Comme promis, voici des nouvelles plus précises de Books et du grand entretien accordé à Robert Darnton, historien du 18ème siècle français et directeur des bibliothèques de l’université de Harvard à propos de la numérisation des livres par Google. L’université d’Harvard fut l’une des premières, en 2004, à signer un accord avec le moteur de recherche pour numériser ses fonds.
Robert Darnton a donc un propos positif à l’égard d’Internet et de la numérisation des ouvrages. Selon lui, Internet bouscule le monde du livre et de la lecture sans toutefois annoncer l’apocalypse de la culture. Internet est un moyen pour accéder au savoir, rien de plus : les gens peuvent avoir recours à leur imprimante pour lire sur du papier les contenus. Finalement, Internet est une simple banque de données. Il est une manière de démocratiser le savoir puisque les chercheurs et les étudiants du monde entier peuvent accéder aux fonds de l’université, de Harvard par exemple, sans être obligés de se rendre aux Etats-Unis.
Toutefois, à ceux qui espèrent que tous les livres pourront être un jour numérisés, Robert Darnton répond que « ce n’est pas envisageable concrètement, en raison du nombre énorme de volumes qui sommeillent un peu partout. Ce n’est pas non plus envisageable juridiquement. La propriété littéraire, dont les règles sont certes parfois archaïques, est un obstacle majeur à une numérisation totale. Il y a donc des limites quantitatives. Et puis il y a aussi des limites qualitatives. Un ouvrage du 18ème siècle, par exemple, a typiquement connu de nombreuses éditions, dont certaines sont pirates. Chaque édition présente un intérêt particulier, pour diverses raisons. Lesquelles Google va-t-il privilégier ? A ma connaissance, l’entreprise n’emploie aucun bibliographe ». C’est bien dommage, car les étudiants qui auront envie de lire des ouvrages du 18ème siècle auront sans doute envie de savoir pourquoi untel a été modifié, pourquoi tel autre caviardé. Ce sont des aspects que l’on étudie lorsque l’on commence des recherches et que l’on découvre en lisant des préfaces ou des annexes. Mais si Google ne propose en effet que la numérisation de textes sans l’éclairage d’un bibliographe ou d’un érudit en la matière, l’Internaute est privé de l’histoire de l’ouvrage en question. C’est pourquoi, Robert Darnton propose d’introduire à l’université « un enseignement de l’usage critique d’Internet ». Il rappelle d'autre part que les livres ne sont pas non plus source d’exactitude. Il donne un exemple amusant : L’Encyclopédie de Diderot dans son édition la plus lue au 18ème siècle contenait de nombreuses pages qui n’existent pas dans l’édition originale mais qui ont été introduites par un curé qui voulait y mettre le sermon de son évêque !
Le point de vue de ce chercheur en Histoire est très intéressant puisqu’il ne se veut ni angélique ni alarmiste. Il repose sur une analyse des pratiques de la lecture depuis l’invention de l’imprimerie. On retiendra ce point essentiel : Internet n’est qu’un outil pour accéder facilement au savoir. J’en ai fait moi-même l’expérience il y a quelques années quand j’étais en DEA, avec bonheur. Je passais une épreuve sur l’histoire du livre. L’objectif était d’analyser des manuscrits. L’un d’entre eux, hélas, n’était pas accessible à la BNF, seulement sur Gallica, le portail de la bibliothèque. C’est ainsi que j’ai pu faire ce devoir, de chez moi. Bien sûr, je n’ai pu toucher le papier, ni le sentir, mais j’ai eu accès au manuscrit, à ce qui faisait sa particularité. Certains, sceptiques, penseront que ce n’est qu’une approche virtuelle…