L’auteur irlandais Nuala O’Foalain fait parler d’elle, en Europe comme aux Etats-Unis. Elle vient de publier un livre vraiment étrange : L’Histoire de Chicago May (éditions Sabine Wespieser). J’ai eu envie de le découvrir non seulement parce que la presse en parle, qu’il a soulevé des polémiques en Grande Bretagne et parce qu’il figure sur la liste de quelques prix littéraires, dans la catégorie des romans étrangers (il a déjà reçu le 5 septembre dernier le 3ème « Trophée de Virgin Megastore - Furet du Nord – Lire »). Il fallait donc que je me fasse une opinion par moi-même…
Dans le prologue, l’auteur explique ce qui l’a poussé à écrire l’histoire d’une célèbre criminelle irlandaise, née à la fin du XIXème siècle : « Je savais que, avant mon époque, il existait très peu d’autobiographies écrites par des Irlandaises (…). Il me suffit d’entendre parler du livre de May pour vouloir le lire ». Et de conclure : « Je ne serais pas partie sur les traces de May si elle avait écrit l’histoire de sa vie dans sa jeunesse. N’étant plus jeune moi-même, je vois la rétrospection comme la seule source de connaissance pour chacun de nous ». Très vite, nous comprenons que Nuala O’Foalain est en complète empathie avec son sujet : elle poursuit son propos en remarquant que comme May, elle n’a pas eu d’enfant, que toutes deux ont fuit l’Irlande pour les Etats-Unis… Son projet est donc bien singulier : il s’agit de retracer la vie de Chicago May (en s’inspirant de son autobiographie, des archives des comptes-rendus de procès et autres documents) en trouvant un écho dans sa vie personnelle.
Chicago May est née en Irlande dans un petit village, Edenmore. Très jeune, dès 19 ans, elle a voulu fuir sa condition, et a quitté son pays pour rejoindre les Etats-Unis. Sur place, n’ayant pas d’argent, elle apprit la prostitution, les vols, la débrouille. En femme libre et indépendante, elle voyagea en Europe, au Caire et à New York. Ses différents crimes lui valurent de nombreux emprisonnements, notamment en France lorsque son amant du moment braqua l’agence American Express à Paris.
Je pense que cette histoire de départ aurait pu donner un roman trépidant voire tragique. L’histoire de cette femme est exceptionnelle : elle a payé cher son indépendance à une époque où son existence devait être toute tracée… Le problème, c’est le choix méthodologique de Nuala O’Faolain : elle n’a pas simplement voulu retracer la vie de son héroïne en reconstituant son passé grâce à divers documents, elle a voulu entrecroiser le destin de May au sien. Ce qui rend un livre très étrange, inclassable. Ce n’est ni une biographie ni une autofiction, encore moins un roman. La narratrice est trop bavarde. A chaque instant, elle exprime ses doutes et ses hypothèses. Le texte est alourdi par des « peut-être », « il me semble que », des « si », des conditionnels et des questions. Parfois, elle juge les protagonistes : « Je ne sais pas ce qui est le pire dans tout ça –que May ait eu recours à une arme encore une fois, ou qu’Avery ait déposé contre elle ». Nuala O’Faolain raconte aussi qu’elle a suivi les traces de son héroïne : elle a foulé le sol du village natal de May, a essayé de ressentir ce qui a poussé May a fuir les siens. Et surtout, elle entremêle les expériences de May aux siennes afin d’y trouver des correspondances : « Quand j’étais enfant, celle qui revenait ainsi, aussi exotique qu’un martin-pêcheur, c’était la jeune sœur de ma mère, Maureen. (…) Je vois May quand je me rappelle de Maureen en visite, assise dans son lit (…). La famille de May vit-elle dans ses yeux la fillette qu’elle avait été autrefois ? ». Je n’ai pas aimé ce livre non seulement parce que je n’y ai reconnu aucun genre bien défini, mais surtout parce que l’omniprésence de la narratrice m’a irritée. Je n’ai, à aucun moment, réussi à m’identifier à l’héroïne : les deux femmes semblaient sans cesse être en concurrence et May n’avait plus son indépendance revendiquée, elle reste prisonnière des hypothèses de l’auteur.