Pendant les vacances de Noël, je me suis offert une petite escapade à Strasbourg, qui fut non pas riche en découvertes culinaires mais picturales. En effet, jusqu’au 18 février, le musée des Beaux-Arts propose une grande rétrospective d’un peintre oublié Philippe-Jacques de Loutherbourg, intitulée « Tourments et Chimères ».
Je parie que vous êtes nombreux à ne pas connaître Loutherbourg, peintre loué en sa jeunesse par Diderot qui lui consacra un article entier dans son « Salon de 1763 ». Et pour cause, la dernière rétrospective de l’artiste a eu lieu à Londres en 1973 ! Bien sûr, si vous êtes passé par Londres, vous aurez pu voir quelques unes de ses toiles au British Museum, à la Tate Britain ou au Victoria and Albert Museum.
Loutherbourg est un homme à scandale autant qu’un artiste. Il naît à Strasbourg en 1740. La légende, et Diderot, racontent que Loutherbourg était un petit génie, beau garçon et malin. En effet, à 15 ans, il entre dans l’atelier du peintre Joseph Casanova, le frère du célèbre écrivain. Il se montre si habile que son maître ne se gêne pas pour signer quelques tableaux de son propre nom. Pour se venger, Loutherbourg non seulement couche avec sa femme, mais en plus quitte l’atelier avec quelques tableaux sous le bras pour se présenter à l’Académie royale de Peinture et de sculpture avec une vingtaine de tableaux. Il est reçu « par acclamation ».
Loutherbourg mène une vie tumultueuse et dévergondée. A 24 ans, il se marie à une courtisane, dont il loue les services à un capitaine de la Compagnies des Indes. L’affaire se règle devant les tribunaux. Loutherbourg engrosse ensuite son épouse par cinq fois et ne manque pas de la battre. Encore une fois, la justice se mêle de cette histoire. Pour fuir les ennuis, Loutherbourg quitte la France pour l’Angleterre.
Fini la peinture, isolé dans un atelier. Voici Loutherbourg à Londres, peignant de grands décors innovants de théâtre. Ses travaux remportent un vif succès. Il est le décorateur en chef du Théâtre Royal de Drury Lane. C’est la gloire. Il invente alors le spectacle mécanique, qui deviendra fort à la mode dans les années 1780. Malgré le succès, l’artiste continue de susciter le scandale en s’éloignant de la peinture. Attiré par les forces obscures, il se rapproche de la franc-maçonnerie, se passionne pour Swedenborg, ouvre un cabinet de « guérisseur par la foi », se lie d’amitié avec l’alchimiste Cagliostro avec qui. Encore une fois, les choses tournent mal et Loutherbourg tente d’assassiner son ami.
Après ces aventures nombreuses et tumultueuses, l’artiste semble se calmer. Il se remet à la peinture pour exécuter des commandes sur les victoires de batailles remportées contre les Français. Il meurt en 1812.
Pendant deux siècles, Loutherbourg est resté dans l’ombre. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : d’abord, ses toiles sont présentes à l’étranger, ensuite, ses scandales ont nuit à sa réputation, enfin, son œuvre est assez inégale.
Grâce à la rétrospective proposée par le musée des Beaux-Arts de Strasbourg, on peut se faire une idée assez précise de l’œuvre de Loutherbourg. Je ne vous cacherai pas que ce n’est pas un peintre majeur et que ses toiles ne demeureront pas toutes imprimées dans ma mémoire. Mais, son oeuvre est intéressante parce qu'elle montre un esprit tourmenté, prise entre deux périodes, celle des Lumières et des pré-romantiques. Cela se ressent dans certains sujets tels les batailles. De ces cent toiles et dessins, il se dégage une impression de remous, de brouillard et de tumultes. La plupart des œuvres représentent des marines (avec des bateaux pris dans une tempête), des vaches dans de verts pâturages ou des scènes de bataille. J’ai été beaucoup plus sensibles aux aquarelles, pour la plupart des marines, et qui mettait en lumière un maîtrise certaine pour le dessin.
Je n’ai pas su apprécier la salle consacrée aux batailles entre la France et l’Angleterre. Ces tableaux gigantesques m’ont laissé de marbre. Toutefois, il faut souligner l’opportunisme d’un peintre exilé en Angleterre et n’hésitant pas à mettre en scène son pays natal dans des batailles sanglantes.
C'est une exposition que je vous recommande car, malgré des toiles plus ou moins innovantes voire intéressantes, elle permet de découvrir un peintre d'inspiration anglaise. Il paraît que Turner lui voua une véritable estime. Si ce n'est pas un argument, alors...
Info pratiques :
Musée des Beaux-Arts - Palais Rohan
2, place du Château,
STRASBOURG
Horaires : 10̀-18h, fermé le mardi
Tarif : 6 euros
Pour en savoir plus, lisez cet article de Libération ou des Dernières Nouvelles d’Alsace