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Anne-Sophie Demonchy
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16 février 2009 1 16 /02 /février /2009 13:52

En août dernier, je vous avais conseillé la lecture de R.A.S. infirmière-chef de B.S. Johnson, roman d’une originalité incroyable tant par ses audaces typographiques que littéraires. Toutefois, si vous n’avez guère eu l’occasion de le lire, optez plutôt par le premier roman de B.S. Johnson, Albert Angelo, publié en Angleterre en 1964 et traduit en français pour la première fois par François Marel aux éditions Quidam car ce roman donne les clefs du travail littéraire que souhaite accomplir cet auteur mort il y a 36 ans déjà.

 

Albert Angelo est passionnant à de nombreux titres mais pour le moment, je me limiterai à celui de l’école, thème qui comme vous le savez me tient à cœur. En lisant ces pages d’une cruauté incroyable, je n’ai cessé de me répéter qu’il s’agissait d’un roman écrit au début des années 1960, époque où soi-disant le professeur comme l’institution étaient respectés des élèves…

 

Certes, l’école et le système scolaire ne sont qu’un des thèmes développés dans ce roman très riche et inventif mais puisque j’aurais l’occasion de développer ailleurs les autres points, j’attire votre attention sur ceux-ci.

 

Albert, donc, est un homme de 28 ans qui se dit architecte. Il ne vend pas ses projets mais conçoit des bâtiments « pour la beauté du geste » en espérant qu’un jour, ils soient construits. Néanmoins, au fur et à mesure du texte, s’il montre une passion réelle pour cet art qu’est l’architecture, il ne se donne pas vraiment les moyens de parvenir à en vivre. Aussi doit-il, pour subvenir à ses besoins, accepter des vacations en tant que prof dans des écoles difficiles dans des quartiers populaires de Londres. Sa mère lui conseille de passer les concours et de trouver un poste fixe afin d’avoir une situation matérielle plus stable, Albert refuse prétextant qu’il n’est pas prof mais architecte. S’il se fixait en tant que prof, il n’aurait plus l’espoir de se consacrer à sa passion.

 

Toutefois, être vacataire est une situation précaire et dès son arrivée dans un des collèges, il est très mal reçu par le directeur qui estime que les remplaçants sont de mauvais enseignants qui n’ont pas suffisamment été formés et sont incompétents. Albert cumule les tares puisqu’en plus il est « un architecte manqué ». Rapidement, le narrateur (qui change au cours du roman : il peut être externe à l’histoire, être Albert, sa conscience…) présente la salle des professeurs avec des individus qui ne considèrent pas leur collègue de passage, un vacataire qui lui-même n’a pas envie de s’investir ni dans son boulot ni dans la vie de l’établissement affirmant « Je suis architecte avant tout, et pas prof, je suis un créateur, pas un passeur ».

 

Dans cet état d’esprit, difficile d’imaginer une bonne entente entre les élèves et ce prof : ils se détestent cordialement et cette haine s’exprime violemment : insultes, coups (Albert frappe les rebelles), vol, détérioration du matériel… Cours ennuyeux… Albert espère intéresser sa classe en lui parlant de géologie et d’architecture, ses domaines de prédilection mais lui-même n’y croit pas vraiment. B.S. Johnson a eu l’idée de faire deux colonnes en distinguant d'un côté le discours du prof à ses élèves  et de l'autre ses pensées, un peu comme au théâtre avec les apartés. Donc, pendant qu’il fait son cours de géologie, Albert fait des réflexions sur ses élèves comme sur son propre développement. Il se dit qu’ils sont « Nuls. Aussi nuls les uns que les autres » en attendant désespérément une réponse à sa question mais remarque quelques instants plus tard : « Et moi aussi, j’suis nul comme prof ».

 

Mais il n’y a pas que les élèves et ce prof qui ne sont pas à la hauteur. Les directeurs d’école sont également en tort. D’abord, ils n’accueillent pas correctement les enseignants qui débarquent du jour au lendemain remplacer un collègue en dépression, ensuite, selon Albert qui pense à tous ces problèmes tout en faisant cours et en remettant en place ses élèves : « on vous apprend pas à enseigner à ce genre d’élèves. Au minimum, on vous dit qu’en dernier recours, c’est au Directeur de prendre ses responsabilités. Et s’il en a rien à foutre ? Comme hier, quand je lui ai envoyé ce gamin, il en avait rien à foutre ». Combien de profs se reconnaissent dans ces remarques, énoncées il y a près de 50 ans ?

 

Dans l’avant-dernière partie du roman intitulée « Désintégration », l’auteur fait une véritable confession sur son travail d’écrivain - intéressante pour comprendre les enjeux littéraires de son œuvre à venir. Il revient également sur le thème de l’école et en conclut : ce roman se voudrait « sociologique, à travers l’étude du métier d’enseignant, afin de tirer la sonnette d’alarme, aussi pour que des améliorations soient mises en place : à ce sujet mon espoir n’est pas si grand, car si le gouvernement voulait vraiment perfectionner le système éducatif, il pourrait le faire très facilement, je dois donc, encore une fois, en tirer la conclusion qui s’impose : il est de l’intérêt de l’état de sous-éduquer ces enfants » et Albert quelques pages plus haut d’affirmer : « si l’on continue à bâcler l’éducation de ces gamins (…) alors, on va assister à une explosion de violence. Ils sont pas bêtes, tu sais. Ils savent très bien qu’on les traite comme des sous-hommes. Et l’école n’est rien d’autre qu’un microcosme de notre société ».

 

De nombreux passages m’ont fait sourire et tressaillir en même temps car j’ai reconnu notre système éducatif, nos élèves, notre mode de communication (les coups en moins bien évidemment), la peur panique que l’on peut éprouver en arrivant en milieu d’année après que notre collègue soit parti en dépression devant une classe  qui se réjouit de ses exploits…

 

B.S. Johnson affirme que son objectif est de « transmettre la vérité » par ses romans et il y parvient par différents moyens : d’abord, au niveau du fond, les émotions qu’il suscite touche au plus profond de nous ; ensuite au niveau de la forme : il a recours aux « trous dans la page, comme des fenêtres sur le futur », les colonnes permettant de donner à lire en même temps le discours du prof et les pensées de l’individu, des apartés indiquant brièvement le physique du personnage prenant la parole, les différents narrateurs qui se relaient pour donner leur point de vue sur Albert, les retranscriptions (avec les fautes d’orthographe en prime, s’il vous plaît) des rédactions sur ce que les élèves ont pensé de leur professeur (c’est gratiné, vous vous en doutez !)…

 

Ce roman propose de nombreuses pistes de réflexion, à la fois sur l’école, l’architecture, les relations amoureuses, et surtout l’écriture. C’est vivifiant, intriguant, exigeant, plaisant, parfois irritant aussi… Il faut lire absolument B.S. Johnson et découvrir son univers noir et ironique, sa plume acerbe et inventive.

 


D’autres avis et d’autres pistes de lecture :

Remue.net

Laure Limongi

Tabula rasa

Alice

Fashion

Bartleby les yeux ouverts

La Bruyantissime

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