétuent la tradition des contes et des légendes. Ce sont des livres fondés sur l’inconscient collectif : des histoires dont nous avons besoin pour vivre (…). Après une série de fausses pistes, le héros va triompher. Nous sommes dans un processus de catharsis pour dénouer l’angoisse de la mort. C’est à cela que servent les contes et les romans policiers ». Je trouve que sa définition est très juste. Dès l’enfance, nous aimons parler de la mort, nous raconter des histoires pour la conjurer.

 

Je fais parfois lire ses livres à mes élèves, qu’ils soient en collège ou en lycée, en « lecture plaisir » et ça fonctionne toujours très bien parce qu’ils adhèrent à ces personnages, souvent en bande, déjantés ainsi qu’aux intrigues simples mais qui font durer le suspens jusqu’à la dernière page.

 

 

Partager cet article
Repost0
18 février 2008 1 18 /02 /février /2008 22:35

Sans-titre-1-copie-2.gifJuste un petit message ce soir, un peu inopiné, non préparé… mais je ne puis passer sous silence une nouvelle disparition. Ces trois derniers mois auront été funestes : après Julien Gracq, c’est au tour de Robbe-Grillet de mourir. Vous me direz, et avec raison que ces deux hommes avaient atteint un âge canonique, mais il est toujours trop tôt quand vient le moment de partir. De Robbe-Grillet, je dois bien avouer avoir pas mal séché. Je ne suis pas ce qu’on appelle une amatrice du Nouveau roman ni même du structuralisme. J’avais lu avec un plaisir purement littéraire et esthétique La Jalousie qui évoque l’histoire sentimentale de trois personnages, perçus tour à tour par la jalousie, store permettant de voir sans être vu. Je me souviens des longues descriptions des lieux, de l’observation de chaque mouvement des protagonistes. Les incessants retours en arrière m’avaient étonnée et même agacée au départ et finalement je me suis laissée porter par les mots et l’intrigue, extrêmement tenue.

Par la suite, j’ai découvert L’année dernière à Marienbad et La Reprise (texte ayant définitivement rompu avec le Nouveau Roman et ses caractéristiques). Son dernier texte publié  chez Fayard, Un Roman sentimental, m'a laissée pantoise. Je ne voudrais pas jouer la prude effarouchée   mais la lecture de quelques  extraits  glanés  de-ci de-là  m'a  mise très mal à l'aise, qu'il s'agisse des scènes de viols, d'orgies diverses ou d'inceste. Si vous ne connaissez pas cet auteur, vous pouvez aisément vous dispenser de ce livre malsain.
Sans que Robbe-Grillet ne compte parmi mon panthéon personnel, il tenait une place à part. Il faisait partie des auteurs que l’on étudie et que l’on respecte parce qu’ils ont contribué à un changement en profondeur du paysage littéraire, changement que l’on approuve ou que l’on déplore mais qui a eu en tout cas le mérite de vouloir apporter un souffle nouveau à la création française.


Partager cet article
Repost0
14 janvier 2008 1 14 /01 /janvier /2008 15:36


disney-merlin-4.gif

Je vous parle rarement de mon travail d’enseignant, mais aujourd’hui, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire qui m’a laissée pantoise. Après avoir étudié les dragons avec mes élèves de 5ème, nous abordons le merveilleux au Moyen-Age. Or, ce matin, j’ai proposé différents exposés comme Merlin l’enchanteur, Le roi Arthur et les chevaliers de la Table ronde, Tristan et Iseult en leur expliquant que tous ces personnages appartiennent à cet univers merveilleux. Aussitôt, l’un de mes élèves a poussé de grands cris en apprenant que le Roi Arthur, Mélusine et les autres n’ont pas existé ! « Ca sert à quoi d’étudier tout ça si c’est pas vrai ? » ; « On nous ment ! », a renchéri son voisin. Quand l’un d’eux a réalisé (enfin !) que les animaux fabuleux et imaginaires, les dragons, appartiennent à la légende, ses yeux se sont humidifiés : « pourquoi on a lu des textes qui racontent des histoires qui n’existent pas ? » J’ai eu beau leur expliquer que la mythologie constitue notre culture et nous permet de mieux comprendre notre société, ils s’en moquaient. Ils voulaient savoir si les fantômes n’existaient pas non plus, le diable, les sirènes… Du haut de leurs 13 ans, ils ouvraient des yeux sur un monde bien décevant et ils s’en révoltaient. Ils avaient l’impression d’avoir été trahis, dupés pendant toutes ces années. En partant, l’un d’eux m’a dit : « A cause de vous, je ne croirai plus en rien ».

 

Partager cet article
Repost0
4 janvier 2008 5 04 /01 /janvier /2008 15:38

dedicace.jpgGrâce au blog « la République des livres », je viens d’apprendre une nouvelle qui me concerne (quoique…), mais qui n’a guère été diffusée encore : trente et un écrivains devraient débouler dans les collèges sensibles labellisés « Ambition réussite »  pour faire découvrir aux élèves de 3ème leur métier et leurs livres. A en croire Pierre Assouline, personne n’est informé du projet parce que, pour une fois, le gouvernement, n’a pas voulu médiatiser l’affaire ! Contrairement aux initiatives personnelles menées par de nombreux enseignants qui reçoivent des auteurs dans leur classe, cette opération, baptisée « A l’école des écrivains. Des mots partagés » est organisée par l’Etat. Certains partenaires seront ainsi sollicités comme la Ligue de l’enseignement et la Caisse des dépôts. Et bien sûr, les auteurs sélectionnés sont les plus médiatisés. On recense notamment : Noëlle Chatelet, Yasmina Khadra et Jean-Noël Pancrazi, Didier van Cauwelaert, Didier Daenninckx, Clémence Boulouque, Jacques-Pierre Amette, Olivier Poivre d’Arvor, Benoît Duteurtre, Daniele Sallenave, Alain Absire, Alexandre Jardin, Yann Queffelec, Daniel Picouly, Christophe Ono-dit-Biot, Valentine Goby et Pierre Assouline !

 

L’objectif est de proposer à des auteurs d’intervenir à trois reprises dans une classe de 3ème pour parler avec elle d’un de ses livres qu’elle aura étudiée avec son professeur. L’auteur ainsi que les élèves approfondiront l’analyse du livre, échangeront des points de vue. Il est prévu que l’écrivain suive les travaux d’écriture et corrige les copies !

 

 

 

J’ai lu les commentaires sur le blog d’Assouline, et j’ai été surprise par leur aigreur… Certains fustigent les auteurs qu’ils ne jugent pas comme tels, d’autres de faire la charité… A vrai dire, je ne comprends pas très bien pourquoi l’Etat se charge d’une telle mission dans ce cadre-ci… Dès qu’un projet est politique, je me méfie toujours un peu. Ce que je trouve dommage également c’est que les professeurs sollicités n’ont pas choisi quel auteur ils souhaitaient accueillir dans leur classe. Mais, si l’on veut bien rester positif, et analyser ce projet du point de vue des élèves, je crois que c’est une belle entreprise. En effet, certains adolescents (hélas nombreux) n’aiment pas lire… C’est un fait. Ils ont l’impression que les livres sont très déconnectés de leur quotidien, de leur univers et pour la plupart, ils pensent que les écrivains sont morts. A chaque fois que je propose à mes élèves un auteur contemporain, ils sont étonnés d’apprendre qu’il est vivant !

 

Voir un écrivain, en chair et en os, est une expérience extraordinaire. Quand j’étais petite fille, en 5ème, avec ma classe je suis allée au Salon du livre de Rouen. J’ai rencontré Azouz Begag. C’était la première fois que je voyais « en vrai » un écrivain et que je lui parlais. Il a bien voulu me dédicacer son roman autobiographique, Le Gone du Chaâba. Adulte, on ne se rend pas compte de ce que signifie pour un adolescent de rencontrer des faiseurs d’histoires… La littérature prend ainsi un sens nouveau, plus réel, plus accessible.

Partager cet article
Repost0